Publié le 17 Feb 2017 - 00:58
CHIEKH TIDIANE CISSOKHO THÉORICIEN REVA

 ‘‘L’Anida, c’est mon bébé’’

 

Comptable de formation, agronome par vocation, celui qui réclame la paternité du programme agricole, Retour vers l’agriculture (Reva), devenu Agence nationale d’insertion et de développement agricole (Anida), sort du bois. Cheikh Tidiane Cissokho porte également un jugement sur la politique agricole de l’actuel régime.

 

Vous réclamez la paternité du Plan Reva. Comment avez-vous mis ce programme sur pied ?

Je me suis retrouvé dans l’agriculture après une affectation pour Kédougou au début des années 2000. J’y ai beaucoup cultivé le riz et le sorgho. C’est de là que m’est venu mon engouement pour l’agriculture. En juin 2006, j’ai écrit au président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade, car il y avait un problème d’emploi des jeunes. C’est mon projet que je lui ai soumis, car les infrastructures sortaient de terre, mais la grande majorité de la main-d’œuvre, les jeunes, étaient pour la plupart sans emploi. Qu’est-ce qu’il fallait faire alors ? Leur donner du travail, mais pas dans les bureaux. Le secteur privé n’était pas aussi étoffé que cela pour absorber la quantité de jeunes sur le marché du travail. La seule panacée était de se tourner vers l’agriculture.

J’avais demandé au Président Wade qu’on puisse créer des pôles d’émergence intégrés. Un concept que j’ai abrégé sous le vocable de PLEIN, puisqu’il nous fallait faire le plein pour l’emploi des jeunes et qu’on était loin d’atteindre l’autosuffisance. A peine deux années plus tard, en 2008, se sont déclenchées les émeutes de la faim. Mais en novembre 2006, j’avais vu quelque chose qui ressemblait vaguement à mon projet se faire à la télévision. Je me suis dit que d’autres ont dû penser à la même chose avant moi. Je n’y ai pas accordé trop d’importance. C’est en 2012, en recevant des partenaires soudanais qui voulaient investir dans le matériel agricole, à Dakar, que je l’ai découvert. Nous avons fait la Vallée et l’ensemble des points de vente de matériel agricole et l’agence Reva (Retour vers l’agriculture), comme on l’appelait à l’époque.  Sur ce, j’y ai pris de la documentation. Arrivé à la maison, j’ai ouvert les plaquettes pour lire et je découvre les ‘‘Pôles d’émergence intégrés’’, tels que je les ai théorisés dans mon projet. Je ne croyais pas que ce hasard puisse arriver.

Vous avez mis du temps à remarquer que votre projet vous a été ‘‘emprunté’’. Comment avez-vous réagi en le découvrant ?  

Je l’ai effectivement constaté à la fin du régime libéral, en 2012. Il faut avouer que moralement, j’étais satisfait, car je me suis dit que je suis un Sénégalais qui a pu apporter cela à son pays, au point  qu’un Président le mette en œuvre. J’ai voulu en parler quand Me Wade l’avait mentionné dans une interview où il a dit que tous les projets qu’il a développés n’étaient pas les siens ; qu’il remerciait toutes les personnes qui ont eu à envoyer des projets. Mais, il fallait que je dise cela pour que nul n’en ignore. Je suis resté silencieux parce qu’après tout, je ne voulais pas gêner les gens qui avaient ce projet. Entre-temps, ils ont changé l’Agence Reva pour mettre Anida (Agence nationale d’insertion et de développement agricole). L’Anida, c’est mon bébé. Abdoulaye Wade a fait que ce bébé soit devenu un adolescent. Mais depuis lors, il est resté adolescent. Tout ce j’avais pensé pour ces jeunes Sénégalais a été dévoyé, vidé de sa substance. Par exemple, je suis allé à Ngomène (Pout), derrière la cimenterie Dangote, avec les Soudanais. 60 hectares en culture étaient destinés aux jeunes et aux femmes. Mais à la place, ce sont des vieux de l’ensemble des villages qui avaient accaparé les superficies plus grandes de l’ordre de 500 hectares, alors qu’ils ne peuvent pas tout cultiver. L’inverse aurait dû avoir lieu et avec la mécanisation. Cet exemple aurait fait tache d’huile dans tout le pays.

