Publié le 10 Feb 2025 - 10:34
ALIOU MAMADOU DIA, ANCIEN CANDIDAT A LA PRÉSIDENTIELLE

“Mon engagement pour le Sénégal ne s'arrête pas”

 

Mars 2024-février 2025. Voilà bientôt un an que l'ancien candidat à la Présidentielle, Aliou Mamadou Dia, s'est retiré de la vie politique. Après plusieurs sollicitations restées infructueuses, il a enfin accepté de se prêter aux questions d’’’EnQuête’’ et de revenir sur certaines questions brulantes de l'actualité socio-politico-économique. Ce retrait, selon lui, ne signifie nullement un désengagement. Il s'agissait plutôt de respecter, d'une part, le suffrage universel qui s'est exprimé. D'autre part, le nouveau représentant résident du PNUD au Liberia est foncièrement convaincu qu'il n'y a pas que la politique pour servir son pays et l'humain. L'interview a eu lieu par correspondance. 

 

Depuis la Présidentielle de 2024, on ne vous a presque plus entendu dans le débat public (avant même votre retour dans le système des Nations Unies). Pourquoi ce retrait et ce silence sur les affaires publiques sénégalaises ? 

Merci pour cette question qui me permet d’éclaircir ma position. Mon retrait du débat public ne traduit ni un désintérêt ni une indifférence aux affaires du pays. Bien au contraire, il s’agit d’une démarche réfléchie et motivée par plusieurs considérations.

Tout d’abord, après une campagne présidentielle intense, j’ai estimé qu’il était nécessaire de prendre du recul pour analyser la situation avec sérénité et lucidité. Le Sénégal traverse des défis majeurs et j’ai toujours considéré que la précipitation dans les prises de parole pouvait parfois être contre-productive. Il est important d’apporter des contributions utiles, basées sur une réflexion approfondie, plutôt que de simplement réagir à chaud aux événements.

Ensuite, mon engagement au sein des Nations Unies constitue une opportunité unique de continuer à servir, non seulement mon pays, mais également l’ensemble du continent africain et le monde, dans des enjeux globaux tels que le développement durable, la paix et la sécurité. Cette mission internationale n’est pas un renoncement à ma responsabilité envers le Sénégal, mais une extension de celle-ci. Les défis mondiaux auxquels je suis confronté au quotidien dans ce rôle nourrissent ma réflexion sur des solutions pertinentes pour notre continent et pour notre pays.

Enfin, ce silence apparent est aussi une façon de respecter la volonté du peuple et le jeu démocratique sénégalais. Les citoyens se sont exprimés, les institutions fonctionnent, donc, il est parfois nécessaire de laisser ces dynamiques se dérouler sans interférence constante. Cela ne signifie pas que je ne suis pas attentif ; au contraire, je reste connecté aux réalités du terrain et je continue à réfléchir à des propositions concrètes pour le développement de notre pays. Je suis toujours prêt à contribuer avec des idées et des initiatives mûries, dans l’intérêt supérieur de notre nation.

Là, vous avez préféré retourner à votre ancien statut de fonctionnaire du système des Nations Unies. Est-ce à dire que vous tournez le dos à la politique sénégalaise 

Comme je viens de le dire, mon retour au sein du système des Nations Unies n’est en aucun cas un désaveu de mon engagement pour le Sénégal. Bien au contraire, il s’agit pour moi d’un prolongement de mon combat pour le développement, la justice sociale et le progrès, qui sont au cœur des aspirations de tous les peuples africains, y compris le nôtre.

La politique ne se limite pas uniquement à occuper une fonction ou à participer aux élections. Elle réside aussi dans la capacité à contribuer de manière concrète à des solutions pour les enjeux majeurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Mon rôle actuel me permet d’agir sur des problématiques globales qui impactent directement ou indirectement le Sénégal, telles que les crises climatiques, les défis économiques, les questions de paix et de sécurité, et la coopération internationale.

Je suis et je resterai profondément attaché aux questions sénégalaises. Mon engagement pour le Sénégal ne s’arrête pas, même si mon implication prend actuellement une forme différente. Cette mission internationale me donne une perspective élargie, un réseau renforcé et des outils qui seront utiles pour apporter des solutions concrètes aux défis de notre pays.

Le Sénégal a besoin de toutes les énergies, que ce soit sur le terrain, dans les institutions ou sur la scène internationale. Mon travail actuel est une autre manière de servir notre cher continent et le monde. Je demeure attentif, actif dans la réflexion et fidèle à mes convictions pour un Sénégal prospère et juste. 

Pour en revenir un peu à l’élection présidentielle, si vous le permettez, est-ce que vous n’avez pas été un peu déçu par vos résultats où est-ce que vous avez échoué, à votre avis ? 

