Publié le 23 Mar 2021 - 00:05
APAISEMENT DES TENSIONS PAR LES CHEFS RELIGIEUX

Une plus-value sociale à consolider

 

Le Sénégal a frôlé la catastrophe, le temps des violentes manifestations qui ont récemment secoué le pays. Malgré tout, le calme a repris le dessus. Si l’influence des chefs religieux a joué un rôle primordial dans ce scénario, la perte de vitesse notée dans l’écoute à l’endroit de ces ‘’faiseurs de miracles’’ peut constituer un danger pour la stabilité sociale du pays.

 

Au moins 10 morts, plus de 100 blessés, une centaine d’arrestations, des dégâts matériels évalués à plusieurs milliards de francs CFA. Deux semaines après les violentes manifestations qui ont été observées au Sénégal, dans la semaine du 3 au 8 mars 2021, le bilan reste toujours à officialiser. Mais un sentiment de soulagement domine, malgré tout. Car, l’on ne s’y trompe pas : cela aurait pu être pire. Ce ouf, on le doit, en grande partie, à l’intervention des chefs religieux qui, par le biais de leurs émissaires, ont su trouver les mots pour ramener les deux parties à de meilleurs sentiments.

Toutefois, si le Sénégal a pu en arriver à une extrémité pareille dans ses tensions politiques et sociales, c’est que, quelque part, l’influence des chefs religieux, sur les décideurs et la marche de la société, a été quelque peu mise à mal, depuis plusieurs années.  

Ces derniers sont toujours intervenus dans le règlement des crises politiques. Mais, observe le docteur Aoua Bocar Ly Tall, ‘’on a vu leur influence s’éroder ; les gens les écouter moins’’. Un fait qu’explique la sociologue, spécialiste des questions religieuses, par des relations incestueuses qu’entretiennent depuis toujours les pouvoirs religieux et politiques : ‘’Ils collaborent même si, à l’origine, le religieux est un contrepouvoir. L’on voit le pape faire des visites d’Etat dans des zones politiquement tendues (dernièrement, visite du pape François en Iran). L’on voit également des politiciens rendre visite à des religieux pour consolider leur pouvoir.’’

‘’Le seul nom de famille Mbacké, Sy, Tall, Niasse, etc., n’est pas un gage de sagesse et de connaissances’’

La chercheure associée à l’Institut des femmes de l’université d’Ottawa impute la responsabilité du recul de l’aura des marabouts à plusieurs facteurs que l’on retrouve dans la grande famille maraboutique. ‘’Il y a eu quelque part des abus’’, dénonce-t-elle. Avant d’ajouter : ‘’Des gens se sont improvisés marabout. Mais n’est pas chef religieux qui veut. Le seul nom de famille Mbacké, Sy, Tall, Niasse, etc., n’est pas un gage de sagesse et de connaissances. Cela nécessite une certaine érudition, une posture, une façon d’être et de faire. La population ne se trompe pas. Elle n’écoute pas de faux marabouts.’’  

Autre fait que le Dr Aoua Bocar Ly Tall estime parmi les causes de la réduction de l’influence des religieux auprès de la population, est l’intégration, dans la scène politique, de chefs religieux qui, souvent, y perpétuent des pratiques prohibées par une bonne partie de la société. Sans oublier ceux qui bénéficient de largesses de politiciens ou d’hommes d’affaires au capital financier douteux. ‘’De telles pratiques choquent la population. Finalement, l’on ne sait plus qui est le bon marabout et celui qui se couvre de sa descendance religieuse pour des intérêts matériels, politiques, etc. Les chefs religieux doivent faire le ménage au sein de leur entourage. Ils doivent garder le respect que leur voue la population de par leurs connaissances et leurs savoir-faire’’, analyse celle qui mène une recherche-action sur ‘’Islam, droit des femmes et développement durable’’.

Auteur de plusieurs livres dont l’ouvrage ‘’De la reine de Saba à Michelle Obama : Africaines, héroïnes d'hier et d'aujourd'hui : à la lumière de l'œuvre de Cheikh Anta Diop’’, la sociologue n’exclut pas l’évolution des comportements sociaux. ‘’Ce qui existait au temps d’El Hadj Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et des grands hommes religieux du Sénégal ne peut plus être. Il n’y a plus un suivi aveugle des enseignements du marabout. On a vu des communautés religieuses rejeter des consignes de vote de leur marabout. Cela est arrivé sous plusieurs magistères des différents présidents qui se sont succédé’’, fait-elle remarquer.  

‘’Il n’y a plus un suivi aveugle des enseignements du marabout’’

Au plan social, la crise sanitaire que traverse le Sénégal, à l’image du monde, a également porté un coup à l’influence des religieux. Au cours de la dernière année, ces derniers ont multiplié les appels au respect des gestes barrières édictées par les autorités sanitaires, afin de freiner la propagation de la pandémie de coronavirus. Ils ont, à bien des occasions, montré l’exemple, en participant financièrement à l’effort de guerre contre la maladie et en donnant de leur personne, à travers la sensibilisation.

Toutefois, une bonne partie de la population est restée dans le déni de la pandémie et s’est montrée réticente à abandonner ses habitudes de vie, pourtant facteurs de contamination tous azimuts. 

