Publié le 2 Oct 2024 - 14:15
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 17 NOVEMBRE PROCHAIN

Pastef, le pari de l’audace ou du suicide politique ?

 

À l’aube des élections législatives, Pastef, désormais maître de l’Exécutif après une victoire éclatante à la Présidentielle, s’avance avec confiance, mais aussi avec prudence. Fort d’un large soutien populaire, le parti d’Ousmane Sonko fait face à un défi de taille : obtenir une majorité parlementaire tout en choisissant d’affronter seul ses adversaires politiques. Entre la promesse d’un programme ambitieux et les risques inhérents à une stratégie d’isolement, l’avenir de Pastef au sein de l’hémicycle sénégalais se joue dans une bataille aux enjeux cruciaux.

 

Porté par une victoire éclatante dès le premier tour de la Présidentielle et confronté à une opposition en crise de leadership, le parti Pastef, dirigé par Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, se présente comme le grand favori pour les prochaines Législatives.

À l’Alliance pour la République (APR) et à l’Alliance des forces de progrès (AFP), la question de la succession reste floue. Macky Sall et Moustapha Niasse, les ‘’présidents fondateurs’’, n'ont pas encore désigné de successeurs.

Au Parti socialiste (PS), la secrétaire générale Aminata Mbengue Ndiaye a choisi de laisser sa place aux jeunes générations. Quant au Parti démocratique sénégalais (PDS), il est déchiré par des luttes internes entre partisans et opposants de Karim Wade.

De leur côté, les scores dérisoires de Khalifa Sall (1,56 %) et d’Idrissa Seck (0,9 %) à la Présidentielle hypothèquent toute dynamique d’opposition crédible, tandis que les 2,4 millions d’électeurs de Pastef attendent de voir le parti gouverner pleinement.

Cependant, cette élection ne sera pas un long fleuve tranquille pour Pastef. Le contexte actuel, marqué par la mondialisation et la tendance aux grands ensembles politiques, pose des défis de taille pour tout parti qui choisirait une posture solitaire. Mais Ousmane Sonko, fidèle à sa ligne, semble déterminé à prendre ce risque. Contrairement aux alliances nouées lors de la Présidentielle, il a annoncé que Pastef irait seul aux Législatives, une décision qu'il justifie par le désir de peser sur l’échiquier politique national de manière autonome et de s’assurer une majorité parlementaire qui lui soit redevable.

Cette stratégie comporte toutefois des risques. En optant pour l’isolement, Sonko et son parti s'exposent à une opposition qui s’organise en alliances complexes et qui pourrait leur compliquer la tâche. Malgré leur victoire présidentielle, la légitimité politique de Pastef est loin d'être acquise à long terme. La nature de l’électorat est changeante et les attentes des populations évoluent en fonction des priorités du moment. Une désillusion ou un manque de résultats tangibles pourraient rapidement affaiblir le parti.

Les atouts de Pastef

Le pari de Pastef est de dominer l'Assemblée nationale, comme le Parti socialiste l’a fait autrefois ou le PDS après lui. En cas de victoire, Pastef pourra dérouler son programme ambitieux, calqué sur la Stratégie nationale de développement (SND) du Sénégal. Cette stratégie prévoit notamment un reprofilage de la dette à travers des financements innovants, incluant la diaspora et le financement islamique. Avec un coût global estimé à 18 496,83 milliards de francs CFA pour la période 2025-2029, ce projet nécessite une majorité parlementaire pour être mis en œuvre efficacement.

Ce programme a de quoi séduire un électorat jeune, avide de changement. Sonko, en campagne permanente, mise sur cette jeunesse pour consolider son pouvoir. Cette frange de la population, qui aspire à une nouvelle gouvernance, reste largement acquise à la cause du leader de Pastef.

Toutefois, les Législatives à un seul tour, posent un défi majeur : sans alliés, la majorité parlementaire pourrait être plus difficile à obtenir.

Les risques d’un échec

La décision de Sonko de se présenter seul à ces joutes a également suscité des critiques au sein de ses propres alliés. Mansour Guèye, un observateur politique, souligne que cette rupture avec la coalition DiomayePrésident, formée en mars dernier, a pris de court plusieurs partenaires. Sonko, qui avait promis à ses alliés de ‘’gagner ensemble la Présidentielle et d’aller ensemble aux Législatives’’, a finalement choisi de faire cavalier seul, une décision qui pourrait nuire à sa crédibilité politique. Dans une démocratie où les alliances politiques sont souvent nécessaires pour atteindre une majorité, ce choix pourrait se retourner contre Pastef, en cas de défaite.

En outre, si Pastef échoue à obtenir la majorité, ses ambitions de réforme risquent de se heurter à une opposition parlementaire organisée. Des projets phares, comme la dissolution du Haut conseil des collectivités territoriales (HCTT) et du Conseil économique, social et environnemental (Cese), pourraient être bloqués. Une cohabitation serait également un scénario redouté, car elle affaiblirait considérablement la capacité de Sonko à imposer son agenda politique.

Déjà, le Premier ministre a refusé de faire sa déclaration de politique générale (DPG) pour éviter d'être la cible d'attaques politiques, illustrant la méfiance de l'actuel gouvernement face à l’opposition grandissante.

Le pari risqué d’une majorité absolue

Ousmane Sonko semble pourtant convaincu que son parti est en position de force. Après tout, Pastef est le seul parti à avoir remporté la Présidentielle dès le premier tour, un fait sans précédent dans les trois alternances démocratiques du Sénégal (2000, 2012 et 2024).

En outre, le mode de scrutin à un tour des Législatives lui est favorable. Avec une base électorale solide et une jeunesse mobilisée, Pastef pourrait bien réaliser l’exploit de décrocher la majorité absolue à l'Assemblée nationale.

Sonko et son équipe misent également sur une campagne de terrain intensive. Contrairement à ses adversaires, qui peinent à former des coalitions solides, Pastef adopte une posture offensive.

Selon le politologue Alassane Ndao dans les colonnes du ‘’Monde’’, ‘’Sonko fait le choix d’investir des soutiens de la coalition présidentielle sous l’étiquette Pastef pour resserrer les rangs et éviter la transhumance politique’’. Cette stratégie pourrait permettre au parti de garder une cohésion interne et d’éviter les défections postélectorales, fréquentes au Sénégal.

Les prochaines Législatives s'annoncent donc comme un moment crucial pour Pastef et Ousmane Sonko. Si le parti parvient à obtenir la majorité à l’Assemblée, il sera en position de force pour appliquer son programme et consolider son pouvoir.

AMADOU CAMARA GUEYE

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