L'art, l'histoire et le droit au service de la mémoire
L’avant-première du documentaire Amoonafi a été accueillie au cinéma Pathé de Dakar, jeudi dernier. En effet, ce film retrace l’histoire de l’art et du droit au Sénégal, telle que vécue et racontée par Me Bara Diokhané, « l’avocat des artistes ». Amoonafi est un voyage entre mission, passion et transmission de l'art.
Le documentaire Amoonafi, à l’écran depuis jeudi dernier au cinéma Pathé de Dakar, porte une vision multidisciplinaire. En effet, il tisse des récits intimes à travers des interviews poignantes, des images d'archives précieuses et des performances artistiques marquantes. C’est une œuvre à la croisée de l'histoire collective et des quêtes individuelles. Mais au-delà, elle met en lumière des trajectoires marquées par la mission de construire des ponts culturels, la passion pour les arts et la transmission de savoirs intemporels. La parole est donnée à des avocats, artistes, galeristes, hommes politiques, témoins et acteurs majeurs. Ensemble, ils convoquent la mémoire collective et retracent les premiers pas du droit lié au marché de l'art au Sénégal.
Ainsi, le réalisateur du film, Bara Diokhané, pionnier incontesté et figure emblématique de ce domaine, s’impose comme l'une des références les plus solides du Sénégal, voire la référence incontournable. Amoonafi plonge donc le cinéphile dans une histoire enrichissante et lui fait découvrir l’évolution d'un secteur à la croisée de l'art et du droit. Maître Bara Diokhané nous en dit plus : « J’espère que le message de transmission de l'histoire invite à identifier notre propre démarche par nos propres moyens. Je pense que c'est une démarche qui invite à une réflexion. » D’après lui, transmettre l'histoire ne consiste pas seulement à conserver et partager des faits. C'est aussi une invitation à réfléchir sur les leçons du passé et leur pertinence pour construire l'avenir afin de nourrir la conscience collective et renforcer les liens entre les générations.
Le réalisateur Thione Niang souligne quant à lui le rôle de Maître Diokhané auprès des artistes, en précisant que le fait qu’il fasse un récit sur les pères fondateurs de l’art au Sénégal est plus qu’instructif. « Ce film a été très éducatif, car il nous montre tout ce que Maître Bara a fait pour la culture, son rôle dans la musique sénégalaise. Je ne savais pas que derrière des géants de la musique comme Youssou Ndour, il y avait des acteurs. Il parle également du rôle des Africains et des Américains du Sénégal, ainsi que de son engagement avec la diaspora africaine. » C’est pour lui un récit à saluer, car son engagement auprès de la diaspora africaine a permis de renforcer les liens historiques et culturels entre ces deux communautés.
Par ailleurs, ce travail contribue non seulement à la reconnaissance des racines africaines des populations afro-descendantes, mais aussi à la promotion d’un dialogue interculturel essentiel. D’un autre côté, il souligne la reconnaissance et la célébration des pères fondateurs de l’art au Sénégal, mis en avant par le réalisateur. « Ici, on n’arrive pas à célébrer nos héros de la culture. Aujourd’hui encore, nous avons des héros de la culture qui sont méconnus du public ; cependant, à travers ce film, on les retrouve. » Il cite par exemple l’artiste peintre, poète, dramaturge, philosophe et essayiste Joe Ouakam. « Je quitte ce cinéma très inspiré. Quand je me rappelle de Joe Ouakam, je suis frustré de voir comment l’endroit où il travaillait est devenu alors qu’on aurait dû en faire un musée et que l'État devait le sauvegarder pour les générations futures. Mais ce travail n’a pas été fait par l’État, » regrette-t-il. Il souligne que ce film est un appel à la préservation et à la valorisation des contributions des figures historiques qui ont consacré leur vie à la culture et au développement, et rappelle l’importance de telles œuvres pour éduquer les générations actuelles et futures.
Une synergie entre plusieurs expressions artistiques
Le film ne se limite pas à la simple valorisation de son patrimoine culturel ou de son identité. En effet, il transcende les dimensions individuelles artistiques pour s’inscrire dans un processus collectif de transmission, de réflexion et de prise de conscience. Entre la poésie, le cinéma, la peinture, la musique et bien d’autres, c’est pour l’auteur une façon de raconter l’histoire artistique du Sénégal. Pour lui, ce corpus artistique doit servir de base. « J'ai abordé la poésie, la musique, la peinture, la sculpture, le cinéma, etc. Parce que c'est le Sénégal, c’est l’art du Sénégal. Pour faire en sorte que ce fait historique puisse servir de base, » nous explique le réalisateur Bara Diokhané. Il était question pour lui que ces disciplines artistiques diversifiées puissent également montrer qu'il y a une connexion entre elles afin qu’elles soient transmises aux générations.
Ainsi, Amoonafi met également l’accent sur le déguerpissement, la destruction des monuments historiques et le statut de l’artiste. Pour M. Diokhané, c’est un message important pour les artistes. « Je pense qu'il est important que nous donnions de l'importance à nous-mêmes et à notre histoire. Les artistes ne sont pas valorisés ici alors que, peut-être, dans d'autres pays, les artistes sont traités comme des rois. » En tant que juriste, précise-t-il, « je m’intéresse à la pratique des artistes. Donc, à travers la peinture, le cinéma, etc., il faut avoir une approche assez holistique de notre histoire de l’art. Mais encore, faut-il l'écrire. Je n'ai jamais encore vu un livre sur l'histoire de l’art du Sénégal. » Rappelant que le Sénégal a son histoire, car c’est Dakar qui a abrité le premier Festival mondial des arts nègres, qui a été le premier musée d'art contemporain d'Afrique. Le Grammy Award de Youssou Ndour est un échantillon qui prouve que le Sénégal est un pays fertile en création artistique. Par ailleurs, il appelle à un accompagnement politique avec des lois pour faire avancer les choses. Pour mieux accompagner les artistes et tirer les bénéfices de la production artistique sénégalaise, « les acteurs politiques doivent comprendre quels sont les enjeux. Quelles sont les lois qu’ils peuvent proposer pour faire avancer les choses, pour mieux protéger les artistes et pour mieux tirer un bénéfice économique de la production artistique sénégalaise. Je pense que ça sera une bonne chose, car cela va contribuer à améliorer le statut social des artistes et le statut économique, » conclut le réalisateur.
Par conséquent, au moment où se tient la Biennale, l’importance de raconter sa propre histoire devient cruciale, car Dak’Art est un événement dédié à la culture et à la célébration artistique. Ce film invite à redonner une place centrale aux archives locales, aux témoignages oraux et aux récits transmis de génération en génération afin de faire valoir l’identité culturelle.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE