Publié le 2 Apr 2021 - 18:41
CHRONIQUE DE PHILIPPE D’ALMEIDA

Aliou Cissé sur la sellette

 

Apparemment, son 3-5-2 ne lui aura pas réussi, déclenchant contre lui l’ire de la presse sénégalaise, unanime pour le coup, à voir en lui le coach ‘’nul’’ qui n’a pas vocation à mener le Sénégal à la victoire en Coupe d’Afrique des nations. La volée de bois verts que le coach de l’équipe nationale de football aura reçue, est assez illustrative du climat conflictuel qui est celui de tout le pays et qui désigne en victime expiatoire l’auteur de toute erreur ou de toute faille.

Pour le coup, Aliou Cissé aura servi de dérivatif aux colères enfouies qui n’ont pas trouvé dans les fureurs de février la catharsis dont elles avaient besoin pour poursuivre leur acclimatation à l’ordinaire quotidienneté de la cité.

Le 0-0 face au Congo avait déjà braqué les amateurs du ballon rond et les acteurs d’une presse survoltée qui, du coup, semblaient découvrir les rastas de cet Aliou, naguère adulé. La mémoire des peuples désacralise ce que leur conscience sacralise. Parce que toute mémoire est oublieuse. Heureusement !

N’eût été donc la salvatrice sortie de Cheikhou Kouyaté aux ultimes instants de ce match morose contre l’ex-Swaziland, les garçons d’Aliou Cissé auraient perdu la partie contre une équipe qui n’avait visiblement rien à perdre. Inadmissible pour les fervents du ballon rond qui constituent au Sénégal une église à part entière : celle de la fidélité à un dieu visible dans sa forme sphérique, inégalable dans les bonheurs qu’il procure… le temps d’un match.

Sous contrat jusqu’en 2022, Alioune Cissé n’a théoriquement rien à craindre quant à son maintien aux commandes de la sélection sénégalaise. Mais dans la pratique, les choses peuvent en être tout autrement : le mécontentement du monde footballistique est tel qu’il est inimaginable qu’Aliou Cissé ne se sente pas dans l’inconfort de ces antichambres détestables qui donnent sur la sortie.

Son 3-5-2 aura accouché d’une animation offensive pauvre, comme si le coach ne désirait que se préserver de possibles buts dans la défensive, et accessoirement, envoyer ses attaquants célèbres au charbon de l’intervalle à l’intérieur duquel la victoire resterait possible. Sans en être vraiment convaincu…

Cette stratégie empreinte de défiance par rapport à soi n’était, à l’évidence pas de nature à engranger les succès escomptés. Et l’on est d’autant plus surpris que ce 3-5-2 n’était pas le plan de jeu habituel du coach sénégalais. On aurait tort de le juger sur ses choix ; on aurait tort de désigner à la vindicte populaire un coach jadis salué.

Mais le monde du football est aussi impitoyable que tous les mondes qui charrient les rêves humains ou les échecs qu’ils subliment. Celui du Sénégal est d’autant plus atypique qu’il cristallise tous les amalgames : les échecs, les colères, les frustrations individuelles ou collectives d’une nation désireuse de s’accrocher absolument à un rêve, à une image, à un idéal, pour se donner des raisons d’espérer, plongée qu’elle est dans  l’océan de désespérance qui ressemble tragiquement à celui dans lequel se perd des centaines de vies chaque année, en tentant de rejoindre un Occident de plus en plus hermétique.

Dans ces moments bousculés que vivent les Sénégalais, Aliou avait comme le devoir de les faire rêver ; il sera passé à côté et les scrutateurs de son action ne lui auront pas fait la concession de cette marge d’erreur qui est consentie à tout être fait de chair et de sang. Mauvais timing de l’échec.

Six ans sans rien gagner ? C’est beaucoup, en effet. Mais il se susurre aussi que la colère des gradins sénégalais contre Cissé ne serait pas exclusivement imputable à ses résultats, mais aussi au crime de ses accointances supposées avec le pouvoir de Macky Sall dont il aurait les faveurs et le soutien.

Il ne fait pas bon, en ces temps troublés et confus, de flairer bon le ‘’mackysme’’ ; c’est un peu se faire hara-kiri et de s’exposer aux passions extrêmes que soulève l’irrationnel qui est un peu l’air du temps politique de ces dernières semaines. Il serait juste à regretter qu’elles envahissent aussi le champ ludique dans leur manifestation haineuse.

 

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