Plus qu’un artiste, un citoyen au service de son peuple
Evoluer en Guinée ne permet pas aux artistes de bien vivre. Beaucoup d’entre eux sont allés vivre en Europe, aux Usa ou même en Asie. Amadou Keïta alias ‘’Ama La Joie’’, danseur, acrobate et chorégraphe, a lui décidé de rester au pays et de participer au développement de son terroir.
Visage triste, sourire forcé, regard absent, Amadou Keïta est, ce jour, loin de l’image que renvoie son nom de scène ‘’Ama La Joie’’. ‘’Je l’ai choisi parce que je donne de la joie à tous’’, explique-t-il. Mais ce n’était pas le cas, hier, quand il recevait ‘’EnQuête’’ au centre culturel régional de Dakar Blaise Senghor. Son faciès mélancolique laissait transparaître de douloureux sentiments. ‘’Vous savez, dans mes spectacles, je traite de diverses thématiques dont celles de l’émigration clandestine. Me voilà aujourd’hui victime de ce fléau. On m’a annoncé hier soir (lundi soir) que mon frère de sang est décédé, en essayant de rallier l’Espagne à bord d’un bateau. Il venait du Maroc’’, confie-t-il avec affliction. ‘’Je vous parle, mais je ne vais pas bien. J’ai essayé de le dissuader du mieux que j’ai pu, sans succès. Je ne cesse de dire aux jeunes que l’Europe n’est pas l’eldorado tel qu’ils le pensent. Je connais l’Europe et la vie n’y est pas du tout facile’’, assure-t-il.
D’ailleurs, pour quelqu’un qui a l’opportunité de vivre outre-Atlantique, le chorégraphe et acrobate hors pair a décidé de rester dans son pays, la Guinée, où il a monté sa compagnie Wontanara (Ndlr : être ensemble). ‘’Pour moi, on peut réussir en restant en Afrique. Je n’ai pas voulu m’établir en Europe parce que je considère que je fais partie de ceux qui doivent aider la Guinée à se développer’’, dit-il fièrement. C’est ainsi qu’il a créé une école de danse, de cirque et de percussions dans son pays. Rien ne prédestinait, pourtant, ce jeune à un tel avenir. Il aspirait à être footballeur professionnel, au moment où ses parents souhaitaient qu’il devienne un cadre dans l’Administration. De ses talents de passeur, il passe à acrobate, puis danseur. Il est alors intégré dans Circuits Baobab et est en même temps dans le Ballet national de la Guinée. Il jouera même le rôle de Soundjata Keïta, dans l’une des pièces de cette compagnie.
En 2005, Circuits Baobab vole en éclats. Ama La Joie décide alors de monter sa propre compagnie, Wontanara Circuits, qui a son siège au quartier Taouyah, dans la commune de Ratoma, à Conakry. Le choix du nom, il l’explique aisément. ‘’On est ensemble, parce que je considère qu’on est une famille. Wontanara est une école. Je forme des jeunes issus de milieux défavorisés, des jeunes déscolarisés, abandonnés ou vivant dans la rue. Je les forme dans le cirque, la percussion et la danse’’, affirme-t-il. Son propre parcours l’a poussé à vouloir venir en aide à cette catégorie de la population.
A 12 ans, Amadou Keïta a voulu devenir artiste. Ses parents ont dit niet, parce qu’étant des Peulhs, ils considéraient que leur enfant ne pouvait embrasser un tel métier. ‘’J’ai dû fuir la maison familiale pour exercer ma passion. Aujourd’hui, j’ai pu réussir dans ce que j’aime. Ce qui m’a permis de former beaucoup de personnes dont des membres de ma famille’’, indique-t-il.
Actuellement au Sénégal, Amadou est avec sa vingtaine d’artistes. ‘’Je travaille avec beaucoup de maisons de production. J’ai des artistes que j’ai formés qui sont en Amérique, en Asie, en Europe. On est actuellement à Dakar parce que nous devons nous rendre au Brésil pour une manifestation. Nous sommes venus pour les visas’’, fait-il savoir. Ils en profitent pour se produire à Blaise Senghor, ce jeudi. Le spectacle sera gratuit pour le public.
Ce ne sera pas sa première prestation au ‘’pays de la Teranga’’. ‘’J’étais ici en 2010 avec 200 artistes guinéens, lors de l’ouverture du Festival mondial des arts nègres (Fesman). Je faisais partie des chorégraphes’’, se souvient-il.
Projet de festival en stand-by
Par ailleurs, même si son métier est bien aimé et respecté en Europe, Amadou Keïta et ses artistes ne sont pas si bien considérés chez eux et en Afrique, généralement. ‘’En Europe, aux Usa, en Asie, on est bien payé, bien pris en charge. Malheureusement, en Afrique, pour jouer dans d’autres pays, c’est moi qui prend en charge tout’’, se désole-t-il. Dans son pays, malgré son vœu d’aider la jeunesse, il n’est pas soutenu par les gouvernants. ‘’Il faut aider les jeunes qui évoluent dans le monde artistique. L’Etat finance beaucoup le football et ne considère pas les artistes qui ne sont même pas payés. On remporte des trophées partout. A la compétition ‘’L’Afrique a un incroyable talent’’, Les frères Sylla ont gagné le premier prix. Cela démontre qu’il y a du talent chez nous. L’Etat doit nous soutenir et nous aider à avoir du matériel pour travailler. Quand j’ai commencé, je ne gagnais rien dans ce métier’’, révèle-t-il.
Pour lui, l’art peut vendre la destination des pays africains. ‘’J’organise des stages de danse et de percussions auxquels prennent part des gens d’autres nationalités. J’organise également des échanges culturels entre la Guinée et d’autres pays’’, informe l’artiste. Aujourd’hui, il a un projet de festival qui tarde à voir le jour, faute de sponsors. Il est d’avis que si l’Etat guinéen les soutenait tel que l’Etat sénégalais le fait avec ses artistes, il s’en sortirait mieux. ‘’Quand je suis arrivé ici, j’ai été bien accueilli par M. Balla (Ndlr : Balla Ndiaye, Directeur du centre culturel Blaise Senghor). Il m’a traité comme si j’étais un Sénégalais. Ce qui démontre qu’il est un vrai Africain. Ce que j’ai vu ici est un bel exemple de soutien’’, se réjouit-il.
BIGUE BOB