Publié le 2 Jun 2021 - 21:59
AGRICULTURE

Péril sur les Niayes !

 

A cause d’une urbanisation galopante, l’eau devient de plus en plus rare dans les Niayes et dans le département de Rufisque, menaçant l’agriculture familiale, dans ce bastion de l’horticulture au Sénégal. C’était l’objet, hier, des dialogues Cicodev autour de la politique de l’eau productive dans les Niayes.

 

Le grenier se vide. A cause de la raréfaction de l’eau et du foncier, ils sont nombreux les maraichers, établis dans la zone des Niayes, à abandonner leur activité principale. Laquelle, pendant longtemps, a constitué leur principale source de revenus. Pour renverser cette tendance, particulièrement dans le département de Rufisque, l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement a mobilisé, hier, les acteurs, publics comme privés, dans le cadre de la restitution, à travers les Dialogues Cicodev, d’une étude relative à la problématique de l’eau productive. Pour le directeur exécutif de l’organisation, l’enjeu fondamental de cette étude, c’est de trouver le juste équilibre entre le développement industriel et la vocation agricole de la zone.

Amadou Kanouté : ‘’Il est fondamental d’avoir une politique claire en matière de gestion de l’eau pour répondre de façon adéquate aux usages multiples de cette ressource par les populations. C’est justement l’objet de ces présents travaux qui permettent de réunir toutes les parties prenantes, d’échanger et de trouver des solutions consensuelles qui vont servir de bréviaire dans le cadre du plaidoyer’’.

L’eau se raréfie dans le département de Rufisque

Chez les ruraux, les propos sont unanimes. L’eau se raréfie de plus en plus dans le département de Rufisque qui concentre l’essentiel des terres agricoles de Dakar, avec sa superficie représentant 2/3 de la région. Agé de plus de 70 ans, Ddoudou Diop revient sur la lancinante question de la disponibilité et de l’accessibilité de l’eau dans la zone des Niayes. Il peste : ‘’Nous sommes fatigués. Avant, l’eau était juste à la surface. Par la suite, on a commencé à avoir des puits en ciment pour y accéder, mais, il suffisait de creuser entre 4 et 6 mètres. Mais de nos jours, on peut creuser jusqu’à 16 mètres sans trouver de l’eau. Ceux qui ont les moyens arrivent à mettre en place des forages, mais pour les petits producteurs des périmètres familiaux, c’est impossible. C’est une situation difficile et il faut y remédier’’.

Selon le sexagénaire qui vient de Mbawane dans la commune de Cayar, beaucoup d’agriculteurs ont ainsi abandonné leurs champs pour s’adonner à d’autres activités, à cause notamment de ce phénomène.

Dans la zone des niayes, l’eau n’est pas que rare. Quand elle est accessible pour certains, il y a son coût qui le rend hors de portée de certains producteurs. En effet, avec le recul de la nappe phréatique, les petits producteurs qui n’ont pas les moyens d’installer leurs propres forages ont recours aux installations de la SONES, mais le cout est jugé exorbitant et les quotas très minimes par rapport à leurs besoins. ‘’Les agriculteurs, soutient Monsieur Diop, peinent à accéder à ces installations. Avant, dans notre zone, il y avait plus de 300 membres qui avaient leur compteur. Après, parce qu’ils avaient des difficultés à honorer leurs factures, on a enlevé ces compteurs. Aujourd’hui, il y a juste 45 producteurs qui ont des compteurs. Il faut que l’Etat aide les petits agriculteurs à accéder aux branchements et à rendre supportable le coût’’.

Abondant dans le même sens, Serigne Mbacké Tine rouspète : ‘’Nous rencontrons beaucoup de difficultés. Nous peinons à arroser correctement nos surfaces, parce qu’on est limité par les quotas. Lesquels sont décidés par les services du ministère de l’Hydraulique. Nous avons assez de surfaces cultivables, mais on n’a pas de l’eau. Je pense qu’il faut que les forages de Beer Thialane et de Thiaroye soient carrément consacrés au maraichage’’. Et d’ajouter : ‘’L’eau est excessivement cher. Plus on consomme, plus le prix est cher. Et cela se répercute sur la compétitivité de nos produits. Des pays limitrophes et le Maroc nous concurrencent sérieusement, parce que l’eau y est beaucoup moins cher ; parfois même gratuit. Or, nous avons tous les atouts. Nous avons l’eau, nous avons un bon climat. On devrait être plus qu’autosuffisant en fruits et légumes. Mais les producteurs ne sont pas suffisamment soutenus’’.

L’abandon des petits producteurs profite aux spéculateurs fonciers

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, l’abandon des petits producteurs de leurs périmètres profite surtout aux spéculateurs fonciers, aux conseils municipaux, entre autres. C’est le constat de Doudou Diop qui ne met pas de gants pour interpeller les maires et ceux qu’il désigne par ‘’les agriculteurs du dimanche’’. ‘’Ils sont toujours à l’affut et ils ont les moyens. Souvent ces agriculteurs qui n’ont plus les moyens de produire leur cèdent leurs champs, parfois à vils prix. Parfois, ce sont les maires qui reprennent les terres pour les morceler. Ce qui fait que l’activité agricole perd de plus en plus du terrain dans la zone des niayes’’. 

Dans la même veine, Serigne Mbacké Tine rouspète également contre la boulimie de certains élus. Il déclare :  ‘’Je pense qu’il urge de prendre des mesures dans la zones des Niayes, pour sauvegarder les terres agricoles. Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités et arrête les maires qui font des lotissements à tort et à travers. Les zones agricoles, il faut les laisser aux activités agricoles. Cela doit être clair’’.

Gorgui Ciss, maire de Yenne : ‘’Il faut trouver le juste milieu’’

Accusés, les maires ne manquent pas d’arguments pour se défendre. Représentant le Conseil départemental de Rufisque à la cérémonie, Gorgui Ciss, par ailleurs maire de Yenne, rejette et soulève la responsabilité des producteurs. Il dit : ‘’Il faut noter que la plupart des terres dont vous parlez, ce sont les populations elles-mêmes, les agriculteurs notamment, qui font des morcellements et qui décident de les céder. La plupart des élus ne font que régulariser des situations de fait qui existent sur le terrain’’.

Aussi, soutient l’édile de Yenne, il y a aussi que la terre est une ressource non renouvelable non extensible ; alors que la population, elle, augmente sans cesse et a besoin de terrains à usage d’habitation. ‘’Et comme vous le savez, la superficie de la région de Dakar fait moins d’1% de la superficie du Sénégal. Et Rufisque constitue 2/3 de cette superficie. C’est pourquoi, il constitue le seul lieu d’accueil de la forte demande de parcelles à usage d’habitation. Il faut donc trouver le juste équilibre entre cette nécessité de satisfaire les demandes en logements et celle de préserver l’agriculture familiale au niveau des espaces dédiés’’.

Selon les participants, cette question est vitale pour l’agriculture familiale dans la zone des Niayes et particulièrement dans le département de Rufisque. Jusque-là, l’urbanisation a tendance à prendre le dessus sur l’agriculture. Et l’exemple le plus éloquent, c’est l’activité principale de reconversion pour nombre de désormais anciens agriculteurs. En effet, il résulte de l’étude que beaucoup de personnes qui cèdent leurs champs se reconvertissent dans la vente de matériaux de construction.

DEMANDE EN EAU RUFISQUE

Une croissance de 17% par an à cause de l’urbanisation

Par ailleurs, les informations livrées par le représentant de la Sen Eau font croire que si l’Etat ne prend pas à bras le corps la problématique, il y a de quoi s’inquiéter pour l’horticulture dans le département de Rufisque. ‘’Le rythme de croissance de la demande en eau dans le département est de 17%. Chaque mois, on enregistre 1000 demandes de branchements.

Ailleurs, c’est la demande pour trois années. Ce qui veut dire qu’il y a des déficits importants en eau et quand c’est le cas, la satisfaction de la demande en eau potable a la priorité. Ce qui fait que parfois, à certaines périodes, les producteurs ont des difficultés. Mais avec les investissements réalisés par l’Etat, la ressource sera plus disponible et pour les ménages et pour les producteurs’’. En outre, les participants ont plaidé pour l’utilisation de l’eau de L’ONAS dans les périmètres agricoles, au lieu de les drainer vers la mer’’.

MOR AMAR

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