Sokhna Diarra racontée par l’enseignant Mamadou Mbaye
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C’est aujourd’hui que la communauté mouride va célébrer la 68e édition du magal de Sokhna Diarra. Qui était la sainte mère du fondateur du mouridisme ? Quelle était sa vision sociale, son éducation ? L’enseignant et prêcheur Mamadou Mbaye, petit-fils de Cheikh Samba Mbaye, répond à ces questions et dévoile celle qui était la mère de Cheikh Ahmadou Bamba, dans un entretien avec ‘’EnQuête’’.
C’est vers 1833, à Golloré, un village qui se situe au nord-est du Sénégal, proche de la frontière avec la Mauritanie, qu’a vu le jour Sokhna Mariama Bousso ou Jâratul Lâh (la voisine d'Allah). Fille de Serigne Muhammed Bousso et de Sokhna Asta Walo, elle est descendante d’une lignée dont l’origine chérifienne attestée remonte jusqu’à l’imâm Hassan fils d'Ali (RTA).
Selon l’enseignant et prêcheur musulman Mamadou Mbaye, sous la férule de sa mère Sokhna Asta Walo, elle a achevé, à l'âge de 14 ans, sa première rédaction de mémoire du Saint-Coran. Seulement, confie Mamadou Mbaye, la vie de la mère du fondateur du mouridisme n’a pas été longue. Elle a seulement vécu 33 ans.
Pourtant, poursuit-il, elle est créditée d’une production de plus de 40 exemplaires du Livre sacré, écrits de ses propres mains. ‘’Les femmes de son époque et celles d’aujourd’hui se distinguent par le papotage ou le commérage, alors que Sokhna Diarra, pendant qu’elle s’occupait des travaux domestiques ou dans ses va-et-vient entre le puits et la maison, récitait entièrement le «Dalâ-ilul-Khayrâti» de l’imâm Jazûli (un célèbre recueil de prières sur le Prophète).
Elle fut, d'après Cheikh Samba Diarra Mbaye, une épouse soumise et une adoratrice hors pair. Car elle priait sans montrer aucun signe de paresse nuitamment. Et, journellement, elle était au service de son époux.
Toujours d'après le précurseur de la littérature mouride d'expression wolof, ‘’hiver comme été, elle s’occupait d’améliorer le sort de ses semblables’’, déclare M. Mbaye. Selon qui, en dépit de sa quête de l’agrément de Dieu par le service rendu à son époux Serigne Môr Anta Saly Mbacké, elle ne manquait jamais à son devoir de solidarité sociale, à travers les aumônes qu’elle distribuait généreusement, sans ostentation, ni mépris pour le récipiendaire.
‘’C’est par cette constance dans l’adoration de Dieu et son altruisme qu’elle a acquis le titre envié de Jâratul-Lâh (la voisine de Dieu) et est élue sixième meilleure femme du monde, derrière Marie (mère de Jésus et son homonyme) Âssia (épouse de Pharaon), Khadîja (première épouse du Prophète), Fâtima (la fille aînée du Prophète) et Aïcha (deuxième épouse du Prophète). Sokhna Diarra a acquis la réputation d’une femme très sensible aux maux d’autrui et, selon les circonstances, elle savait moduler ses interventions, toujours dans un sens utile à ceux qui en bénéficiaient’’, poursuit l’enseignant.
Selon qui, d'après son grand-père Cheikh Samba Diarra Mbaye, Sokhna Diarra distribuait des couvertures aux personnes âgées, en période de froid, et de l'eau fraîche à profusion, en période de chaleur. Aussi, elle était une éducatrice incomparable et inégalée.
Dévotion corps et âme à son époux
‘’Dans «Les Bienfaits de l’Eternel», Serigne Bassirou Mbacké apprend que, malgré le lourd fardeau des travaux domestiques et le service de son époux, Sokhna Diarra savait trouver le temps de s’occuper de l’éducation et de la formation de ses enfants. Elle aimait leur raconter l’histoire des saints et des pieux anciens, afin que leur vie leur serve d’exemple, de référence.
Aujourd’hui encore, on trouve le reste de l’arbre sous lequel, à 12 ans, le fondateur du mouridisme se retirait déjà, seul avec sa tablette de Coran. C’est là, qu’à cet âge, où il se réfugiait, chapelet en main, pour s’entraîner à la méditation et à la retraite spirituelle sur le modèle des vertueux anciens de l’histoire de l’islam dont sa sainte mère lui racontait l’épopée. C’était vers 1864’’, raconte-t-il.
L’enseignant souligne qu’elle fut une épouse exemplaire. Il est de tradition qu’au moment de rejoindre le domicile conjugal, une jeune mariée se voit prodiguer des conseils et recommandations de bonne conduite méritoire afin de réussir sa vie de ménage, souligne-t-il, et surtout d’acquérir les faveurs de Dieu par le médium du service rendu à l’époux qu’elle va retrouver. Lorsque vint son tour, elle a écouté ‘’patiemment’’, ‘’poliment’’ tous ces discours que dans son for intérieur elle considérait comme très en deçà de ses propres résolutions.
‘’Alors, cherchant, comme à son habitude, l’inspiration divine dans les versets coraniques, elle ouvrit son Coran qu’elle avait toujours à portée de main. Elle tomba sur le verset attestant que Muhammad (PSL) est le dernier des Envoyés. Sa résolution fut aussitôt prise. Par ses actes méritoires auprès de cet époux que Dieu lui a choisi, elle allait entreprendre de gagner en grâces si élevées que, n’eût été cette parole divine qui mettait fin à la liste des Envoyés, elle aurait compté, à coup sûr, l’un d’entre eux parmi sa progéniture. Mais qu’à cela ne tienne : l’un de ses enfants au moins, aura, au service du Meilleur des Hommes (PSL), un renom si immense que, partout où l’on glorifiera la primauté du Prophète Muhammad (PSL) parmi les autres Envoyés et la pertinence supérieure de la Mission de cet Elu (PSL), l’on attestera de même sa prééminence parmi les Serviteurs de ce dernier’’, renchérit le prêcheur.
Ainsi, Sokhna Diarra, uniquement soucieuse de se conformer en toute chose aux recommandations de Dieu, allait entreprendre (résolution prise, au demeurant, bien avant son mariage), de se dévouer corps et âme à son époux, uniquement pour gagner l’agrément du Créateur. Et, sans rien attendre en retour, elle a toujours accompli son devoir fait de respect scrupuleux et de soumission totale à la volonté de cet époux.
Porokhane, première cérémonie religieuse organisée en l'honneur d'une femme
‘’En guise d'exemple, faute d’avoir reçu un contre ordre de son époux Serigne Mor Anta Saly Mbacké, il lui est arrivé de passer une nuit entière sous la tornade, agrippée à un pan de clôture, alors que celui-là même qui lui avait ordonné de procéder ainsi était, depuis longtemps, allé exécuter ses adorations nocturnes dans sa chambre, en l’oubliant sur place’’, raconte M. Mbaye. Pour qui, certes, aujourd'hui, il y a d'autres journées culturelles dédiées à des femmes, mais le magal de Porokhane reste la première cérémonie religieuse organisée en l'honneur d'une femme.
Elle a disparu vers 1866. Le village qui abrite sa sépulture est tombé dans l’oubli, après la mort de Maba Diakhou Ba, en 1867, qui, pour lutter contre la domination française, avait convoqué tous les guerriers et chefs religieux dont l'époux de cette sainte Mame Môr Anta Saly Mbacké à Nioro du Rip.
Ce dernier, en fin pédagogue, avait préféré s'installer avec ses élèves à 8 km du camp militaire. ''Les armes et les tablettes ne font pas bon ménage'', disait-il.
‘’On raconte qu'un habitant de Porokhane, du nom de ''Cagny'', voyait chaque nuit une lumière à l’Ouest de sa maison. Quand, en 1912, Cheikh Ahmadou Bamba revint de sa déportation en Mauritanie, Cagny se rendit auprès de lui, à Diourbel, pour s’en ouvrir à lui de ce phénomène. Cheikh Ahmadou lui fait savoir que cette source lumineuse ponctuelle ne peut-être que la tombe de sa vénérable mère. Il lui ordonna de matérialiser le lieu. Et selon certains, il avait dépêché un de ses fils, Serigne Bassirou Mbacké, pour participer à la matérialisation du lieu’’, précise-t-il.
Après le rappel à Dieu de Cheikh Ahmadou Bamba, en 1927, des disciples mourides résidant à Saloum (actuel Kaolack) demandèrent à Serigne Bassirou Mbacké d'organiser une journée commémorative à l'honneur de sa grand-mère à Porokhane. Trente ans plus tard et plus précisément en 1952 (au mois de Rajab 7e mois du calendrier musulman) le magal de Porokhane devient officiel sous la supervision du vénéré père de l'actuel khalife général des mourides, Serigne Bassirou Mbacké. Auparavant, ce dernier se rendait occasionnellement à Porokhane, en compagnie de Serigne Modou Fall ''Alkhourân'', pour se recueillir sur la tombe de sa vénérée grand-mère. Après la disparition de Serigne Bassirou en 1966, son fils aîné, Serigne Moustapha Bassirou, prit le relais.
Il donna un nouvel élan au magal de Porokhane. Il commença par le lotissement du village, en le constituant de propriétés individuelles et d’aménagements communs (rues, égouts…).
Ensuite, il édifia le mausolée de son arrière-grand-mère en 1971, puis le réhabilita en 1983. ‘’Déjà, en 1970, il y avait fait construire une résidence. C’est en 1983 que fut érigée la majestueuse mosquée qui jouxte le mausolée. Et en 2005, il inaugura l'institut islamique Mame Diarra Bousso de Porokhane, dans lequel on n'enrôle que des filles de 6 à 13 ans, portant toutes le prénom de Jâratul Lâh. Rappelé à Dieu en 2007, ce bras droit de Serigne Abdoul Ahad Mbacké est succédé par Serigne Mountakha Bachir, l'actuel khalife général des mourides’’, conclut Mamadou Mbaye.
CHEIKH THIAM