La détresse de victimes de l’avancée de la mer
Il est un enfant de la banlieue, a vécu les inondations et a vu certains de ses voisins obligés de se déplacer. Il est sensible au désespoir de ceux qui sont confrontés aux problèmes environnementaux. Mamadou Khouma Guèye a compris et bien appréhendé le désarroi des populations d’un village de la langue de Barbarie face à l’avancée de la mer.
La détresse des populations de Xar Yalla, un petit village de la langue de Barbarie. Voilà ce que raconte Mamadou Khouma Guèye dans son court métrage du même nom que ce patelin situé en bordure de mer, en compétition à la 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Il est projeté au cinéma Neerwaya, en présence du réalisateur et du producteur cette semaine.
Le début du film campe le décor. On pointe du doigt l’immobilisme de l’État. Il est diffusé un discours du chef de l’État sénégalais Macky Sall précédé de celui de son homologue français Emmanuel Macron. Ce dernier promettait d’aider la ville tricentenaire qui est en proie à l’avancée de la mer. ‘’Vous nous avez demandé de venir voir ce qui se passait à Saint-Louis. On est là et on a vu’’, entend-on Macron dire avant de s’engager à prêter son concours. ‘’Cher Emmanuel, vous êtes venu, vous avez vécu et vous avez apporté une réponse concrète au problème de l’avancée de la mer qui menace la langue de Barbarie’’, applaudit Macky Sall dans l’extrait partagé.
Au moment de passer ces voix off, Mamadou Khouma Guèye filme un duel entre un chat et un crabe. Le crustacé se bat avec ses pinces, ne se laisse pas faire, se défend jusqu’au bout. On voit le chat sautiller et revenir. Résumerait-il ainsi les rapports entre l’ancien colonisateur et l’ex-colonie ? Ou, se dit-il que l’attitude de l’ancienne colonie devrait être celle du crustacé ? Les deux ont leur sens.
Il est indéniable que les autorités sénégalaises ont leur part de responsabilité dans cette affaire. ‘’L’État n’a rien fait pour nous aider’’, dénonce d’ailleurs le visage du film. Une jeune femme, habitante de Xar Yalla, qui partage ses peines et malheurs devant la caméra. Elle reste attachée à sa terre, malgré les affres de la mer. Elle avoue avoir vécu des moments pénibles dans la cité, mais elle reste connectée à elle et la préfère, malgré les circonstances, à tout autre lieu. Elle n’est pas la seule, d’ailleurs. Un extrait d’une réunion avec les villageois est montré. Les autorités, qu’on ne voit pas dans le documentaire, sont venues leur expliquer leur projet de délocalisation. Les craintes sont étalées. Elles sont nombreuses et disparates. Mais il y a une constante : les maisons proposées sont trop petites.
‘’Nous avons des concessions familiales. On vit en nombre dans nos demeures. Vous voulez nous déplacer et nous donner des maisons avec trois pièces ; cela ne nous arrange pas et il est impensable qu’on se disperse’’, souligne une dame. ‘’Moi, j’ai deux femmes et des enfants, et je ne vais pas vivre avec eux dans une pièce. J’ai construit ma maison en travaillant dur. Je n’ai pas construit avec l’argent de l’État ni acheté le terrain avec leur argent. Nul ne m’a aidé. Si, en me délogeant, vous pouvez me construire une maison identique à celle où j’habite actuellement avec le même carrelage, les mêmes couleurs, etc., je suis d’accord. Sinon, je ne bougerai pas. Vous devrez passer sur moi pour me sortir de ma maison’’, a-t-il juré.
Une des leurs a tenté de leur expliquer qu’il est vrai qu’à la base, il leur sera donné des maisons de trois pièces, mais que les porteurs du projet allaient dédommager tous ceux dont la valeur marchande de leur demeure dépassait celle dans laquelle ils allaient être relogés. Mais cela n’a pas suffi à calmer ceux qui étaient contre. Ils préféreraient qu’on leur construise une digue de protection et leur laisse dans leur village.
‘’On a été dans des camps de relogement, mais la vie y est difficile. Ils sont souvent loin de nos lieux de travail. Il nous est difficile de rester sur ces lieux. On préfère rester chez nous, malgré le danger’’, dit le visage du film.
Pourtant, des malheurs, sa famille et elle en ont beaucoup connu à cause de la mer. ‘’L’un des plus grands traumatismes de ma vie est le décès de mon frère. Il est mort englouti dans les eaux. Le soir de son départ, il est venu toquer à ma porte pour me dire au revoir. Il n’est jamais rentré’’, raconte-t-elle les yeux embués. On sent les stigmates, mais elle veut rester, malgré tout. ‘’La mer nous a pris des pères, des frères, cousins, etc. On a perdu beaucoup d’hommes’’, ajoute-t-elle. Dans cette zone, les chavirements de pirogues de pêcheurs sont nombreux. Ils sont devenus quasi récurrents, après l’ouverture de la brèche.
BIGUÉ BOB (ENVOYÉE SPÉCIALE À OUAGADOUGOU)