Tout d’abord, permettez-moi de remercier le président du Pur, Serigne Moustapha Sy, et tous les militants et militantes pour la confiance. J’en suis très reconnaissant. Pour en revenir à votre question, il serait malhonnête de dire qu’il n’y a pas eu une certaine déception. Comme tout candidat, j’ai mené cette campagne avec passion, conviction et l’espoir que mes idées et mon projet pour le Sénégal trouveraient une résonance plus large. Mais la politique est aussi une école d’humilité. Les résultats ont reflété une réalité politique, sociale et stratégique à laquelle il fallait se confronter. Je ne considère pas cela comme un échec personnel, mais plutôt comme une étape d’apprentissage. Au lieu de me focaliser sur ce qui n’a pas fonctionné, j’ai choisi de tirer des leçons. Ces résultats m’ont permis de mieux comprendre les attentes, les préoccupations et les réalités de nos compatriotes. Je reste convaincu que chaque défi est une opportunité de se renforcer. Mon engagement pour le Sénégal ne dépend pas d’une élection, il est ancré dans une vision à long terme. Ceci n’est qu’un chapitre dans une histoire plus grande et cette histoire est celle d’un Sénégal prospère, juste et inclusif auquel nous devons tous contribuer.

Depuis l’avènement du nouveau régime, on parle beaucoup des comptes publics, de leur falsification. S’en sont suivies des chutes répétitives des obligations du Sénégal, une dégradation de sa note au niveau des agences. D’abord, pouvez-vous revenir sur les implications de tout cela pour le pays ? 

Sur cette question, je voudrais rappeler simplement que les implications d’une telle situation peuvent être profondes et multiformes, car les comptes publics constituent la colonne vertébrale de la crédibilité financière d’un État, tant sur le plan interne qu’international. Lorsqu’on parle de falsification des comptes publics ou de perte de transparence dans la gestion budgétaire, cela peut entraîner des répercussions graves qui affectent à la fois la confiance des investisseurs, la stabilité économique et la vie quotidienne des citoyens. Permettez-moi de rappeler très rapidement les impacts que cela pourrait avoir à plusieurs niveaux. 

D’un point de vue économique, une dégradation de la note souveraine par les agences de notation est un signal d’alerte majeur. Cela signifie que les institutions internationales, les investisseurs et les partenaires au développement perçoivent un risque accru dans la capacité du pays à honorer ses engagements financiers. Concrètement, cela pourrait se traduire par un renchérissement du coût de l’emprunt pour le Sénégal. Les obligations émises par le pays, qui constituent une source essentielle de financement pour des projets d’infrastructures ou pour combler les déficits budgétaires, deviennent plus coûteuses en termes de taux d’intérêt. Cela alourdit la dette publique et réduit la marge de manœuvre budgétaire pour financer des priorités sociales comme l’éducation, la santé ou l’emploi. 

Il est aussi important de souligner que lorsque les obligations d’un pays perdent de leur attractivité, cela peut entraîner une fuite des capitaux et une dépréciation de la monnaie locale. Cela alourdit encore davantage le fardeau de la dette libellée en devises étrangères et contribue à une inflation qui touche directement les ménages les plus vulnérables.

Sur le plan intérieur, une gestion opaque ou problématique des comptes publics affecte directement les citoyens. Malheureusement, cette corrélation n’est pas souvent faite. Nous savons tous que l’instabilité financière limite les investissements publics, entraîne des retards dans la réalisation des projets et, dans certains cas, oblige le gouvernement à recourir à des mesures d’austérité. Sans aucun doute, cela peut exacerber les inégalités, accroître le chômage et générer un mécontentement social croissant. La confiance des citoyens est tout aussi importante. Une gestion saine et transparente des finances publiques n’est pas seulement une exigence technique, c’est une obligation morale vis-à-vis des populations.  

En plus de ce que je viens d’évoquer, il y a aussi un impact sur la réputation du pays à l’étranger. Le Sénégal a longtemps été perçu comme un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest. Une gestion douteuse des finances publiques risque de ternir cette image, ce qui pourrait décourager les investisseurs étrangers et compliquer l’accès aux financements concessionnels auprès des institutions comme la Banque mondiale ou le FMI.

Je pense que pour redresser cette situation, il est impératif de rétablir la transparence et la rigueur dans la gestion des comptes publics. Cela passe par des audits indépendants, un renforcement des institutions de contrôle et une meilleure communication sur la situation économique réelle du pays. Je pense surtout que le gouvernement doit également envoyer des signaux clairs aux investisseurs en adoptant des politiques budgétaires responsables et en garantissant que les ressources mobilisées soient allouées de manière efficace et équitable. C’est à ce prix que le Sénégal pourra restaurer sa crédibilité, relancer son économie et retrouver le chemin d’un développement inclusif et durable.

Le Premier ministre continue de faire beaucoup de bruit et de publicité sur cette affaire. Est-on obligé de faire cette mauvaise campagne au Sénégal ? 

Une affaire aussi délicate, surtout lorsqu’elle touche à la gestion des comptes publics, doit être gérée avec toute la rigueur qu’il faut. À mon humble avis, il faut éviter une certaine communication qui tend à polariser davantage l’opinion publique et à dégrader la sérénité nécessaire au débat national. Il faut certainement éviter une communication qui pourrait fragiliser la crédibilité de l’État, aussi bien aux yeux des citoyens que des partenaires internationaux. Je vois, de plus en plus, que le gouvernement se concentre sur des réponses concrètes, rigoureuses et discrètes, qui restaurent la confiance et la stabilité. Ce qui est à saluer.

Il est impératif de revenir à une gestion sobre, efficace et orientée vers les résultats. Ainsi, le gouvernement devrait continuer à privilégier des mesures correctives concrètes et des engagements fermes sur la gestion des affaires publiques. Le dialogue avec les institutions de contrôle, les experts et même l’opposition peut également renforcer la crédibilité des actions entreprises. 

Enfin, il faut investir dans des réformes qui impactent directement la vie des Sénégalais. Ce sont ces résultats tangibles qui redonneront confiance et légitimité, bien plus qu’une communication excessive autour d’une affaire.

Il a beaucoup été question, dans cette affaire, surtout en ce qui concerne le déficit et le taux d’endettement qui ont explosé, d’une divergence d’approches dans la gestion des prêts projets. L’ancien régime, paraît-il, n’en tenait pas compte dans le calcul de ces indicateurs. Est-ce forcément de la fraude ou simplement une question de méthodologie ? 

Je pense que cette situation soulève des questions complexes qui nécessitent une analyse nuancée. Les divergences dans les calculs des indicateurs financiers, comme le déficit ou le taux d’endettement, peuvent effectivement découler, soit d’une méthodologie différente soit d’une tentative délibérée de manipuler les chiffres.

Toutefois, il est crucial d’examiner les faits avant de conclure hâtivement.

Il est tout à fait possible que cela relève d’une différence méthodologique. Par exemple, certains régimes peuvent choisir d’exclure les prêts projets du calcul du déficit ou de la dette publique, arguant que ces prêts, souvent contractés auprès de bailleurs internationaux, sont liés à des investissements productifs. Ces investissements sont censés générer des retours économiques à moyen ou long terme (par exemple, via des infrastructures qui stimulent la croissance) et ne sont donc pas immédiatement considérés comme des charges budgétaires. Cette approche est parfois utilisée pour montrer une image plus favorable des comptes publics, mais elle n’est pas nécessairement frauduleuse si elle respecte les normes comptables et les standards internationaux, comme ceux établis par le FMI ou la Banque mondiale. Cependant, elle nécessite une communication claire et transparente pour éviter toute confusion.

Si ces prêts projets ont été intentionnellement omis pour masquer l’ampleur réelle du déficit ou de la dette publique sans justification technique ou légale, cela pourrait être interprété comme une fraude ou une manipulation comptable. La fraude, dans ce contexte, consisterait à délibérément cacher ou altérer des données pour présenter une situation économique artificiellement favorable. Une telle pratique, si avérée, pourrait gravement affecter la crédibilité du pays auprès des partenaires financiers et des citoyens.

Je voudrais insister, encore en fois, sur le fait que la gestion des finances publiques repose sur la confiance. Toute ambiguïté ou opacité, qu’elle soit intentionnelle ou non, peut éroder cette confiance, non seulement auprès des citoyens, mais aussi des partenaires internationaux et des investisseurs. Il est essentiel que le Sénégal, comme tout autre pays, suive des méthodologies claires et conformes aux standards internationaux. Cela garantit une comparabilité des données et renforce la crédibilité du pays sur les marchés financiers. Si des divergences méthodologiques ont conduit à une sous-estimation de la dette ou du déficit, cela peut avoir des conséquences importantes. Le gouvernement actuel se retrouve face à une situation économique plus tendue que prévu, ce qui limite ses marges de manœuvre pour lancer de nouveaux projets ou répondre aux attentes sociales.

Pour trancher cette question, il est indispensable de réaliser un audit indépendant des finances publiques, mené par des institutions crédibles et reconnues. Ce que le régime actuel a fait, si je comprends bien. Cet audit permettra de clarifier si les écarts dans les calculs relèvent d’une méthodologie différente ou d’une intention frauduleuse. Nous en saurons quelque chose une fois que le rapport de la Cour des comptes sera publié. 

Par ailleurs, il est urgent de renforcer la transparence et la communication sur la gestion des finances publiques. Expliquer clairement les choix méthodologiques, leurs justifications et leurs implications renforcerait la confiance des citoyens et des investisseurs.

Enfin, il est essentiel que le débat autour de ces questions reste technique et constructif. Plutôt que de politiser ces sujets, les acteurs doivent se concentrer sur des solutions pour renforcer la gouvernance financière du pays et éviter que de telles ambiguïtés ne se reproduisent à l’avenir. Le véritable enjeu est de garantir une gestion responsable et durable des ressources publiques pour le bien-être des générations actuelles et futures.

La Stratégie nationale de développement a été adoptée comme nouveau référentiel économique et social. Comment voyez-vous ce plan par rapport au PSE ? Avez-vous remarqué des ruptures systémiques entre ces deux plans ? 

La Stratégie nationale de développement : Sénégal Vision 2050 (SNV 2050) représente le nouveau référentiel des politiques publiques. Cependant, en examinant cette stratégie, il est important de se demander si elle apporte de véritables innovations, des ruptures pertinentes ou si elle constitue simplement une continuité. La SNV 2050 a le mérite de tenter d’apporter des ajustements aux lacunes du PSE, notamment en mettant un accent plus fort sur l’inclusion sociale et humaine. Pour que la SNV 2050 réussisse là où le PSE a montré ses limites, il faudra une mise en œuvre rigoureuse, des réformes structurelles ambitieuses et une gouvernance transparente. Sans cela, il risque d’être perçu comme un simple exercice rhétorique, sans impact réel sur le quotidien des Sénégalais. La réussite de la SNV 2050 ne sera pas mesurée par ses promesses, mais par ses résultats tangibles sur le terrain.

Dans le financement de cette stratégie, le gouvernement mise beaucoup sur les ressources internes et les diaspora-bonds. Est-ce qu’on n’a pas surévalué les capacités du marché intérieur et de la diaspora ? 

La question du financement de la Stratégie nationale de développement (SNV 2050) est cruciale et la volonté de mobiliser les ressources internes, ainsi que les diaspora-bonds, représente une démarche audacieuse. Cependant, il est légitime de se demander si ces sources de financement ont été correctement évaluées en termes de capacités réelles et de faisabilité.

Le gouvernement semble vouloir accentuer la mobilisation des ressources domestiques pour réduire la dépendance aux financements extérieurs. Cela inclut l’amélioration des recettes fiscales, la lutte contre l’évasion fiscale et la promotion des investissements locaux. Si cette ambition est louable, plusieurs défis importants subsistent.

Nous savons tous que le pays a un potentiel fiscal limité. Selon les données de la Banque mondiale, le taux de pression fiscale au Sénégal avoisine 16-18 % du PIB, bien en deçà de la moyenne africaine de 20 % et loin des standards recommandés par l’OCDE (environ 30 %). Cette faible performance est due à une économie informelle qui représente près de 40 % du PIB et échappe en grande partie à l’impôt. Les tentatives d’élargir la base fiscale risquent de rencontrer des résistances sociales, en particulier dans un contexte où les populations sont déjà confrontées à un coût de la vie élevé. Taxer davantage les citoyens sans une amélioration visible des services publics pourrait exacerber les tensions sociales.

Nous avons aussi une capacité d’épargne limitée. Le marché intérieur est encore faiblement développé pour absorber les besoins de financement à grande échelle. Le taux d’épargne nationale brute est estimé à environ 14 % du PIB (données FMI), insuffisant pour financer des projets massifs.

En ce qui concerne les diaspora-bonds, je n’en suis pas un spécialiste, mais je voudrais attirer l’attention sur quelques aspects. Les diaspora-bonds, qui consistent à lever des fonds auprès des Sénégalais vivant à l’étranger, sont une idée intéressante pour diversifier les sources de financement. La diaspora sénégalaise représente une force économique importante.

 En 2023, les fonds venus de la diaspora s’élevaient à 1 600 milliards de francs CFA (2,4 milliards d’euros), soit environ 10,5 % du PIB. Un montant nettement supérieur au 1,4 milliard d’euros d’aide publique au développement apportée par les institutions internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux. 

Cependant, plusieurs obstacles rendent ce mécanisme de financement incertain.

Quels sont ces obstacles ?

D’abord, la mobilisation de ces ressources est assez complexe. Les transferts de fonds de la diaspora sont majoritairement orientés vers le soutien aux familles et les besoins sociaux de base. Une étude de la Banque africaine de développement (Bad) révèle que près de 75 % des envois de fonds sont utilisés pour la consommation et les dépenses courantes, laissant peu de marge pour des investissements dans des obligations nationales. Convaincre la diaspora d’investir dans des diaspora-bonds nécessitera de garantir une transparence totale, des rendements compétitifs et une communication efficace pour instaurer la confiance. Si ces conditions ne sont pas réunies, le succès de cette initiative pourrait être limité.

Il y a aussi une forte compétition avec d’autres instruments de financement existants. Les diaspora-bonds devront concurrencer d’autres opportunités d’investissement, souvent perçues comme plus sûres ou plus rentables, notamment sur les marchés étrangers. Les Sénégalais de la diaspora, qui vivent dans des environnements financiers structurés, peuvent être réticents à investir dans des obligations nationales, si les garanties de sécurité et de rentabilité sont faibles.

N’oublions pas que des expériences d’autres pays africains montrent que les diaspora-bonds ne sont pas toujours des succès. Par exemple, le Kenya, malgré une diaspora importante, n’a pas réussi à mobiliser des montants significatifs lors de l’émission de ses diaspora-bonds, en raison de problèmes de communication et de manque de confiance (...). 

Pour éviter une surestimation des capacités de ces sources de financement, plusieurs mesures sont nécessaires. Je pense qu’il est plus que nécessaire d’avoir une approche de diversification des sources de financementPlutôt que de se reposer uniquement sur les ressources internes et les diaspora-bonds, le Sénégal devrait explorer d’autres instruments comme les partenariats public-privé (PPP), les financements concessionnels, et les investissements directs étrangers.

Il est crucial, à mon avis, avant de lancer des initiatives comme les diaspora-bonds, de mener des études de faisabilité pour comprendre les attentes et les capacités de la diaspora, et pour structurer des instruments adaptés. Miser sur les ressources internes et les diaspora-bonds est une démarche ambitieuse, mais elle comporte des risques, si elle n’est pas appuyée par des analyses réalistes et des garanties solides. Le potentiel existe, mais il est limité par la faible capacité fiscale et les priorités des transferts de la diaspora. Une approche équilibrée, transparente et bien planifiée est indispensable pour que ces initiatives soient crédibles et efficaces dans le financement de la Stratégie nationale de développement.

L'AG des Nations Unies a adopté, dernièrement, une résolution portant sur le retrait du Sénégal de la liste des pays les moins avancés, à l'horizon 2029. D’abord, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Quelles en sont les implications ? 

La sortie du Sénégal de la catégorie des pays les moins avancés (PMA) présente à la fois des opportunités et des défis. Cette évolution est généralement perçue comme un signe positif de progrès économique et social, mais elle comporte aussi des implications importantes qui doivent être soigneusement analysées pour éviter des conséquences négatives. La sortie des PMA reflète une amélioration dans plusieurs indicateurs de développement et peut être interprétée comme une reconnaissance des efforts entrepris pour moderniser l’économie et améliorer les conditions de vie des populations. 

Parmi les aspects positifs, on peut citer une reconnaissance internationale. Être reclassé hors des PMA signifie que le Sénégal a progressé dans des domaines comme la croissance économique, l’espérance de vie, l’éducation et les infrastructures. C’est une validation des politiques mises en œuvre au cours des dernières décennies. Cela peut aussi signifier une meilleure attractivité économique, puisqu’en quittant la catégorie des PMA, le Sénégal peut renforcer sa crédibilité auprès des investisseurs internationaux. Cela pourrait se traduire par une augmentation des investissements directs étrangers (IDE), car le pays sera perçu comme une destination plus stable et plus fiable pour les affaires. 

Mais aussi, c’est un levier de fierté nationale.  Pour les Sénégalais, cette évolution peut être source de fierté nationale et un signal de transformation économique et sociale. Cela montre que le pays progresse vers l’émergence, en ligne avec les ambitions définies dans le PSE et la SND.

D’autre part, sortir des PMA n’est pas sans conséquences et les défis associés à cette transition doivent être anticipés pour éviter des impacts négatifs. Comme nous le savons tous, les PMA bénéficient de régimes préférentiels en matière de commerce international, comme l’accès préférentiel aux marchés des pays développés pour leurs exportations. En quittant cette catégorie, le Sénégal pourrait perdre ces avantages, ce qui pourrait pénaliser certains secteurs clés, notamment l’agriculture et les produits manufacturés. Les PMA ont également accès à des financements concessionnels de la part d’institutions comme la Banque mondiale ou le FMI, avec des taux d’intérêt réduits et des conditions de remboursement avantageuses. La sortie des PMA pourrait augmenter le coût des emprunts pour le Sénégal, alors même que la dette publique atteint environ 80 % du PIB (2023). 

Si cette sortie est mal préparée, elle pourrait exposer le Sénégal à des difficultés économiques. La croissance économique récente n’a pas toujours été inclusive : environ 37,8 % des Sénégalais vivent encore sous le seuil de pauvreté. Quitter les PMA alors que des segments importants de la population n’ont pas encore ressenti les bénéfices du développement, pourrait aggraver les inégalités. 

Enfin, cette sortie crée des attentes plus élevées de la part des citoyens, des partenaires internationaux et des investisseurs. Si ces attentes ne sont pas satisfaites, cela pourrait générer des frustrations et éroder la confiance envers les autorités.

Vous me donnez l’opportunité d’insister sur le fait que notre sortie des PMA nécessite une stratégie de transition bien planifiée pour maximiser les bénéfices et minimiser les risques. Sans les avantages commerciaux des PMA, le Sénégal devra améliorer la compétitivité de ses produits et services sur le marché mondial. Cela implique d’investir dans l’innovation, la transformation industrielle et la diversification économique. Avec la diminution probable des financements concessionnels, le Sénégal devra trouver d’autres sources de financement, comme les partenariats public-privé (PPP) ou les investissements privés. Cela nécessite un cadre institutionnel solide et une gestion financière transparente. Sur un autre registre, la sortie des PMA doit aller de pair avec des efforts accrus pour réduire les inégalités sociales et régionales. Des investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures en milieu rural sont indispensables pour que cette transition bénéficie à tous. Il est essentiel de gérer la dette publique de manière prudente et de maintenir une discipline budgétaire stricte pour éviter que le Sénégal ne tombe dans une spirale d’endettement insoutenable après sa reclassification.

En un mot, la sortie des PMA est une étape importante dans le parcours de développement du Sénégal. Elle symbolise un progrès significatif, mais elle ne doit pas masquer les défis structurels qui persistent. Si elle est bien préparée, cette transition peut permettre au Sénégal de renforcer son positionnement économique et de consolider ses acquis.

Cependant, une sortie mal gérée pourrait accentuer les vulnérabilités du pays. La clé du succès réside dans une stratégie de transition rigoureuse, centrée sur la compétitivité, l’inclusion sociale et la résilience économique. Ce n’est qu’à ces conditions que cette étape marquera un véritable tournant vers l’émergence tant espérée.

L’exploitation du pétrole a commencé depuis environ six mois. Le gaz au début de l’année. Quels sont les principaux enseignements tirés de ce démarrage de l’activité ? 

Le démarrage de l’exploitation du pétrole et du gaz marque une étape importante pour l’économie sénégalaise, avec des perspectives prometteuses, mais aussi des défis majeurs. Après quelques mois d’activité, plusieurs enseignements peuvent déjà être tirés, tant sur les opportunités créées que sur les ajustements nécessaires pour maximiser les bénéfices de cette nouvelle ère énergétique.

J’ose espérer que les premiers revenus issus de la production pétrolière et gazière ont commencé à entrer dans les caisses de l’État, renforçant les finances publiques. Selon les estimations, le Sénégal pourrait générer environ un milliard de dollars par an, si les capacités de production atteignent leur plein potentiel. L’exploitation va également permettre de créer des emplois directs et indirects, en particulier dans les services liés à l’énergie et la logistique. Le démarrage de l’exploitation du gaz naturel va renforcer l’indépendance énergétique du Sénégal. Ce gaz peut être utilisé pour alimenter les centrales électriques locales, réduisant ainsi la dépendance aux importations de combustibles fossiles et diminuant les coûts de production énergétique. L’exploitation des hydrocarbures offre une opportunité unique d’investir dans d’autres secteurs économiques grâce aux revenus générés. Si bien gérés, ces fonds pourraient stimuler des secteurs comme l’agriculture, l’éducation, la santé et les infrastructures.

Les retombées économiques directes pour la population restent limitées à ce stade. Le secteur pétrolier et gazier, par nature capitalistique, ne crée pas immédiatement un grand nombre d’emplois pour les citoyens, surtout en l’absence d’une main-d’œuvre locale formée spécifiquement pour ce secteur. Les populations locales proches des zones d’exploitation se plaignent déjà de ne pas percevoir suffisamment les bénéfices de ces activités, ce qui pourrait alimenter des tensions sociales. Les revenus pétroliers doivent bénéficier directement à la population, notamment par le biais de projets sociaux, d’infrastructures locales et de programmes de réduction de la pauvreté. Une communication claire sur l’utilisation de ces revenus peut renforcer la confiance entre le gouvernement et les citoyens.

Les premières phases de production ont déjà soulevé des préoccupations environnementales, notamment les risques de pollution marine et terrestre. Si ces impacts ne sont pas gérés correctement, ils pourraient avoir des répercussions graves sur la pêche et l’agriculture, qui restent des secteurs clés pour l’économie sénégalaise.

L’un des principaux défis observés est la nécessité de garantir une gestion transparente des revenus issus du pétrole et du gaz. Le Fonds souverain du Sénégal pour les générations futures, créé pour gérer ces ressources, est un outil prometteur, mais il nécessite une surveillance rigoureuse pour éviter des détournements ou des gaspillages. 

Que faire pour éviter la malédiction du pétrole et du gaz ? 

Pour éviter ce piège, le Sénégal doit adopter une approche proactive et stratégique, basée sur des principes de gouvernance exemplaire, de diversification économique et de gestion durable des ressources.

Je l’ai dit plus haut, le Sénégal doit assurer une transparence totale dans la gestion des revenus pétroliers et gaziers. Cela inclut : la publication régulière des contrats d’exploitation signés avec les entreprises, la divulgation des revenus perçus par l’État, avec un suivi public de leur utilisation ; une implication active dans l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), qui promeut la responsabilité dans la gestion des ressources naturelles. 

Les revenus des hydrocarbures doivent être partiellement épargnés dans le fonds souverain pour les générations futures. Ce fonds doit être géré de manière indépendante et transparente ; avoir des règles strictes sur les investissements, en privilégiant des projets durables ; permettre une protection contre les chocs économiques liés à la volatilité des prix du pétrole et du gaz. Dieu merci, je sais que nos autorités travaillent sur ça avec détermination.

Je pense qu’une dépendance excessive aux revenus pétroliers expose l’économie aux fluctuations des prix. Le Sénégal doit investir ses revenus dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture avec une modernisation et un développement des chaînes de valeur pour garantir la sécurité alimentaire ; les infrastructures avec la construction de routes, écoles, hôpitaux et réseaux énergétiques pour stimuler l’activité économique ; l’industrie et les services avec le développement de zones industrielles et promotion de l’entrepreneuriat local ; soutenir les PME et l’innovation, car les petites et moyennes entreprises (PME) jouent un rôle clé dans la création d’emplois. Le gouvernement doit offrir des incitations fiscales, des subventions et un accès facilité au crédit pour encourager leur croissance.

Les ressources doivent être réinvesties dans le capital humain. Une partie des revenus pétroliers doit être consacrée à l’éducation et à la formation, en particulier dans les domaines techniques et scientifiques liés aux hydrocarbures. Cela permettra aux Sénégalais de jouer un rôle plus actif dans l’industrie pétrolière et gazière. Les ressources doivent également être utilisées pour améliorer l’accès à la santé et renforcer les filets de protection sociale. Cela garantit que la richesse générée bénéficie directement à la population, en particulier aux plus vulnérables.

L’exploitation des hydrocarbures doit être menée avec des normes strictes pour minimiser les risques de pollution, en particulier dans les zones côtières où la pêche est essentielle pour les communautés locales. Les entreprises doivent être tenues responsables de leurs impacts environnementaux, avec des mécanismes clairs pour la gestion des risques. 

Pour éviter une dépendance exclusive aux hydrocarbures, le Sénégal doit parallèlement investir dans les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique) et préparer une transition énergétique sur le long terme.

Le gouvernement doit impliquer la société civile, les communautés locales et les experts dans la prise de décision concernant la gestion des ressources. Il est crucial d’informer les citoyens sur les enjeux et les opportunités des hydrocarbures, pour éviter les malentendus et renforcer la confiance.

L’exploitation des hydrocarbures peut générer des tensions, si les bénéfices ne sont pas perçus comme équitables. Le gouvernement doit mettre en œuvre des politiques de redistribution qui profitent à tous, par exemple : investissements ciblés dans les régions productrices pour compenser les impacts locaux ; subventions ou programmes sociaux pour réduire les inégalités.

Pour éviter la malédiction du pétrole et du gaz, le Sénégal doit considérer ces ressources comme un moyen, et non une fin, pour son développement. Une gestion transparente, des investissements stratégiques et une diversification économique sont les clés pour transformer cette richesse en un moteur durable de prospérité. La priorité doit être de faire en sorte que cette opportunité bénéficie à l’ensemble des Sénégalais, aujourd’hui et pour les générations futures.

 Quels conseils donneriez-vous au gouvernement dans sa volonté de renégocier les contrats pétroliers et gaziers signés par le régime précédent ?

Renégocier les contrats pétroliers et gaziers est une démarche délicate, mais cruciale, si le gouvernement estime que les termes des accords actuels ne reflètent pas suffisamment les intérêts du Sénégal. Cependant, cette démarche doit être menée avec prudence et stratégie, pour éviter de compromettre la crédibilité du pays, attirer des litiges ou décourager les investisseurs. 

Voici les principaux conseils que je donnerais au gouvernement. Je présume que nos autorités savent tout ça déjà : établir une base juridique et économique solide. Avant toute renégociation, il est impératif de commander un audit complet et indépendant des contrats signés par le régime précédent. Cet audit permettra d’identifier les clauses désavantageuses pour le pays, les zones de flou juridique et les écarts avec les standards internationaux. Je pense que le gouvernement actuel travaille sur ça déjà. Le Sénégal doit éviter d’envoyer un signal négatif aux investisseurs en donnant l’impression qu’il ne respecte pas ses engagements. Il est donc crucial d’ancrer les renégociations dans les clauses contractuelles existantes, en s’appuyant sur les dispositions légales prévues pour réviser ou ajuster les termes. Comparer les termes des contrats existants avec les standards internationaux, comme ceux définis par l’ITIE ou par d’autres pays africains ayant des cadres similaires, pour justifier les demandes de renégociation.

Prioriser les intérêts nationaux sans compromettre l’attractivité : l’objectif des renégociations doit être de garantir que le Sénégal tire un maximum de bénéfices économiques et sociaux. Cela peut inclure une augmentation de la part des revenus pétroliers et gaziers reversée à l’État, des exigences accrues en matière de transfert de technologie et de formation de la main-d’œuvre sénégalaise (loi sur le contenu local), l’intégration d’obligations claires en faveur du développement local (infrastructures, emplois). Les investisseurs sont sensibles à la stabilité contractuelle.

Le gouvernement doit donc adopter une approche collaborative et non conflictuelle lors des renégociations. Une attitude trop agressive pourrait décourager les investissements futurs.

Renforcer la transparence et la communication : il est essentiel d’impliquer les institutions nationales comme l’Assemblée nationale et les organisations de la société civile dans le processus de renégociation. Cela renforcera la légitimité des actions entreprises par le gouvernement. La population doit être tenue informée des objectifs et des progrès des renégociations. Une communication claire et régulière évitera les malentendus et renforcera la confiance publique. Les contrats renégociés doivent être rendus publics pour garantir la transparence et permettre une surveillance citoyenne de leur mise en œuvre.

Le gouvernement doit s’entourer d’experts juridiques, financiers et techniques de haut niveau, y compris des consultants internationaux ayant une expérience dans la renégociation de contrats extractifs. Cela permettra de mieux défendre les intérêts du Sénégal. On pourrait tirer des enseignements des pays qui ont réussi des renégociations, comme le Ghana ou la Norvège, pour identifier les meilleures pratiques et éviter les erreurs.

Prévoir des mécanismes d’arbitrage et de résolution des conflits les renégociations peuvent entraîner des désaccords avec les entreprises, pouvant conduire à des arbitrages internationaux. Le gouvernement doit se préparer juridiquement à ces éventualités et s’assurer que les renégociations respectent les accords bilatéraux ou multilatéraux en vigueur. Plutôt que d’adopter une posture conflictuelle, privilégier des discussions constructives pour arriver à un compromis acceptable pour les deux parties.

Intégrer des clauses évolutives : dans les nouveaux contrats, il est essentiel d’intégrer des clauses qui permettent une révision périodique en fonction des évolutions économiques, technologiques et environnementales. Cela évitera de se retrouver à nouveau dans une position désavantageuse à l’avenir.

Concilier les enjeux environnementaux et sociaux : le gouvernement doit inclure dans les contrats renégociés des dispositions strictes pour limiter les impacts environnementaux des exploitations, garantir des compensations pour les communautés locales affectées, s’assurer que les entreprises opérantes contribuent au développement durable du pays.

Renégocier les contrats pétroliers et gaziers est une opportunité, pour le Sénégal, d’assurer une gestion plus équitable et plus transparente de ses ressources naturelles. Cependant, cette démarche doit être conduite avec une préparation minutieuse, une expertise solide et une volonté de maintenir un équilibre entre la défense des intérêts nationaux et la préservation d’un climat d’investissement attractif. En adoptant une approche transparente, collaborative et stratégique, le Sénégal pourra tirer pleinement parti de cette richesse tout en consolidant sa réputation comme une destination crédible et stable pour les investissements.

Le Sénégal a signé des conventions avec le Qatar et l’Espagne pour permettre à des jeunes d’aller dans ces pays pour des travaux temporaires. Cela ne traduit-il pas une certaine impuissance à prendre en charge efficacement et de manière souveraine la problématique du chômage des jeunes ?

Comme nous le savons tous, le chômage des jeunes est une problématique majeure au Sénégal où environ 60 % de la population a moins de 25 ans. L’économie peine à absorber chaque année les milliers de nouveaux diplômés et jeunes non qualifiés qui arrivent sur le marché du travail. L’industrialisation reste embryonnaire, le secteur informel domine et les opportunités d’emplois décents sont limitées.

Dans ce contexte, ces accords internationaux apparaissent comme une solution immédiate permettant à des jeunes d’accéder à un emploi et de subvenir aux besoins de leur famille. Les migrations temporaires encadrées peuvent ainsi offrir une alternative à l’émigration clandestine, qui expose de nombreux jeunes à des risques majeurs, notamment en Méditerranée ou dans le désert du Sahara.

Toutefois, il serait dangereux de considérer ces accords avec l’Espagne et le Qatar comme une solution durable au problème du chômage. Une dépendance excessive à l’emploi à l’étranger peut fragiliser l’économie nationale et limiter les ambitions du Sénégal en matière d’émergence et de développement.

Premièrement, ces politiques ne garantissent pas toujours des conditions de travail dignes. Plusieurs rapports ont mis en lumière les conditions difficiles des travailleurs migrants, notamment dans certains pays, où des abus ont été signalés.

L’État sénégalais a donc la responsabilité d’assurer un suivi rigoureux et de veiller au respect des droits de ses ressortissants.

Deuxièmement, ces conventions ne résolvent pas les causes profondes du chômage, qui résident dans le manque de diversification de l’économie, la faiblesse de l’industrialisation et l’inadéquation entre la formation et le marché du travail. Tant que ces problématiques ne seront pas résolues, l’exode des jeunes vers l’étranger restera une nécessité plutôt qu’un choix.

Le Sénégal ne peut pas se contenter d’être un simple réservoir de main-d’œuvre bon marché pour des pays étrangers. Nos jeunes méritent mieux que des solutions précaires et temporaires qui les éloignent de leur famille et de leur pays, parfois dans des conditions de travail difficiles et avec peu de perspectives d’évolution. Il est impératif d’engager des réformes structurelles profondes pour offrir à la jeunesse des opportunités réelles et durables sur le sol sénégalais.

Il faut élaborer une vraie politique migratoire qui s’accompagne d’une vision nationale forte.  Pour éviter que ces accords ne soient perçus comme un aveu d’impuissance, ils doivent s’inscrire dans une politique globale visant à créer des emplois au Sénégal. Cela passe par un investissement massif dans la formation et l’éducation en adaptant les formations aux besoins réels du marché, notamment dans les secteurs porteurs comme l’agro-industrie, le numérique, les énergies renouvelables et l’entrepreneuriat. Je pense aussi que des investissements massifs doivent être faits dans l’industrialisation et la diversification économique et surtout miser sur des politiques de transformation locale des matières premières et sur la création de pôles industriels régionaux pour absorber la main-d’œuvre locale.

Pour résorber le chômage, il est surtout impératif de renforcer le secteur privé et l’entrepreneuriat en encourageant l’accès au financement pour les jeunes entrepreneurs, développer des incubateurs et des zones économiques spéciales pour stimuler l’innovation et la création d’emplois.  Au lieu de chercher des solutions d’expatriation, il faut revoir les priorités économiques en mettant en place des stratégies d’investissement et d’industrialisation permettant de créer de la valeur ajoutée localement. La jeunesse ne doit pas être perçue comme un fardeau à exporter. Elle est une richesse, une force qui ne demande qu’à être mise à contribution pour construire un pays prospère et autonome.

Les conventions signées avec le Qatar et l’Espagne ne doivent être qu’une étape transitoire dans la lutte contre le chômage des jeunes. Si elles offrent une réponse immédiate et pragmatique, elles ne sauraient constituer une solution durable à long terme. L’État doit impérativement mener des réformes en profondeur pour créer une économie dynamique, génératrice d’emplois et moins dépendante des opportunités extérieures. 

Pour moi, l’urgence est à la mise en place d’un véritable plan de transformation économique qui redonne confiance et espoir à notre jeunesse, afin qu’elle puisse bâtir son avenir chez elle, au Sénégal.

Par Mor Amar

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