Souvent restreints au champ spirituel dans lequel ils guident les fidèles, les religieux sont malgré tout appelés à jouer les pompiers, dès que les politiques perdent la maîtrise de la situation sociale. Le dernier acte de ces interventions en faveur de la paix sociale s’est écrit le vendredi 12 mars 2021. Une délégation du khalife général des mourides a rencontré, vendredi soir, les leaders du Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D). Le message du guide religieux a permis d’éviter un nouveau rassemblement, prévu le lendemain, facteur potentiel de tensions. La rencontre n’était pas autorisée par l’autorité préfectorale. ‘’Face au chaos qui nous guettait, si l’influence des chefs religieux a aidé, cela veut dire qu’elle reste malgré tout importante. On ne sait pas sur quoi pouvait déboucher la marche du M2D. L’intervention des religieux a permis son annulation et un apaisement de la tension’’, souligne la sociologue. 

Une autre délégation, regroupant des émissaires plus élargis des familles religieuses et de l’Eglise, avait permis d’obtenir du président de la République une adresse à la nation, le lundi 8 mars 2021, suivie de la mise sous contrôle judiciaire du leader du Pastef.

Depuis lors, un vent d’accalmie souffle sur les relations entre le pouvoir politique et la jeunesse qui s’identifie au principal opposant du président Macky Sall.

‘’Dans beaucoup de situations, l’intervention des chefs religieux n’est pas médiatisée de sorte à ce que tout le monde soit au courant’’

Autant de choses qui font dire au prêcheur Oustaz Assane Diouf qu’un non-initié peut croire que l’influence des religieux avait diminué, ces dernières années. ‘’Mais il faut d’abord comprendre comment ils agissent, explique l’homme de médias au sein du groupe Walf. Dans beaucoup de situations, leur intervention n’est pas médiatisée, de sorte à ce que tout le monde soit au courant. La majeure partie de leurs recommandations se fait dans le secret de leurs relations avec les autorités concernées, lorsque le pays vit des situations tendues’’. 

L’on se rappelle qu’avant la survenue de cette crise de mars 2021, des membres de l’opposition et de la société ont pourtant alerté sur les dangers autour de la situation explosive qu’a engendrée l’affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko. Sans en tenir compte, la machine judiciaire s’est enclenchée et a emballé l’appareil politico-législatif ayant abouti à la levée de l’immunité parlementaire du député du Pastef. Mais les religieux ont réussi là où des acteurs de la société civile ont éprouvé plus de difficultés.

Pour consolider ces acquis, le prêcheur invite les chefs religieux à plus s’impliquer dans le débat public. Selon lui, ‘’le peuple devrait avoir des messages de leurs guides spirituels sur lesquels fonder leurs certitudes. Car cela peut être plus efficace, dans leurs luttes sociales, que l’apport de syndicats ou d’activistes’’. Une piste pour aller en ce sens, conseille-t-il, est une meilleure organisation qui mettrait en place un Conseil supérieur islamique crédible qui porterait la voix officielle des chefs religieux. Cela permettra, ajoute-t-il, de donner leur position sur les débats sociaux et sociétaux, de sorte que le peuple puisse prendre en compte leurs recommandations.  

Un Conseil supérieur islamique

Si la politique ambitionne d’organiser des droits et devoirs des citoyens, pour mieux vivre en communauté, Imam Assane Diouf estime que les religieux doivent être au cœur de ces entreprises. Alors que le pays a failli basculer du mauvais côté, en l’espace d’une semaine, les chefs religieux ont grandement contribué à confirmer l’exception sénégalaise.

Reste, pour le prêcheur, à consolider cela. Dans ce dessein, estime-t-il, ‘’les tenants du pouvoir temporel doivent renforcer la présence des religieux dans la gestion de la cité. Le marabout ne doit pas simplement servir à formuler des prières. Il a été formé pour apporter de la plus-value à sa société. Limiter son intervention à son apport spirituel revient à réduire de moitié son rôle dans le développement social’’.

Un moyen efficace pour réduire les dérives dénoncées par le Dr Aoua Bocar Ly Tall. Alors que la sociologue insiste sur la nécessité d’avoir un contre-pouvoir religieux pour maintenir les liens sociaux, elle ajoute que la consolidation de cet état de fait est de la responsabilité des chefs religieux. ‘’Aujourd’hui, assure-t-elle, on voit des marabouts se mêler de tout sur les réseaux sociaux et sur les plateaux télévisés. La chute des valeurs et du respect des leaders spirituels ne les épargne pas. Nos grands érudits avaient le mot rare et utile. Thierno Seydou Nourou Tall, Cheikh Ibrahima Niasse, Serigne Fallou Mbacké, Mame Abdou Aziz Dabakh, monseigneur Thiandoum, etc., étaient écoutés et leur parole servait la communauté. Mais je pense qu’un religieux doit avoir l’intelligence de rester dans sa posture’’.

Le rôle primordial dans l’apaisement de tensions nées de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko a encore démontré la fiabilité du modèle social sénégalais qui, malgré quelques plis, continue à résister aux tensions. Un modèle dont la fragilisation pourrait menacer la stabilité de toute une nation.

Lamine Diouf

 

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