‘’La peinture sous-verre est essentiellement narrative’’
Elle a tourné le dos à l’enseignement de la littérature, mais elle n’a jamais cessé de transmettre sa passion et ses connaissances artistiques. La plasticienne Anta Germaine Gaye anime l'atelier ‘’Fer et Verre’’. Diplômée de l'École normale supérieure d'éducation artistique de Dakar, elle est surtout connue pour sa pratique artistique qui englobe notamment la peinture sous-verre. Dans le cadre d’un atelier organisé par le Goethe-Institut, en partenariat avec le Pénc 1.9, cette grande dame, qui a enseigné l’éducation artistique, s’est confiée à ‘’EnQuête’’.
Parlez-nous de votre atelier ‘’Fer et verre’’…
J’ai enseigné jusqu’à ma retraite, dans la Fonction publique, l’art et plus particulièrement l’éducation artistique, ce qui n’est pas tout à fait de l’art, mais plutôt une activité d’éveil des jeunes à l’art. Et l’atelier ‘’Fer et Verre’’ que je dirige est un atelier de partage et d’échange, donc de rencontres. Je dispense des formations et je reçois également des gens avec des talents divers.
C’est ainsi que l’atelier a abouti avec les activités du Vendredi Slam, qui regroupe un groupe de jeunes qui s’expriment par le slam, cette poésie contemporaine. Les vendredis, on se retrouvait à la nuitée et on chantait, on déclamait, on dansait, on échangeait. Et c'était fabuleux, parce que cet atelier avait une activité presque cathartique, puisque les gens, pour la première fois, parfois, s'exprimaient. Ceux qui n’avaient jamais osé s’exprimer sont ainsi arrivés à le faire. Et c’est bien. Nous avons déjà travaillé sur différentes rubriques telles que La peinture sous-verre ; L’initiation des jeunes et moins jeunes, disons pour tout âge ; des Exercices de calligraphie, de l’ikebana ; La florale japonaise dans laquelle j’ai subi des classes et que je pratique. L’ikebana, ça doit être le reflet de la nature. Notre nature n’est pas celle d’un pays en hiver, ni celle d’un pays complètement déserté. Et c’est donc avec les végétaux, les branches sèches ou vives que l’on trouve. Et on suit des règles bien précises. J’ai participé à toutes les éditions du Partcours qui doit fêter cette année-ci ses 20 ans. C’est une série d’ateliers qui sont ouverts et les gens peuvent aller d’atelier en atelier, voir un peu ce que les gens font. On s’expose soi-même où on expose des groupes.
C’est ainsi que j’ai pu révéler des talents à partir de cet atelier, comme Fally Sène Sow que l’on connaît à présent, qui est mon fils d’adoption et qui a été mon ancien élève.
Vous avez étudié la littérature, mais le virus de l’art vous a piquée et vous avez choisi de peindre plutôt que d’enseigner les lettres à l’université. Pourquoi ?
Au terme de ma formation à l’université Cheikh Anta Diop, j’ai réalisé que je n’avais pas du tout envie d’aller enseigner la littérature. J’adore la littérature. Je pense que je suis une vraie littéraire. Mais les conditions d’enseignement… c’était quelque chose d’incomplet, pour moi. Enseigner la littérature toute la vie, je veux bien. Mais je sentais que je voulais passer ma vie à pratiquer l’art. Ce n’était pas très clair, pour moi, au départ. Est-ce que j’allais peindre ? Est-ce que j'allais dessiner ? Est-ce que j’allais écrire ?
Et qu’est-ce qui a finalement guidé votre choix ?
C’est le fait de réaliser que j’étais à un tournant, que j’allais carrément prendre une direction et que je ne pouvais plus revenir en arrière et que j’allais passer à quelque chose qui était essentiel pour moi. C’est plutôt cette crainte-là. Mais ce n’est pas un facteur extérieur. Je me suis dit : ‘’Mais attendez ! Je vais tout de suite aller enseigner et puis je ne vais faire que ça. Ça prend bien assez de temps et bien assez d’énergie. Mais moi, je suis artiste, je ne peux pas faire ça seulement.’’
Donc, j’ai décidé d’aller dans une école d’art. La formation que j’ai pu avoir était celle de professeur d’éducation artistique. C’est-à-dire, on recrute des bacheliers et, au terme de quatre ans d’études, sous le régime de normalien. Il y a un engagement décennal dans la Fonction publique pour enseigner, puisqu’on a une bourse.
On enseigne aux enfants comment exprimer des choses par les couleurs, par les formes, par la matière. Alors que, par exemple, le professeur de français, il les fait exprimer par des mots. Voilà ! C’est la différence. C’est juste ça. Donc, j’ai eu beaucoup de chance, puisque cette école m’a permis d’apprendre les rudiments que je devais après aller enseigner. Mais aussi, cette école m’a confirmée dans ma vocation d’enseignante. Je pense que je suis essentiellement enseignante. Et même, je le crois, je suis pédagogue.
Et pour enseigner, il faut aimer transmettre ; il faut aimer aider l’autre à oser ; il faut aider l’autre à se révéler à lui-même. Je crois que cela aussi, c’était en moi. Donc, je dirai que j’ai eu beaucoup de chance, même si, au départ, j’ai eu le manque de compréhension de mon entourage pour qui c’était une lubie. Mais, au fil du temps, je pense que ce même entourage a beaucoup apprécié ce que je faisais. Par la suite, je me suis retrouvée à être le mentor ou alors la personne qui booste les jeunes femmes et les jeunes hommes qui veulent aller dans cette direction, qui ne savent pas trop comment faire. Et je pense que mon profil et mon parcours ont aidé à convaincre beaucoup de parents, puisque ce n’était pas enviable dans beaucoup de maisons.
Comment en êtes-vous venue à la peinture sous-verre ?
Lorsque j’ai rédigé mon mémoire de Maîtrise, j’avais pris comme thème ‘’La société traditionnelle dans l’œuvre romanesque d’Ousmane Socé Diop’’, son roman ‘’Karim’’. J’avais parlé de cette société-là. Cette société saint-louisienne avec des pérégrinations dans Rufisque, Gorée, Dakar (les 4 quatre communes). Et en prenant mon sujet de mémoire, par des recoupements, je me suis dit qu’il faut qu'il y ait un lien entre ce que je fais et ce que je vais faire pour que ça ne soit pas perdu. En plus, mes sources d’inspiration étaient les mêmes. C’était la société saint-louisienne, musulmane, à la fois traditionnelle et très avant-gardiste. Et c’est une société métisse avec des emprunts dans différentes cultures et avec une symbiose qui a donné ce qu’on sait, à tel point qu’Ousmane Socé Diop appelait Saint-Louis du Sénégal par cette phrase : ‘’Au centre du bon goût et de l’élégance.’’ J’ai donc pris la parure.
Et lorsque je l’ai prise, un de mes professeurs m’a dit : ‘’Tu ne peux pas traiter ce sujet sans faire de la peinture sous-verre… Avant d’aller voir ceux qui font de la peinture sous-verre, j’ai fait moi-même des essais. Des accidents dans ces essais-là (un verre brisé, un verre gratté qui révèle des choses imprévues) m’ont donné une direction. Et quand je suis allé voir les gens qui faisaient de la peinture sous-verre, longtemps après, ça m’a confortée dans l’idée que je n’allais pas faire la peinture académique - si l’on peut dire - mais que j’allais juste prendre le verre avec tout ce qu’il offrait, tout ce qu’il permettait de faire et que mes recherches se feraient sur le verre. Je n’ai jamais cessé de considérer chacune de mes œuvres comme une étape de mes recherches sur le verre, en faisant passer des émotions, une partie de mon histoire, et de mes rêves également.
L’utilisation du fer est également votre marque de fabrique. Qu’est-ce qui explique votre amour pour ce métal ?
Je pense que pour le fer, il doit y avoir une influence de vitro dans les églises. La peinture sous-verre est apparentée aux icônes que l’on trouve dans les vitraux des églises : des figures saintes qui sont faites en verre soufflé et tout, mais enchâssé dans du plomb. Peut-être que c’est cette dualité, ce paradoxe entre le verre qui est vraiment fragile et le plomb, le métal. Peut-être c’est cela ; la loi des contraires qui s’attirent. Le dur et le fragile, le yin et le yang, l’ombre et la lumière cohabitent. Je me suis laissé aller à mes inspirations sans me donner de limites.
Quelle est l’histoire de la peinture sous-verre au Sénégal ?
Il y avait des Libano-Syriens qui, au début du XXe siècle, faisaient venir des chromolithographies représentant des figures saintes. On en trouvait dans les vieux calendriers. C’était également des saints des confréries khadriya et tidjaniya, comme Cheikh Ahmed Tidiane Chérif.
Que s’est-il passé par la suite ?
Le gouverneur général de l’AOF, William Ponty, a commis une circulaire interdisant la circulation de ces images saintes, parce qu’elles avaient une très grande influence sur l’esprit, disait-il, des Africains, des colonisés qui devaient juste être influencés par la France.
Ainsi, cette circulaire interdisait la vente, la circulation, l’utilisation et l’achat de ces images. Des ouvriers (charpentiers, maçons, couvreurs, etc.), ceux qui avaient accès aux matériaux des chambres de commerce y trouvaient du verre industriel, ont mis ces verres-là sur les images et les claquer. Mais, au fil du temps, ces peintures de saints se sont substituées également à des peintures des saints du terroir comme Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadj Malick Sy, Seydina Limamou Laye. Il y avait également des paraboles qui étaient racontées. Ces images saintes renferment des histoires. La plupart des peintres étaient instruits en arabe. C’était des lettrés, mais la majeure partie des masses auxquelles ils s’adressaient étaient des analphabètes. Alors, ils allaient dans les campagnes montrer ces images en racontant des histoires. Et les gens achetaient ces images ou donnaient quelques pièces pour connaître la suite de l’histoire.
Mais il y a eu après un genre de migration (quelque chose qui ne reste pas sur place, qui évolue). Au-delà des images saintes, il y a eu celles profanes, qui ne parlaient plus de religion, mais de la vie en général. Il y avait aussi des images satiriques qui racontaient des histoires drôles, par exemple, quelqu’un qui court, parce que le lion le poursuit ; il s’apprête à grimper sur un arbre, mais un grand serpent l’attend là-bas. Il y avait également des figures de mode comme Al Demba avec son grand pantalon bouffant qui danse.
Avec l’avènement de la photographie qui n’était pas à la portée de tous, il y avait les photographies des élégantes de l’époque et de figures religieuses qui étaient reprises en couleurs. Et beaucoup demandaient qu’on leur fasse des cadres en verre avec de belles images des coques, des fleurs, des oiseaux, ils mettaient leur photo dedans. A l’avènement d’une grande mode appelée le ‘’Xoymet’’, on mettait partout sur les murs des photographies, des objets d’autruche ou de peigne, pour décorer et pour accueillir la mariée. Dans toutes les maisons, tous les murs étaient enluminés de ces photos-là.
Qu’est-ce qu’il y a eu de nouveau dans la pratique de cet art ?
C’est une question de mode. On reconnaît un mobilier grâce aux caractéristiques de l’époque où il a été fait. Les gens étaient très conventionnels. Et dès qu'ils en avaient les moyens, ils achetèrent ce qui se faisait. Lorsque vous regardez les photos de femmes, vous pouvez savoir en quelle année elles ont été photographiées grâce à la coiffure, au tissu de l’époque, à la posture même. C’est pour cela qu’on dit que la peinture sous-verre est essentiellement narrative. Témoin d’une histoire, dans un lieu déterminé, elle racontait très joliment, avec de très jolies couleurs.
A part la peinture, quelles autres passions avez-vous ?
C’est la vie tout simplement (elle aime particulièrement les fleurs). C’est l’écriture, ma famille, mes amis, c’est l’autre. L’autre ne m’est jamais indifférent. Et c’est ma foi et ma croyance. J’ai la conviction qu’il y a une vie ici, qu’il y a une autre vie qui va arriver.
BABACAR SY SEYE