Publié le 17 Oct 2015 - 12:20
CHEIKH ABDOU KHADRE

Vie et œuvre d’un soufi doublé d’un humaniste

 

La communauté mouride célèbre aujourd’hui la naissance de Serigne Abdou Khadre Mbacké.  Pour l’édition 2015, à l’instar des précédentes, la capitale du Mouridisme refuse déjà du monde. Des milliers de fidèles ont déjà rallié Touba, avec comme point focal les quartiers de Guédé, Bagdad et Sourah. Ce 4e khalife de Bamba aura effectué jusque-là le plus bref passage à la tête du khalifat avec seulement onze mois (du 19 juin 1989 au 13 mai 1990). Retour sur la vie et l’œuvre de celui qui fut l’imam de la grande mosquée de Touba durant 21 ans.

 

Fils de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur du Mouridisme, Cheikh Abdou Khadre Mbacké, « Boroom Bagdad » comme on l’a surnommé aussi respectueusement qu’affectueusement, est né une nuit de vendredi à Daroul Alim (Alimoun Khabir), plus connu sous le nom de Ndame, coïncidant avec le troisième jour de Mouharram (Tamxarit) de l’année 1914, 1333 de l’Hégire. La ressemblance avec son père n’était pas seulement morale, elle était aussi physique. Selon beaucoup de contemporains de Cheikhoul Khadim, Cheikh Abdou Khadre Mbacké avait la même physionomie que son père. D’ailleurs l’imagerie populaire a voulu voir en lui la réincarnation de Cheikh Ahmadou Bamba, parce qu’en lui se retrouvent la plupart des traits de caractère qui ont distingué le Cheikh. Et pour étayer cette thèse, les raisons ne manquent pas.

Sa mère Sokhna Aminata Bousso est la fille de Serigne Mboussobe, un frère de Sokhna Diarra, la mère de cheikh Ahmadou Bamba, Khadimou Rassoul. Ainsi, de par sa mère, Cheikh Abdou Khadre aurait été le neveu de son père, s’il n’avait été son fils. Dès qu’on lui a annoncé l’heureux événement, Cheikh Ahmadou Bamba a convoqué son frère et homme de confiance, Serigne Thierno Ibra Faty (Mame Thierno) de Darou Moukhty pour lui confier la mission de se rendre à Ndame, dans le but de faire le nécessaire requis par la circonstance. Au moment du départ, après lui avoir donné sa bénédiction, le Maître dit à Mame Thierno : « Au nom et par la baraka de ce nouveau-né que tu vas visiter, sache qu’au cours de ton voyage, à l’aller comme au retour, tous ceux que tu auras à rencontrer ou à voir sont préservés des flammes de l’enfer ! »

Ses Humanités

Pour sa formation coranique et islamique, il a été confié, à l’âge de 7 ans, à Serigne Abdourahmane Lô et à son oncle Serigne Mbacké Bousso à Guédé, après quelques années passées auprès de son illustre père, Serigne Touba Khadimou Rassoul qui devait lui apprendre ses premières leçons d’alphabétisation. Très tôt donc, sous la férule de Serigne Ndame Abdourahmane Lô, il a maîtrisé le Coran.  Ensuite, il s’est rendu à Guédé, auprès de son oncle Serigne Mbacké Bousso, dans le but d’étudier les Sciences religieuses.  Études qu’il complètera auprès de Serigne Modou Dème, un érudit incomparable qu’on désigne d’ailleurs par le surnom révélateur de «  Alimu Soudaan. »

Sa personnalité

Serigne Abdou Khadre Mbacké était l’ami de tout le monde. Il avait une popularité telle que tous les habitants de Touba, à commencer par ses frères, le considéraient comme leur guide religieux. Il dirigeait les offices religieux et procédait lui-même à la prière sur les morts aussi souvent qu’il le pouvait. Cela était interprété très positivement par les populations qui y voyaient des preuves, s’il en était encore besoin, de sa profonde humanité, de son étroite implication dans toute forme d’action dont la finalité est le soulagement et le bonheur des populations. D’une nature généreuse, comme son père, Cheikh Abdou Khadre était très prodigue de ses prières sur tous ceux qui le sollicitaient à cet effet, surtout les malades qu’il guérissait de façon quasi-miraculeuse si, tout bonnement, il ne mettait pas la main à la poche pour régler leurs frais médicaux, les ordonnances y compris.