Que pensez-vous de la politique agricole du nouveau régime, du programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) plus précisément ?

Le Prodac est un Reva en miniature. Il veut s’en différencier ainsi que de l’Anida. Mais, c’est la même structure que M. Senghor, qui était à l’époque directeur de cabinet de Benoît Sambou, a mis en place. C’est la même chose que les gens ont fait avec le Plan Reva. Ça aurait pu être un très bon projet, si l’esprit n’était pas aussi limité. Prendre 10 ou 20 hectares pour les jeunes, c’est très réducteur pour un pays qui a au moins 4 millions d’hectares cultivables. Ils ont été minimalistes dans leurs ambitions. Je pense au moins qu’il fallait 1000 hectares. Le maillage a également été mal fait. Si l’on prend l’ancienne organisation, il y a au moins trois départements par région, ainsi que plusieurs arrondissements. Si l’on en prend un, qu’on maille avec quatre à cinq projets de jeunes, l’arrondissement sera forcément développé. Et si la ressource première existe, les infrastructures suivront, que ce soit l’électricité, la voirie, l’eau, la connexion. On ne peut manager qu’à partir des ressources disponibles ; l’agriculture en est la première. Je ne dirais pas révolution, mais je dirais que ça allait changer fondamentalement.

On est en 2017, l’échéance pour l’atteinte de l’autosuffisance en riz. Peut-on s’attendre à ce que ce programme réussisse ?

Ce sont des effets d’annonce politiciens. On ne peut pas se réveiller un beau jour et dire qu’en deux ou trois ans, on va atteindre l’autosuffisance alimentaire. Cela ne se décrète pas. C’était très noble comme projet avec tout l’espoir qu’il suscitait, mais le concrétiser était en inadéquation avec la politisation à outrance. Cela ne va pas être possible, puisque le temps est court et il faut beaucoup de moyens. Quand bien même cet objectif était atteint, aurait-on les moyens de rendre ce riz consommable ? Si  on remonte un peu en arrière, lors du dernier Magal, on avait annoncé la suspension de l’exportation du riz importé pour permettre l’écoulement du riz local. Moi, je n’aime pas ce riz local parce que la qualité n’y est pas. Est-ce que les Sénégalais vont l’aimer ? On parle d’une pré-cuisson ou deux avant de pouvoir le cuire normalement.

Ce n’est pas le cas du Burkina Faso qui a un bon riz local. Ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas avoir un riz local aimé des Sénégalais, alors que l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) est là. En 2022, après le mandat de Macky Sall, cet objectif sera peut-être atteignable. Il a la volonté de la faire, mais, il faut vraiment rompre avec les visions de ses prédécesseurs. Il faut annoncer ce qui est dans l’ordre du possible. L’autre problème, c’est qu’il y a un risque que les multinationales viennent nous prendre nos terres. Il y a un exemple à Madagascar où la Corée du Sud a acheté des superficies non  négligeables de l’île. En Ukraine, l’Arabie Saoudite, la Libye et le Qatar y ont acheté des milliers d’hectares de terres pour la culture du blé. Il ne faut pas que la même  chose nous arrive. Il faut que l’on fasse l’état des lieux sur le plan foncier, depuis l’avènement de Wade en 2000. Les Sénégalais ont le droit de savoir ce qui s’est passé, de Dakar à Mbane. Il faut faire attention à ces multinationales. On ne se développera jamais avec le capital des autres, comme dit Samir Amin. Il nous faudra un Etat fort. 

OUSMANE LAYE DIOP

Section: