Publié le 5 Dec 2024 - 18:31
TRANSITION AGROÉCOLOGIQUE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Djimini, le sanctuaire de la semence paysanne toujours debout !

 

Les très nombreux participants à la 8ème édition de la foire ouest-africaine des semences paysannes ont réaffirmé, le 14 novembre à Djimini dans le département de Vélingara, l’urgence de promouvoir et de sauvegarder les Systèmes semenciers paysans (SSP), garants de la souveraineté alimentaire en Afrique, de la résilience climatique et de la diversité. À cette occasion, ils ont dénoncé, avec force, l’harmonisation des politiques et des lois semencières au sein de l’espace Uemoa, très souvent influencée par des acteurs privés qui favorisent les semences industrielles et criminalisent les Systèmes semenciers paysans (SSP).

 

Les rideaux sont tombés sur la 8ème édition de la Foire ouest-africaine des semences paysannes (FOASP), organisée les 12, 13 et 14 novembre dernier à Djimini, bourgade située à quelques encablures de Vélingara. Cette foire, qui s'est confondue avec le nom de ce village, est une biennale, renseigne Mamadou Danfakha, en charge des programmes à l’ONG Fahamu Africa, par ailleurs coordonnateur du mouvement panafricain des femmes rurales – Nous Sommes la Solution – (NSS). Débutée en 2007, cette foire est devenue, au fil des ans, un lieu de pèlerinage où les pays de la sous-région ouest-africaine se donnent rendez-vous pour « redynamiser les circuits d’échanges et de plaidoyer pour les systèmes semenciers paysans (SSP), mais aussi pour renforcer les compétences des plateformes de promotion de ces SSP afin qu’elles puissent engager les débats au niveau local, national et régional. » Elle est également « un rendez-vous pour contribuer à la médiatisation des systèmes semenciers paysans (SSP) pour un meilleur soutien politique. »

Porté par l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP) et le Comité ouest-africain de semences paysannes (COASP), ce rendez-vous du mouvement paysan ouest-africain s’inscrit dans le cadre d’un processus de promotion des espèces et des variétés paysannes : recherche participative sur les semences disparues, menacées de disparition ou encore négligées par les politiques publiques. Ce processus est relayé au plan continental par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (Afsa), fait savoir Mamadou Danfakha.

Cette année encore, le monde paysan ouest-africain a sacrifié à la tradition. Près de 500 participants issus de 18 pays du continent et de l’Europe ont pris part à la rencontre, rythmée, entre autres, par des ateliers (14 au total) de formation et de partage de connaissances et d’expériences relatives à diverses thématiques liées à la semence paysanne, à la législation et à l’agroécologie de manière générale.

Attirance et séduction…

Composés d’institutions de recherche, d’organisations paysannes, de groupements de femmes et de jeunes, de services étatiques, de programmes et projets de développement, de juristes et de chercheurs paysans, les participants ont salué et loué le caractère « spécifique », « authentique » et « original » de la foire ouest-africaine des semences paysannes de Djimini. « Sa particularité réside dans ces échanges entre producteurs, ce contact physique. Djimini est un sanctuaire de la semence paysanne. Ce village est dépourvu de tout, mais pas pour autant puisque tout se puise à partir de la semence. Sa particularité réside aussi dans le fait qu’il est très éloigné de Dakar (600 km) et que la ville voisine de Vélingara ne dispose pas d’assez d’infrastructures d’accueil et d’hébergement. Mais les gens viennent de partout et acceptent les conditions de séjour parfois difficiles », explique Mamadou Danfakha.

D’après lui, Djimini accueille aujourd’hui cette foire grâce à un de ses résidents, Lamine Biaye, qui s’est installé dans ce village et s’est battu contre la production cotonnière avec l’utilisation massive des engrais chimiques. Selon lui, les toutes premières initiatives de promotion et de sauvegarde de la semence paysanne sont parties de ce patelin. Pour Sikéli Jean Paul, secrétaire exécutif de la Copagen en Côte d’Ivoire, allié du Comité ouest-africain des semences paysannes (COASP), Djimini est un espace très dynamique. « Il y a beaucoup d’échanges de connaissances autour de la question centrale de la semence paysanne, mais également de partage de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. C’est aussi un espace commun d’apprentissage. À chaque fois que je viens ici, j’apprends davantage. J’apporte aussi les modestes connaissances que j’ai acquises au fil des ans », dit-il.

Non sans souligner que la beauté et le charme de la foire de Djimini résident, par ailleurs, dans son caractère rural et paysan. « Les débats sont démocratiquement décentralisés, la parole est vraiment aux paysans. Le cadre est convivial. On est sous les arbres. On est en contact intime avec la nature. Vraiment, Djimini valorise le paysan et son génie inventif puisque le paysan a toujours été un chercheur », note M. Sikéli. Il indique venir en pèlerinage à Djimini pour s’abreuver aux sources de la semence paysanne et des valeurs qu’elle renferme, mais également à la rencontre des paysans qui sont les dépositaires des savoirs traditionnels afin de mettre ensemble leurs énergies pour faire avancer la cause paysanne. « Cette foire est très cohérente avec le message qu’elle essaie de porter. Elle est très cohérente aussi avec le milieu qui a été choisi et les repas servis (variétés et espèces traditionnelles) », renchérit Cécile Berthouly, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), financé par le gouvernement français.

