Plus de victimes chez les juges que chez les délinquants !
Le président Macky Sall ira-t-il au bout de sa logique de transparence après avoir réactivé une juridiction d'exception qui, naturellement ou mystiquement, a laissé beaucoup de victimes sur le carreau ?
Trois ans d'existence, trois dossiers traités. La Cour de répression contre l'enrichissement illicite tombe en désuétude après avoir inquiété des menus fretins. Les dossiers présumés lourds finissent dans le célèbre tiroir aux oublis de la République. La volonté de moraliser la vie publique prise, en juillet 1981, par le président Abdou Diouf, aura fait, comble de l'ironie, plus de victimes au niveau de la Cour et du Parquet qu'elle n'a levé de zones d'ombre.
En effet, les morts successives du Président de cette cour, Gilbert André, du président de la Commission d'instruction, Ibrahima Ndiaye, de Pape Maguèye Guèye, un des assesseurs suppléants, du Procureur spécial Youssouf Sakho, de son adjoint Abdoulaye Thiam, sans oublier la disparition du Commissaire divisionnaire Cheikh Bâ, lequel était en charge des enquêtes, ont suscité toutes sortes de commentaires et d'interprétations, entre «rationnel» et «naturel». D'après nos informations et sources diverses, ces décès ont eu lieu suite à la première audience de la Cour.
Des morts un peu trop suspectes...
Pour certains observateurs ayant suivi l'actualité de la cette Cour de répression contre les biens mal acquis, ces décès échelonnés sur deux ans ont un vrai caractère mystérieux voire mystique. Entre survenue de malaise, accident de la circulation, incendie ou maladies incurables, le choix des causes est large. On rapporte par exemple que le président de la Commission d'instruction ne se serait jamais relevé d'une très mystérieuse maladie. On fait état également du fait que le Procureur spécial ait été, tout d'un coup, frappé de cécité avant sa mort. A contrario, il faut relever que d'autres membres de la juridiction sont morts de leur belle mort, naturellement...
Dans un pays fortement attaché aux croyances mystiques comme le Sénégal, on indique alors que si la Cour n'a pu continuer sa mission, c'est que des pontes du régime socialiste d'alors, sur la base des disparitions constatées, ont convaincu le président Diouf de gripper volontairement la machine judiciaire, seul moyen à leurs yeux d'arrêter les frais.
Des hommes du droit interpellés sur la question jugent que c'est une hypothèse à ne pas écarter. Face à l'épidémie instaurée par la grande Faucheuse, des membres de cette juridiction ont simplement pris la tangente. La plupart ont demandé à être redéployés au sein d'autres juridictions. «Après la première audience et les morts qui en ont suivi, aucun magistrat n'a plus voulu siéger ; tous ont décliné les propositions», nous souffle-t-on au Palais de justice de Dakar.
...Mais «le message est bien passé»
Confidence à EnQuête d'un proche de l'ancien responsable de la Brigade spéciale rattachée à la Cour de répression de l'enrichissement illicite : «Mon oncle a remué ciel et terre pour quitter ce poste en raison des faits mystérieux qui ponctuaient leur quotidien. Il disait que le mystique ne cessait de prendre de l'épaisseur au sein de cette juridiction de sorte que les gens craignaient pour leur vie et leur carrière. En guise d'anecdote, il disait qu'il leur arrivait d'oublier le nom d'une personne inculpée. Soit le dossier s'égarait, soit son nom leur échappait...»
Un cadre de la Fonction publique, A. Touré, dont le père, détenteur de connaissances ésotériques, avait été très sollicité, confie : «Les Sénégalais sont prêts à tout pour ne pas être inquiétés. Le premier acte qu'ils posent, faire de sorte que ceux qui sont chargés de mener ces enquêtes les oublient ou que le dossier soit emporté par des djinns... Mais les résultats ne sont jamais garantis à 100%.»
Pour autant, d'autres esprits qui se veulent plus «rationnels» ont une autre lecture des événements. Ils sont convaincus qu'Abdou Diouf a atteint son objectif à travers cette Cour : ramener à l'ordre les différents ordres professionnels face aux écarts relevés dans les finances publiques. Ainsi, Me Clément Benoît, qui a plaidé un des dossiers, estime que c'était aussi une façon de décourager l'enrichissement illicite. «À l'époque, par exemple, les fonds communs étaient considérés comme une caisse noire, de l'argent illicite.» La loi a évolué sur ce point.
MATEL BOCOUM