Hissène Habré cherche ses souteneurs
L'ancien président tchadien serait-il en prison aujourd'hui si Serigne Mansour Sy était encore de ce monde ? La question mérite d'être posée tant Hissène Habré était devenu un très proche du défunt khalife général des Tidianes. Aujourd'hui orphelin de Borom Daara ji, il doit se trouver des soutiens en perspective du marathon judiciaire qui vient d'être lancé par les Chambres africaines extraordinaires. A Ouakam, un de ses «fiefs», on semble partagé entre soutien et lâchage.
A Ouakam, l’évocation du nom de Hissne Habré provoque la méfiance chez les riverains. Assis à l’entrée de la rue qui mène chez l’ancien président du Tchad, un gardien d’origine guinéenne feint de ne pas comprendre lorsqu’on lui demande de nous indiquer le domicile de ce dernier. «Je ne sais pas», répond-il schlich. La peur s’empare subitement de ce jeune homme qui coupe court à la discussion. Et pourtant, le domicile recherché se trouve juste en face. C’est une villa apparemment discrète où les murs peints en jaune et noir sont recouverts de fleur. Et c’est là où Habré créchait depuis 23 ans, après avoir été chassé du pouvoir en 1990. EnQuête n’aura malheureusement pas la chance de rencontrer les membres de la famille de l’ex-président tchadien qui, selon le gardien, sont «absents». Ils sont sans doute préoccupés par le sort du chef de famille, Hissène Habré, placé sous mandat de dépôt depuis le lundi dernier. Il est accusé de crimes de guerre, crimes, crimes contre l’humanité, et tortures durant son règne (1982 à 1992) par le président près les chambres africaines extraordinaires, Bamba Fall.
Les choses semblent aller vite. Car, nombreux sont des gens qui ne s’attendaient pas à la tournure des événements tellement Habré bénéficie d’un solide soutien dans le milieu maraboutique comme traditionnel. Ses relations avec le défunt khalife général Serigne Mansour Sy était un secret de polichinelle. Cette proximité aurait d’ailleurs beaucoup joué lorsque le gouvernement de Wade avait voulu l'extrader manu militari vers le Tchad ; finalement abandonné. Aujourd’hui, les temps ont apparemment changé. Car, à part la bataille judiciaire engagé par ses avocats, on n’a pas noté une véritable action de soutien de la part des souteneurs de Habré. Ces derniers ont-ils abandonné l’ancien homme fort du Tchad ? Non, semble dire Cheikh Sy, fils de Serigne Mansour Sy Borom Daara ji. «Il est évident que les sheikh le soutiennent. Mais chez nous, nous n’avons pas l’habitude de faire des actions ostentatoires pour le soutenir», dit-il. «Dans un contexte où la communauté internationale surveille notre pays, si le lobbying devait se faire, il se ferait en sourdine pour ne pas gêner le pouvoir en place», ajoute Cheikh Sy. Toutefois, il reconnaît que tant que son père était vivant, Habré pouvait espérer vivre paisiblement au Sénégal. «Ils (Habré et Serigne Mansour Sy) étaient très liés. Ils se rendaient mutuellement visite», confie Cheikh Sy. Abdoul Aziz Sy Al Amine aura-t-il la même audace que son prédécesseur ? Rien n’est moins sûr, selon un observateur averti de la scène politique. «Junior ne peut le faire puisqu’il est un khalife intérimaire, même s’il soutient Habré. On ne peut pas le dire pour autant à propos de Cheikh Tidiane Sy qui était un conseiller de Mouammar Kadhafi, l’opposant de Habré».
«Macky Sall avait pris bonne note»
Dans son quartier à Ouakam, le président tchadien pouvait également compter sur les populations au point d’avoir mis sur pied un collectif. Mais ce soutien n’est apparemment plus ce qu’il était. Du moins de la part du Jaraaf de Ouakam, Youssou Ndoye. Trouvé chez lui, ce dernier, qui dit avoir porté personnellement le combat en faveur de Habré, ne veut entendre son nom. «Si je savais que vous alliez me parler de lui (Habré), je ne vous aurais pas reçu», dit le chef coutumier. Que reproche-t-il à l’ex-homme fort de N'Djamena ? «Lorsqu’on a mis sur pied les Chambres africaines, explique-t-il, des étudiants tchadiens sont venus me voir pour me demander d’intervenir auprès des autorités du pays pour sauver la tête de Hissène Habré. J’ai alors activé mes réseaux et le président Macky Sall m’a appelé au téléphone, alors que j’étais hors de Dakar, pour me dire qu’il avait pris bonne note», sans plus de précision. «Alors, j’ai organisé une conférence de presse pour faire part de ma médiation. Mais il ne m’a pas appelé pour me féliciter. Et je trouve cela ingrat de sa part», poursuit le Jaraaf. Tout le contraire de Babacar Ndiaye qui, lui, a juré fidélité à Habré «quel que soit Alpha». Ce membre du Collectif de soutien à Habré pense que ce dernier est un «digne fils de Ouakam» pour ses actions sociales. «Il soutient les villageois de Ouakam, contribue dans la mosquée. C’est très amer de le voir en prison.» Babacar ne compte pas rester les bras croisés ; il envisage de déposer une demande d’autorisation de marche pacifique pour dénoncer l’arrestation de son bienfaiteur. Pour lui, l’arrestation de Habré est plus politique que judiciaire. «On ne peut pas logiquement juger Habré, sans juger Idriss Déby (le président actuel du Tchad) qui est aussi impliqué dans ce procès. Il doit être arrêté. Ce sont les occidentaux qui nous manipulent. On ne doit pas l’accepter.»