La Française, qui prône pour la biodiversité, sa conservation et sa valorisation intelligente, pense que l’agroécologie pourrait nourrir le monde. « Je ne vois pas comment on pourrait continuer d’aller dans le sens où l’on va. Ce qui est sûr, c’est que l’agroécologie fait partie de la solution pour nourrir le monde et que sa place dans la solution doit augmenter », plaide-t-elle.

L’autonomisation semencière paysanne et la souveraineté alimentaire en question…

Cette 8ème édition de la Foire ouest-africaine de semences paysannes de Djimini portait sur le thème de l’autonomie semencière et de la souveraineté alimentaire : enjeux et défis pour la semence paysanne. Elle s'inscrit pleinement dans le cadre de la transition agroécologique, en tant que vecteur de promotion de la biodiversité agricole et de la résilience des systèmes alimentaires. De l’avis de Mamadou Danfakha, les semences paysannes, produites et sélectionnées par les paysans eux-mêmes, sont adaptées aux spécificités agroécologiques locales. Ce qui les rend plus résistantes face aux défis du changement climatique et aux maladies. Elles permettent aussi de réduire la dépendance aux semences industrielles et aux intrants chimiques, tout en favorisant les bonnes pratiques agricoles respectueuses de l'environnement.

Cette foire, soutient-il, offre un espace de partage des savoirs et savoir-faire, essentiel pour renforcer la souveraineté semencière et alimentaire, encourager des échanges entre paysans et sensibiliser le grand public à l'importance de préserver les semences traditionnelles, garantes de la diversité des cultures et de la durabilité des systèmes agricoles. Évoquant le thème de la rencontre, le Burkinabé Lucien Omer, qui prenait part pour la première fois à la foire de Djimini, soutient que le peuple qui perd le contrôle sur la semence perdra aussi le contrôle sur ses habitudes alimentaires. Ce peuple-là, dit-il, court le risque de se faire dicter ses systèmes alimentaires et perdra, à cet effet, sa souveraineté politique. Pour lui, la sauvegarde et la promotion de la semence paysanne sont essentielles pour sauvegarder la souveraineté politique d’un pays. « En plus, n’oubliez pas que la semence n’est pas seulement pour produire la nourriture. Elle a d’autres fonctions culturelles et cultuelles. Derrière la semence, il y a un ensemble de valeurs qu’il faut songer à protéger », lance-t-il.

L’appel de Djimini…

Après avoir établi les constats selon lesquels les semences paysannes sont le pilier fondamental de la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest, mais que les politiques et les réglementations constituent des contraintes au développement des Systèmes semenciers Paysans (SSP) en Afrique, les participants à la 8ème foire ouest-africaine des semences paysannes estiment qu’il est urgent de promouvoir et de sauvegarder les Systèmes Semenciers Paysans (SSP), garants de notre souveraineté alimentaire, de notre résilience climatique et de notre diversité culturelle. C’est pourquoi ils appellent toutes les parties prenantes à œuvrer ensemble pour que les semences paysannes continuent de nourrir notre continent, d’enrichir notre culture et d’assurer notre souveraineté semencière et alimentaire.

Aux décideurs politiques, ils les exhortent à adopter des politiques et réglementations favorisant les systèmes semenciers paysans (SSP) et la diversité des cultures, en reconnaissant les droits des paysans à conserver, utiliser, échanger et vendre librement leurs semences, et à rejeter toutes les formes d’OGM dépendants, qui augmentent la dépendance aux multinationales. Ils demandent également d’investir dans la formation et la recherche participative, en collaboration avec les paysans, pour renforcer les pratiques agroécologiques paysannes adaptées aux réalités locales. Ils demandent aux paysans de continuer à jouer leur rôle dans la conservation et la transmission générationnelle des semences au sein des communautés. Aux jeunes agriculteurs, ils demandent de s’engager davantage dans la préservation de la biodiversité et des SSP afin d’assurer la relève pour la sauvegarde des systèmes semenciers paysans.

Aux organisations de la société civile et aux partenaires, ils demandent d’initier des plateformes de dialogue entre paysans, autorités, chercheurs et société civile afin d’intégrer les SSP dans les stratégies de quête de la souveraineté alimentaire ; mais également de renforcer la collaboration entre réseaux, afin de porter plus haut la voix des paysans au niveau continental pour une gouvernance semencière inclusive et équitable. Enfin, ils exhortent les décideurs, au niveau national, sous-régional et régional, à adopter des cadres réglementaires favorables aux SSP et qui combattent la biopiraterie. Pour les participants, il est temps de construire une gouvernance semencière centrée sur les besoins des populations locales et respectueuse de notre patrimoine phytogénétique et culturel.

HUBERT SAGNA (ENVOYÉ SPÉCIAL)

Section: