Le Mali expulse l’ambassadeur de France
Rien ne va plus entre les autorités maliennes du gouvernement de transition et les autorités françaises.
C’était dans l’air. C’est finalement arrivé. Un incident diplomatique frappe désormais les relations entre le Mali et son premier partenaire dans la lutte contre la menace terroriste qui secoue ce pays du Sahel. Hier, l’escalade de différends entre Paris et Bamako a pris un tournant décisif, après l’annonce du départ de l’ambassadeur de France du Mali, annoncé par le gouvernement de transition.
Dans un communiqué, ‘’le gouvernement de la République du Mali informe l’opinion nationale et internationale que, ce jour, lundi 31 janvier 2022, l’ambassadeur de France à Bamako, SEM Joël Meyer, a été convoqué par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale qui lui a notifié la décision du gouvernement qui l’invite à quitter le territoire national dans un délai de 72 heures’’.
Les autorités maliennes ajoutent que cette mesure fait suite aux propos ‘’hostiles et outrageux’’ du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères tenus récemment et à ‘’la récurrence de tels propos par les autorités françaises à l’égard des autorités maliennes, en dépit des protestations maintes fois élevées’’.
La situation entre les deux pays ne cessait de s’envenimer depuis la prise de pouvoir des militaires au Mali en août 2020, le pays désormais dirigé par un gouvernement de transition à la tête duquel trône le colonel Assimi Goïta.
Tout s’est accéléré la semaine dernière, lorsqu’à la télévision nationale, le porte-parole du gouvernement malien, le colonel Abdoulaye Maïga, invitait la ministre française des Armées, Florence Parly, à se taire, après qu’elle a déclaré à l’Assemblée nationale que la junte multipliait les "provocations". Quelques heures après, c’est le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, qui qualifiait le gouvernement de transition d'"illégitime" et ses décisions d'"irresponsables". Ceci, après que les autorités maliennes eurent poussé le Danemark à retirer son contingent de forces spéciales. Mais la réplique que les Français n'avaient pas vue venir, c’est que les Maliens allaient prendre les devants et expulser leur ambassadeur sur place.
Une réponse au ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian
Le Mali est l’illustration parfaite de la situation indescriptible qui prévaut au Sahel. Ce cas d’école a été au menu d’une conférence virtuelle visant à interroger les stratégies et à proposer des solutions réalistes et réalisables par lesquelles le Sahel repassera d’une région de conflictualité à un espace de convivialité. La journée internationale des think tanks, célébrée le 31 janvier, a été le prétexte pour l'Institut de recherche et de promotion des alternatives de développement (Ipar), l'initiative du Rapport alternatif sur l’Afrique (Rasa), le Réseau des think tanks du Sénégal (Sen RTT) et le réseau des think tanks de l’UEMOA (RTT UEMOA) d’offrir un cadre de partage et d’expression d’idées sur le sujet.
L’ancien représentant du bureau des Nations Unies pour l’Afrique centrale (Unoca), le Pr. Abdoulaye Bathily, a saisi l’occasion pour s’exprimer sur ce que vit le Mali depuis près d’une décennie maintenant. Selon lui, ‘’le contexte géopolitique est marqué par une plus grande inclusion du Sahel dans le système de la géopolitique mondiale projetée par les djihadistes. La réflexion doit être orientée dans une perspective de solutions pour une souveraineté africaine, au-delà de l'extrême frustration occasionnée par la situation actuelle, par une réinvention de nos relations économiques avec le monde".
Bien au-delà des questions sécuritaires dans le Sahel, c’est un tournant historique qui est en train de se jouer en Afrique. Après le renversement des pouvoirs politiques par des militaires au Mali, en Guinée et plus récemment au Burkina Faso, le patron de la force de sécurisation privée russe Wagner a salué une ‘'ère de décolonisation".
Mais les spécialistes ayant participé à cette conférence virtuelle ne sont pas convaincus que la solution militaire soit la bonne option pour se libérer des maux qui gangrènent les pays africains.
"L’apologie des coups d'État n'est pas une solution’’
Si, pour le Pr. Bathily, le point de non-retour a été atteint, tant du point de vue économique que social et politique, l’ancien leader de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) est d’avis que ‘’les coups d'État militaires n'ont jamais réglé aucun problème. On ne peut pas reconstruire une société sur de l'imaginaire. Il faut ouvrir le débat démocratique dans la société".
Les trois coups de force militaire notés en moins de deux ans au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont tous reçu un élan populaire. Mais ce n’est pas la solution, pour le directeur régional de Timbuktu Institute. Selon le Dr Bakary Sambe, "l'apologie des coups d'État n'est pas une solution. Il ne faut pas troquer le néolibéralisme par le populisme. La mise en commun des synergies est l'ultime solution pour un renforcement de la résilience des sociétés’’.
L’intérêt soulevé par le Mali de la part de la Russie et de la Chine (les deux pays ont usé de leur droit de véto pour bloquer des sanctions de l’Organisation des Nations Unies contre le pays) a changé la donne dans la relation entre la France et son ancienne colonie. Si les Russes sont militairement de plus en plus présents en Afrique, la Chine a lancé son offensive sur le continent à travers l'économie et les infrastructures. Face à l’ambition française de maintenir ses relations privilégiées en Afrique, le choc des intérêts rappelle un certain partage de l’Afrique entre novembre 1884 et février 1885. Ceci, à quelques jours d’un Sommet Europe-Afrique (présidé par la France qui se tiendra les 17 et 18 février) où vont être abordées les questions de développement et d’infrastructures en Afrique.
Toute une atmosphère qui fait dire au Pr. Bathily qu’"il ne faut pas se faire d'illusions : nous devons prendre les devants pour anticiper sur cette nouvelle conférence de Berlin en cours", ce n'est pas par des kalachnikovs qu'on va régler le problème du Mali. Le mieux serait d'ouvrir le dialogue".
Partout en Afrique, l’on note le développement d’un sentiment anti-français. Les années de présence de la puissance colonisatrice aux côtés de ses anciennes colonies, n’ont pas permis de développer ses deniers. Un éveil des consciences sur les relations néocoloniales qui lient la France à l’Afrique s’opère et semble irréversible. Sous les ‘’jupes’’ russes et chinoises, le Mali a posé un pas important vers une libération de l’Afrique vis-à-vis de l’Occident. Mais dans l’optique d’acquérir sa souveraineté, ce choix sera-t-il payant ?
Lamine Diouf