Source intarissable de la Charia et de la Sunna, Cheikh Abdoul Khadre avait séduit par son charisme fait de piété et d’humilité. Il a été d’une piété si profonde que, tout naturellement, il a exercé, toute sa vie durant les fonctions d’Imam. D’ailleurs, Cheikh Abdoul Ahad MBACKE avait fait de lui, dès son accession au khalifat, après la disparition de Cheikh Mouhammadou Fallilou MBACKE en 1968, l’Imam de la grande Mosquée. A l’instar de son Père et Maître, il avait inscrit sa démarche, sa vie durant, sous ce qu’on peut appeler le label « al istikhama », c’est-à-dire la droiture. Cette droiture sous-tendue par la mesure, l’équilibre et qui est la marque distinctive des élus de Dieu. Autant, le Cheikh est un modèle achevé de soufi, autant Serigne Abdou Khadre mettait un point d’honneur à être ce pôle vers lequel convergent tous les cœurs qui cherchent un modèle de droiture susceptible de les conduire sur la voie dénommée « Siraatal mustaxiima. »

D’un abord facile et d’un ascétisme poussé, il joua le rôle de conduire les mourides vers la félicité du savoir : le Tawhid, la Charia, la Sunna et l’Istikhama. De tout temps, il a eu une influence bénéfique sur son entourage. Par la parole et par l’exemple, il a toujours eu à cœur d’inciter ses semblables à se consacrer sans réserve à Dieu et à son Prophète (P.S.L.)

 Serigne Abdou Khadre ne polémiquait  jamais. Il n’accordait aucune importance aux biens matériels. De son vivant, il n’a eu que trois maisons : Bakhdad, Boustane et le domicile de Touba. Borom Bagdad, comme aimaient l’appeler affectueusement les gens, ne sous-estimait personne. Il cherchait toujours à mettre à l’aise son entourage et rendait très souvent visite à ses parents ou ses talibés, quelle que soit la distance. Il aimait même rappeler aux gens les liens de parenté qui les unissaient.

Ses œuvres

D’une dimension exceptionnelle, Cheikh Abdou Khadre a œuvré pour l’épanouissement du genre humain, à tous les niveaux. Sa vie a été marquée par l’imamat au niveau de la Grande Mosquée de Touba. Onze mois durant, il aura assuré l’imamat en même temps que le khalifat. Le 4ème khalife de Bamba a fait un bref passage à la tête de la voie mouride. Ce fut le khalifat le plus court, mais plein de renseignements et de péripéties. L’on se rappelle encore ce coup de théâtre, avec cet homme qui a voulu le jeter dans le puits, alors qu’il devait accomplir la prière de l’aurore. Il est connu que toute sa vie durant, il n’a manqué la prière du vendredi à la Grande Mosquée que pendant son séjour en terre saoudienne, pour les besoins du pèlerinage qu’il a effectué en 1976.

Comme ses prédécesseurs, Cheikh Abdoul Khadre a fondé les villages de Bagdad non loin de Touba (en 1938 sous le ndigël de Serigne Mouhamadou Moustapha 1er Khalife de Serigne Touba) et de Boustane près de Louga (sous la direction de son fils aîné Serigne Modou qui s’occupait des travaux champêtres et du fonctionnement  des daara), où il comptait 12 daara. Il s’initia également à la riziculture à Mboundoum au nord dans la vallée du fleuve Sénégal. Serigne Abdou Khadre lui-même semblait savoir que son magistère allait être éphémère. En effet, à tous ceux qui lui présentaient un projet qui s’inscrivait dans la durée, il demandait invariablement d’en faire part plutôt à Serigne Saliou, celui qui allait lui succéder dans les fonctions de Khalife. Comme s’il savait qu’il n’aurait pas le temps d’entreprendre ou de piloter quoi que ce soit qui doive aller au-delà du très court terme.

 Il s’éteignit en effet à Touba, après 11 mois de magistère, le vendredi 18 mai 1990, à l’âge de 75 ans, exactement comme son père,  laissant derrière lui un sentiment d’inachevé. Il repose à l’est de la grande mosquée de Touba, le chemin qu’il empruntait pour venir officier dans ce haut lieu de dévotion, où retentissait sa fameuse voix divulguant les sourates du Livre Saint. Encore aujourd’hui, son ombre plane sur cette Mosquée qu’on imagine difficilement sans lui, tant il faisait corps avec l’ambiance des lieux.

Son héritage

Au total, cheikh Abdou Khadre Mbacké a eu une vingtaine d’enfants dont 12 filles. Aujourd’hui, ces derniers perpétuent son œuvre derrière Serigne Cheikh Mbacké, son khalife, Serigne Moustapha Mbacké, imam de la mosquée Massalikoul Jinan de Dakar, Serigne Fallou Mbacké, imam à l’occasion des Aïds à Touba et Serigne Bassirou Mbacké, porte-parole du khalife générale des mourides, par ailleurs président du Comité d’organisation du grand magal de Touba.

Les musulmans sénégalais, en particulier, la communauté mouride se rappellent aujourd’hui, 17 octobre, ce saint homme, soufi doublé d’un humaniste, dont le magal constitue, avec celui de Darou Khoudos, prévu cette année le 2 novembre, l’un des derniers grands événements religieux de l’année avant le grand magal de Touba, qui sera célébré fin novembre, début décembre. 

ABDOU FATAH GAYE

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