Publié le 5 Feb 2021 - 00:17
CLAUDE DEMBA DIOP (DG ADJOINT NMA)

 ‘’Entre fermer boutique ou essayer de jouer à l’équilibre (…) on a préféré augmenter de 10 %’’

 

La hausse des prix de l’aliment de bétail et de volaille est ‘’inévitable’’, en cette période de crise sanitaire où tous les secteurs de l’économie sont à l’agonie. Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, le directeur général adjoint de la Nouvelle minoterie africaine (NMA) affirme qu’entre fermer boutique ou essayer de jouer à l’équilibre entre les consommateurs et la production industrielle, ils ont préféré augmenter de 10 %, au lieu d’augmenter de 25 à 27 %.

 

Le prix de l’aliment de volaille et de bétail a connu une hausse de 10 %, en début de semaine. Concrètement, qu’est-ce qui justifie cette hausse de la part des industriels ?

Cette hausse est un peu liée à la tension qui existe au niveau mondial, pour les céréales. Aujourd’hui, à travers le monde, le prix d’acquisition de céréales a largement évolué sur toutes les denrées de première nécessité. Le blé a connu de grosses hausses, le maïs, également, de même que le tourteau de soja. C’est un ensemble. Au-delà même du problème de disponibilité de la matière première, il y a même le fret qui a augmenté de plus de 39 %.

Donc, ce sont tous ces effets conjugués qui ont fait qu’on était tenu, malgré nous, d’augmenter de 10 % le produit fini. Il faut noter qu’à l’acquisition des matières premières, on a des augmentations de 20, 30 et même de 35 %. On n’a pas voulu répercuter cela sur l’aliment. Donc, on a préféré se limiter à 10 %, pour veiller un peu à l’équilibre entre nous et nos clients.

Mais les services du ministère de l’Elevage aussi disent n’avoir été informés de la hausse qu’au même moment que les acteurs…

Oui. En fait, une correspondance a été adressée aux autorités pour expliquer que compte tenu du contexte mondial, nous n’avions pas d’autre choix que d’augmenter les prix de l’aliment de bétail et de volaille, pour la survie de nos unités industrielles.

Donc, cela n’a rien à voir avec le fait de vouloir compenser les pertes subies, lors de la première vague ?

Non, du tout. Je prends un exemple très simple. Sur le maïs, il y a eu une progression de 50 à 60 euros sur la tonne, soit une augmentation de plus de 25 ou 26 %. Pour le tourteau de soja, il a progressé de 100 à 110 euros la tonne. Sur le tourteau d’arachide, c’est une évolution de 60 000 F CFA par tonne.

A la lecture de ces chiffres, on a une augmentation sur cette période de l’ordre de 25 à 35 %. Cela n’a absolument rien à voir avec les efforts qui ont été consentis et non-dits lors de la première vague.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus de ces impacts de la première vague sur votre secteur ?

Nous avons été impactés. Mais, à l’époque, nous travaillions en étroite collaboration avec le ministère du Commerce. Il n’y avait pas aussi une si grande tension sur le prix des matières premières. Il n’y avait pas cette hausse aussi importante. On avait plus des difficultés au niveau des ports, avec l’engorgement des ports, le ralentissement au niveau des chargements. Le fret était plus difficile. Mais, en termes de prix, à l’époque, cela se concevait. Ce n’était pas méchant. A titre d’exemple, lors de la première vague, on avait le maïs qui tournait autour de 200, voire 211 euros. Aujourd’hui, on ne peut pas l’avoir à moins de 240 euros.

On a quand même une grosse différence. Pour le soja, lors de la première vague, on était autour de 390 euros la tonne. Aujourd’hui, on est 462 euros la tonne. Même si, lors de la première vague, on a pu accepter les difficultés, autant avec la deuxième vague, il était impossible de ne pas réagir. Sinon, soit on fermait, réduisait le personnel, ou on s’orientait vers une production de mauvaise qualité. C’est un choix. Entre fermer boutique ou essayer de jouer à l’équilibre entre les consommateurs et la production industrielle, au lieu d’augmenter de 25 à 27 %, on a préféré augmenter de 10 %. Et d’ailleurs, sur certains produits, on a accepté de ne pas faire de hausse. Parce qu’on s’est rendu compte que la production n’était pas aussi importante et l’impact n’était pas aussi important que sur le gros lot.

Et quels sont ces produits sur lesquels vous n’avez pas jugé nécessaire d’appliquer une hausse ? 

C’est toute la production laitière, les produits techniques qui touchent un peu les lapins, les chevaux, les moutons de race, etc. Tous ces produits n’ont pas connu de hausse. Malgré le fait qu’en termes de coût, ce sont des coûts plus élevés. Mais quand on le ramène à la quantité produite, on peut supporter ces pertes-là, que lorsqu’on fait des pertes sur des matières qui sont produits en grande quantité.

Si on tient compte du contexte actuel, est-ce que la deuxième vague ne risque pas de plomber plus le secteur ?

C’est vrai que le contexte actuel au niveau de la filière n’est pas du tout favorable. Mais à l’impossible, nul n’est tenu. On sait qu’il y a la grippe aviaire, les difficultés des ménages à avoir suffisamment de ressources. On sait que les matières premières sont à la hausse. Il faut juste trouver le bon équilibre. Je note au passage que l’augmentation n’impacte que de 3 F CFA sur le prix de l’œuf et 100 F sur celui du poulet. Il faut savoir aussi raison garder.

Est-ce qu’il y a eu une évaluation des pertes subies, avec ces désagréments sur vos activités ?

Je vais faire un calcul qui, à mon avis, est très simple. Pour chaque sac, on aurait dû augmenter 2 587 F CFA et on a augmenté 1 500 F CFA. Si on avait décidé de ne pas augmenter pour une production de 10 000 tonnes d’aliment-volaille par mois, c’est une perte sèche de 500 millions de F CFA. Si on ramène le même chiffre à l’aliment-bétail, 10 000 tonnes par mois, on va perdre également aux alentours de 215 millions de francs.

Dire aujourd’hui que nous n’avons pas fait d’efforts, c’est, à mon avis, peut-être ne pas regarder avec lucidité la réalité des chiffres. Si on accepte de ne pas augmenter de 900 F CFA l’aliment de bétail, parce qu’on aurait dû le vendre à 1 700 F CFA, c’est à 750 F. On lâche presque 1 000 F. Les provendiers ont accepté, sur chaque sac d’aliment volaille, de ne pas appliquer la vérité des prix pour renoncer à 1 047 F.

 Pour l’aliment de bétail, on renonce à 984 F CFA par sac. Si on fait le calcul, on peut voir ce qu’on perd pour une tonne, sur un mois, une année, si on ne s’ajuste pas et si on ne sauve pas des emplois.

Pensez-vous que l’Etat pourrait venir en aide aux industriels, comme il l’a fait lors de la première vague ?

Si, je pense que comme l’Etat l’a toujours fait, par rapport à la farine, il a trouvé les moyens d’accompagner les unités industrielles en baissant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 6 %. C’est vrai que sur l’aliment de bétail, c’est un peu compliqué, puisqu’il n’y a pas de TVA, c’est un prix hors taxe. Mais comme on l’a fait avec la Covid, il y a eu énormément de tonnes d’aliments qui ont été cédées aux acteurs et qui leur ont permis notamment sur le bétail d’acheter l’aliment à 2 200 F, en subventionnant. Sur la volaille, il y a eu 200 millions octroyés aux éleveurs. Il n’est pas dit que l’Etat ne fera pas un effort, en subventionnant une partie de l’aliment. 

MARIAMA DIEME

 

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