Quelles conséquences a la suspension de l’accord sur les exportations ?
L’Initiative céréalière de la mer Noire a pris fin lundi, après l’annonce du retrait de la Russie. Si cela ne devrait avoir que peu d’impact dans l’immédiat, la situation suscite des inquiétudes à moyen terme, notamment sur le blé.
L’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes a pris fin lundi 17 juillet à 23 heures, heure de Paris. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait annoncé plus tôt dans la journée que l’Initiative céréalière de la mer Noire, qui a permis l’exportation de 33 millions de tonnes de céréales depuis juillet 2022, serait de nouveau opérationnelle « lorsque la partie sur la mer Noire concernant la Russie sera mise en œuvre ». Cette suspension ne devrait avoir que peu d’impact dans l’immédiat, à l’heure où l’hémisphère Nord moissonne, mais créera inévitablement tensions et inflation à moyen terme.
Faible impact immédiat
La situation est très différente de celle de la fin de février 2022, quand la Russie a envahi l’Ukraine, avec pour effet la fermeture à la navigation de la mer Noire, principale voie d’exportation des produits agricoles de l’Ukraine. Ce pays était alors le premier exportateur mondial d’huile de tournesol et le quatrième pour le blé et le maïs.
L’ouverture du corridor, le 1er août 2022, a permis de soulager les pays importateurs, notamment en Méditerranée et en Afrique, faisant refluer les prix mondiaux qui avaient atteint en mai des niveaux inédits.
En deux ans, l’Ukraine a vu sa production de céréales diminuer pratiquement de moitié, avec des prévisions de 25 millions de tonnes de maïs et 17,5 millions de tonnes de blé pour 2023-2024, contre 42 millions de tonnes de maïs et 33 millions de tonnes de blé en 2021-2022, selon le dernier rapport du ministère de l’agriculture américain. « En 2023-2024, elle devrait exporter 6 millions de tonnes de blé et 10 millions de tonnes de maïs en moins, par rapport à la campagne précédente », relève Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel.
La situation est donc moins tendue, car il y a moins de produits à exporter et parce que l’hémisphère Nord est en pleine période de récolte. « Les besoins à venir se préciseront en fin de moisson. C’est une période calme sur les marchés, qui ont d’ailleurs très peu réagi à la suspension de l’accord », le cours du blé augmentant de moins de 1 % sur Euronext, précise Gautier Le Molgat.
En outre, ces derniers mois, « on observait un goulet d’étranglement dans le Bosphore, avec un trafic très ralenti », notamment du fait d’un plus faible nombre d’inspections russes des navires empruntant le corridor, relève Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés.
Les limites de l’alternative terrestre
Avant même l’ouverture du corridor, l’Union européenne a mis en place les solidarity lanes, des corridors terrestres et fluviaux, destinés à faciliter les exportations ukrainiennes à travers l’Europe. La Fondation Farm, cercle de réflexion autour des questions agricoles mondiales, estime qu’actuellement la moitié des exportations ukrainiennes passent par ces voies, notamment à travers la Pologne et la Roumanie. « Une des questions qui se pose est de savoir si l’UE, qui a récupéré 50 % de l’offre céréalière ukrainienne depuis le début du conflit, a les capacités de réexporter ces volumes », note Olia Tayeb Cherif, responsable d’études pour Farm.
L’UE voudrait améliorer l’offre terrestre, notamment avec un projet d’harmonisation du gabarit ferroviaire (écartement des rails) aux frontières entre Union européenne et Ukraine, mais cela prendra du temps. « On pourra augmenter un peu la cadence, mais on ne réglera pas le problème pour les volumes en jeu », estime Edward de Saint-Denis.
Des inquiétudes à moyen terme
A l’heure actuelle, le monde ne manque pas de blé. Mais, rappelle Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage, « l’essentiel du blé exportable est en Russie, avec environ 12,5 millions de tonnes de stocks, et c’est le blé le moins cher du monde ».
La Russie pourrait combler au moins une partie du manque ukrainien, tout comme l’UE, avec une récolte qui s’annonce très correcte. Mais cela accélérerait la dépendance des pays tiers vis-à-vis de Moscou et serait difficile à gérer en cas d’accident climatique majeur.
Il faut bien différencier maïs et blé. La Chine, qui est de loin le premier bénéficiaire du corridor maritime pour le maïs, pourra se tourner vers le Brésil, qui vend actuellement moins cher et dont la récolte a été record.
La situation est plus complexe pour le blé. Si les volumes existent, les pays demandeurs pourront être fournis, mais à quel prix ? « Une fermeture durable du corridor aura un impact sur l’inflation alimentaire, qui jouera sur la sécurité alimentaire », avertit Olia Tayeb Cherif, de Farm. Déjà, des Etats, comme l’Egypte récemment, ont du mal à honorer les paiements de certains appels d’offres.
Par ailleurs, l’aide alimentaire elle-même pourrait être fragilisée, car « l’Ukraine est fournisseur du Programme alimentaire mondial [PAM] : environ 8 % des volumes de blé ukrainien exportés sont allés au PAM, à destination de pays comme le Yémen, l’Afghanistan et la Corne de l’Afrique », souligne-t-elle.
Le Monde avec AFP