La part d’histoire dans ‘’Jazawu Sakkoor’’
Hier s’est ouvert à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar le colloque marquant le début des festivités de la 3e session du Festival ‘’Salam’’. Le Pr Ibrahima Thioub a livré la première communication du panel ‘’les figures, les forces et les localités’’. Une occasion pour lui de revisiter un des poèmes de Cheikh Moussa Kâ.
‘’Situer la performance soufie’’, telle est la thématique générale du colloque organisé dans le cadre de la troisième édition du festival ‘’Salam’’. Et c’est l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) qui reçoit la rencontre ouverte hier. Avec des professeurs de l’université de la Caroline du nord à Chapel Hill et leurs collègues sénégalais, ils vont échanger pendant trois jours sur le soufisme. C’est dans ce cadre que l’historien, par ailleurs recteur de l’Ucad, Ibrahima Thioub s’est penché sur ‘’Jazawu Sakkoor de Shaykh Musa Ka : une lecture confrérique de la crise des pouvoirs ceddo en Sénégambie’’. ‘’Ce texte est un poème wolof et son auteur dit que c’est une prose de Cheikh Ahmadou Bamba qu’il a versifié’’, explique M. Thioub. Ce dernier s’est, pour la présente analyse, intéressé au ‘’Jazawu Sakkoor geej gui’’. Un poème de 764 vers racontant l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon par la mer. ‘’L’interprétation la plus populaire le renferme dans une critique acerbe du pouvoir colonial, une interprétation nationaliste’’, informe l’universitaire. Mais pour lui, c’est plus que cela.
‘’On s’est très peu intéressé à la lecture que le poète opère sur les pouvoirs ceddos, des Etats wolof de la Sénégambie qui étaient en crise avec un déclin irrémédiable du personnel colonial (…)’’, constate M. Thioub. Là commence les problèmes. Ceux qui ont été recyclés vont commencer à combattre les confréries émergentes. ‘’Ce qui débauche sur toutes sortes de conflits, des guerres saintes, appel au jihad, exactement comme ce qui se passe actuellement. Quand vous lisez ce texte de Cheikh Moussa Kâ, vous avez l’impression de suivre le journal de 20h dans les mêmes termes’’, assure l’historien.
En outre, rappelle le panéliste, au moment où le guide du mouridisme s’installait dans le Baol, Merlin avait fini de mettre en place une nouvelle chefferie. Cette dernière était au contact direct des populations et était recrutée dans les familles aristocratiques qui avaient régné sur les états monarchiques. Les recrues étaient envoyées à l’école franco-arabe de Tunis où ils se familiarisent avec les méthodes de l’Administration française. Seulement, les populations ne reconnaissaient pas leur autorité. Elles étaient beaucoup plus proches des leaders maraboutiques en particulier Cheikh Ahmadou Bamba, surtout celles rurales.
Ainsi, les mourides refusaient de faire allégeance à cette administration, de payer l’impôt et les taxes abusives. Une répression est tentée en vain. Un complot est ourdi contre Bamba ce qui l’amena à s’exiler au Gabon. Ainsi, ‘’le poème met en confrontation le pouvoir du Baol et la communauté mouride. Le Baol est dirigé par un roi qui porte le titre de Teigne’’, rappelle-t-il. Dans le poème, l’exemple qui est donné est celui du Teigne Tanor Dieng qui a été élu au cours d’une réunion dirigée par un capitaine de l’armée française. La dévolution du pouvoir ne respectait plus la constitution du Baol. Il voulait être reconnu comme le seul leader musulman demandant aux mourides de lui faire allégeance. Ce qu’ils refusèrent. Une belle part d’histoire enfouie dans ce texte littéraire aux vers riches.
BIGUE BOB