Des chiffres records
Le phénomène de l’émigration irrégulière ne s'arrête plus. Hier encore, le journaliste espagnol spécialisé dans les questions migratoires, Txema Santana, a annoncé l'arrivée d'une nouvelle pirogue, en provenance du Sénégal, transportant des migrants sur l'île d'El Hierro. Selon un expert en émigration, il n'y a plus de périodes propices pour les candidats à l'émigration irrégulière de partir vers l’Espagne. Fin juillet, plus de 16 000 migrants sont arrivés clandestinement au pays de Cervantès, depuis le début de l'année. Combien sont restés dans la mer ?
Faut-il s’en féliciter ou s’en émouvoir ? La Direction de l'information et des relations publiques des armées (Dirpa) renseigne, dans un communiqué, que la marine nationale a porté secours à 1 500 migrants irréguliers, ramenés sains et saufs à terre, du mois de mai à la date du 6 septembre 2023.
Cette vague migratoire vers l’Europe, par le biais de pirogues, en effet, s’intensifie, alors que les drames se succèdent à un rythme insoutenable.
Selon le document, le bilan des deux dernières semaines en particulier fait ressortir un total 1 015 personnes débarquées par les unités de la marine nationale, illustrant ainsi un net regain des tentatives d'émigration irrégulière au cours de cette période.
Ainsi, la marine nationale dit avoir mobilisé d'importants moyens humains et matériels dans le cadre de sa mission de sauvegarde de la vie humaine en mer.
Cependant, si l'on se base sur le nombre de migrants secourus ces derniers temps, on peut dire qu'il reste beaucoup d'efforts à faire. Hier seulement, le journaliste espagnol spécialisé dans les questions migratoires, Txema Santana, a annoncé l'arrivée d'une nouvelle pirogue en provenance du Sénégal, transportant des migrants sur l'île d'El Hierro. Entre dimanche et lundi 4 septembre 2023, trois autres pirogues parties du Sénégal ont débarqué en Espagne avec un total de 401 passagers.
Selon le décompte du gouvernement des îles Canaries, 2 692 personnes sont arrivées dans l'archipel espagnol, pour le seul mois d’août 2023. De même, 325 autres migrants sénégalais, repêchés par la marine royale marocaine au large des îles Canaries, ont été rapatriés en août. Une autre pirogue avait été secourue au Cap-Vert, il y a quelques jours. Sur les 101 migrants qui avaient pris le départ de Fass Boye, 37 s’en sont sortis. Ils ont été rapatriés sur le sol sénégalais.
Mercredi 26 juillet 2023, un groupe d’une cinquantaine de Sénégalais a atterri à l’aéroport militaire de Dakar, après avoir été rapatrié par les autorités sénégalaises depuis la ville de Dakhla, au Sahara occidental.
Également, un navire espagnol a secouru, ce jeudi, 69 migrants partis du Sénégal pour rejoindre l’Europe. La pirogue, qui était remplie de Subsahariens, transportait notamment quatre femmes et cinq enfants mineurs.
Selon les chiffres du ministère espagnol de l'Intérieur communiqués fin juillet, plus de 16 000 migrants sont arrivés clandestinement en Espagne, depuis le début de l'année. La moitié, plus de 8 000, ont débarqué aux Canaries.
"Il n'y a plus de périodes propices... toutes les occasions sont bonnes"
À la question de savoir quelle est la période propice pour les candidats à l'émigration irrégulière de partir vers l’Espagne, par le truchement d’une pirogue ? L'expert en émigration, Seydou Nourou, fait savoir qu'il n'y a plus de moments propices. "Je ne peux pas vous dire exactement le moment propice, mais ce qu'on constate, c'est que, présentement, on a l'impression qu'il n'y a même plus de périodes. Toutes les occasions sont bonnes. Il faut aussi dire que ce n'est pas seulement l'Espagne qui est la destination visée. On a une nouvelle voie qui est ouverte avec le Nicaragua", indique-t-il.
Il ajoute : "Les candidats jouent sur le climat, sur la nature que la mer leur propose. Donc, il y a pas mal d'éléments qui sont prises en compte pour pouvoir traverser."
Aujourd'hui, on peut dire que ce n’est pas le manque de moyens qui pousse les jeunes à emprunter la mer. Car ils dépensent de grosses sommes pour pouvoir traverser. Selon l'expert en émigration, "il faut un changement de mentalité, de paradigme et il faut aussi interroger notre relation avec la richesse. La plupart de ceux qui partent, effectivement, dépensent des moyens colossaux, mais ils sont convaincus que l'eldorado, c'est de l'autre côté. Ils sont convaincus qu'ils ne peuvent réussir que de l'autre côté. Ce qui n'est pas du tout vrai, parce que s'ils ont à l'esprit que les moyens qu'ils développent pour payer leur voyage, ils peuvent l’investir ici au pays avec de la patience, de la persévérance, ça allait donner quelque chose qui pourrait leur permettre de vivre dignement et décemment."
Seydou Nourou est d'avis que "les causes sont plus profondes que celles économiques qui sont évoquées. Elles sont plus profondes que ces causes politiques qu'on tente de donner, de plus en plus. Elles sont plus profondes que ce besoin de se réaliser de façon rapide. Il faudrait forcément qu'on travaille nos mentalités, que l’on comprenne qu'aujourd'hui, les Européens, les Américains, la plupart de ces gens sont en train de venir en Afrique pour exploiter le continent. Donc, qu'ils comprennent que l'Afrique regorge énormément de richesses qu'on pourrait exploiter et l'essentiel, c’est d'y croire et croire en leur pays".
À la question de savoir comment faire pour limiter ou mettre fin aux multiples départs depuis les côtes sénégalaises, l'expert en émigration indique qu'il faut une surveillance accrue de nos côtes.
Mais, rappelle-t-il, le Sénégal est dans l'espace CEDEAO et la libre circulation des personnes et des biens est garantie dans cet espace. Ce qui veut dire que si un Malien doit venir au Sénégal, on ne peut pas l'en empêcher.
Cependant, précise-t-il, "quand on renforce la surveillance de nos côtes, nos services de renseignements, là, on pourrait, tant bien que mal, réduire cette saignée de personnes qui passent par le Sénégal pour aller à l'étranger par voie irrégulière".
FATIMA ZAHRA DIALLO (STAGIAIRE)