Publié le 2 Nov 2024 - 17:26

Le résilient terroir soninké de Gwey du Gajaaga submergé par la crue du fleuve Sénégal

 

Nous considérons par le Gajaaga, le royaume soninké dirigé par les princes Bacili Sempera venus du Soxoro (Delta intérieur du Niger). Il était divisé en deux provinces historiques : le Gwey et le Kamera. Les deux provinces étaient pilotées par les Tunka (rois) choisis dans la dynastie régnante des princes Bacili. La principale autorité du pouvoir revenait au Tunka le plus âgé parmi les deux provinces. Son histoire est intimement liée aux contacts et aux échanges interrégionaux (commerces transsaharien et transatlantique) grâce à son marché d’esclave et de l’or.

Les populations de Gajaaga, au-delà de ses relations commerciales, ont également joué un rôle prépondérant au cours de la période coloniale. Les descendants de l’aristocratie se sont enrichis dans le commerce en étant de laptots, des interprètes, des intermédiaires entre autres pour suivre les impérialistes européens dans les grandes villes coloniales africaines (Abidjan, Kinshasa, etc.,) puis dans les grands ports français comme Marseille. Ces longues trajectoires et expériences des Soninkés dans ces relations extérieures réalisent qu’aujourd’hui, ces derniers sont considérés comme l’une des populations migrantes de l’Afrique de l’Ouest. Ce privilège suscita de réels systèmes de solidarité entre les communautés restées au village et celles diasporiques permettant le financement des infrastructures dans leurs villages d’origine (dispensaires, les écoles, les marchés, et les châteaux d’eau). Ainsi, cette longue expérience de migration associée à l’entraide a forgé en partie le caractère résilient des Soninkés du Gajaaga. Depuis l’orientation du commerce colonial vers les hinterlands dans la marche du train au détriment du fleuve Sénégal, ce peuple concentré entre les Etats du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal est ôté des projets gouvernementaux.  

À partir des années postindépendances des états africains, les Soninkés de la diaspora assurent la charge de leurs parents restés au village. Ils envoient régulièrement les ressources financières en espèces et en vivres pour leur subsidence. Face à de nombreuses catastrophes naturelles : les sécheresses, les famines, les périodes de mauvaises récoltes, les inondations et les incendies, etc., les Soninkés manifestent l’élan de solidarité. Et pour ces récentes inondations liées à l’ouverture du barrage de Manantali, ils ont été les premiers secours face à une maigre aide du gouvernement.

Au lendemain de la montée des eaux fluviales causant son débordement, les sinistrés ont passé des nuits blanches dans l’espoir de voir l’évacuation rapide de l’eau dans les prochaines heures. Malheureusement, la montée de l’eau en hauteur n’a cessé en submergeant les villages et ses méandres sous le regard désespérant des populations. C’est ainsi que les populations diasporiques se sont organisées en mobilisant des fonds d’aides aux sinistrés. Chaque village, à travers les collectes d’aide financière sous la couverture des transferts d’argent Wave et Orange Money et la transmission des demandes dans les plateformes des réseaux sociaux, s’est opéré pour dynamiser d’énormes aides pour les parents victimes. D’autres villages ont mobilisé des véhicules remplis des vivres à partir de la capitale sénégalaise Dakar pour leur acheminement aux sinistrés (village de Ballou, Aroundou, Yafera et Kounghany). Le déplacement de certaines familles vers les villages proches (familles élargies) a également marqué cette période difficile des riverains. En revanche, les villages de l’hinterland par des gestes de solidarité ont assisté les voisins en vivre, en évacuant des personnes vulnérables, etc.

Ce désastre dénote l’un des phénomènes anthropiques inégalables du XXIe siècle des terroirs des gens du fleuve. L’eau relève certes de naturel, mais l’ouverture du barrage demeure un fait anthropique. Jadis, les édifications des villages sur le long du fleuve se faisaient sur les levées (hautes et moyennes altitudes). Cette approche d’occupation évitait la submersion des villages face à d’importantes précipitations, mais aussi à des phénomènes naturels comme le débordement des eaux fluviales ou l’inondation. De ce fait, les populations passées avaient développé ces techniques de protection naturelle pour se mettre à l’abri des inondations. Face à des mesures coercives, le Manantali est ouvert pour protéger les populations riveraines en amont du barrage au détriment de celles situées en aval.  Le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Actuellement, les gens du fleuve souffrent des inondations pendant que les gens de la ville sont tranquilles et s’adonnent à leur occupation quotidienne. Un barrage hydroélectrique censé fourni de l’énergie aux différents pays qui ont signé la charte d’intégration de l’OMVS (organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal) détruit les villages entiers et cause d’énormes déplacés parmi les sinistrés pendant que les citadins font usages de l’énergie produite à partir du barrage. Pire, l’eau du fleuve est imbuvable et les sources d’eaux villageoises (puits, fontaines, etc.,) sont aussi inutilisables et polluées. Par ailleurs, les dégâts ont atteint les ressources culturelles à l’exemple des sites archéologiques. Les patrimoines culturels archéologiques, à l’image des sites archéologiques plus commodes avec un passé de longue durée, seraient forcément impactés et menacés. Comment faire pour combler la déficiente historiographique du Gajaaga dont son histoire reste dominer par les traditions orales face à la destruction des sites archéologiques ?

Par ailleurs, les populations de l’ancienne province du Gwey sont animées d’un sentiment de désespoir envers leurs gouvernements. Comment se fait il que les villages n’ont pas pu bénéficier des premiers secours pendant les durs labeurs ? Quelle est la pertinence des déplacements simples sans fourcher l’eau pour aller voir les sinistrés coincés sur leurs Terrace ? En quoi l’aide à une population qui est privée du bois de chaume, pas de céréales, ni autres condiments pour s’alimenter ? Que faire pour les sinistrés qui ont perdu leur concession édifiée en banco, leurs champs détruits, leurs matériaux agricoles dégringolés ? La force des communautés soninkés résident dans la migration, de cette dernière, elles affichent sa résilience face à l’ignorance de leurs états respectifs.

Fode diakho,

doctorant en archéologie de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD),

de l’Unité de Recherche en Ingénierie Culturelle

et en Anthropologique (URICA).

fodjo7@gmail.com

 

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