Une semaine décisive pour la junte
Isolé de la scène internationale, le Niger désigne la France comme bouc émissaire, fait un clin d’œil à Moscou et aux juntes militaires de la sous-région et érige la jeunesse nigérienne en bouclier, pour dissuader toute velléité d’intervention de la CEDEAO.
Ils croyaient que le pouvoir était déjà en poche. Qu’à la limite, il y aurait de la part de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) quelques sanctions économiques et financières qui vont affamer le peuple nigérien, pendant qu’eux, comme leurs homologues du Mali et du Burkina Faso, continueraient à jouir des privilèges du pouvoir.
À l’arrivée, les choses semblent on ne peut plus compliquées que ce qui était prévu.
Cette fois, le grondement de l’organisation régionale a été entendu jusqu’au-delà des frontières de ses pays membres. En Europe comme aux États-Unis, le message de la CEDEAO, porté par le président nigérian Ahmed Tinubu a été bien entendu. L’ultimatum de sept jours arrivé à terme le dimanche 6 août, à minuit, l’organisation promet de se réunir dès jeudi pour se prononcer. Déjà, les États-majors militaires des pays membres engagés se disent déjà prêts et n’attendent plus que le feu vert des décideurs qui ont le dernier mot. Alors que certaines franges de l’opinion continuent de railler, les putschistes de Niamey, eux, semblent bien prendre au sérieux la menace. Dans leurs dernières sorties, ils ont levé un coin du voile : ‘’Malgré la désapprobation des peuples du Niger et de la CEDEAO, un prédéploiement des forces devant participer à cette guerre a été entamé dans deux pays de l’Afrique centrale. Le CNSP (Conseil national de la sauvegarde de la patrie) suit avec attention les préparatifs de cette guerre par procuration, pour laquelle le mandat de la CEDEAO était juste un quitus nécessaire. Le CNSP prend à témoin l’opinion et affirme que tout État à partir duquel une action militaire est dirigée contre le Niger sera considéré comme cobelligérant.’’
Pour faire échec à cette menace jugée de plus en plus imminente, le CNSP multiplie les appels pour mobiliser la jeunesse nigérienne et ses potentiels alliés. Pour y parvenir, le moyen le plus efficace s’est avéré être la désignation de puissances étrangères comme coupable de tous les maux et la CEDEAO comme simple marionnette. Les militaires accusent : ‘’Des forces d’une puissance étrangère s'apprêtent à agresser le Niger et son peuple, en coordination avec la CEDEAO et des groupes armés terroristes. Le CNSP met en garde la CEDEAO à la solde de cette puissance étrangère contre toute ingérence dans les affaires intérieures du Niger, ainsi que les conséquences désastreuses de cette aventure militaire sur la sécurité de notre région, sa stabilité et l’unité de notre communauté.’’
Dans la même veine, les militaires appellent les jeunes à se mobiliser pour, disent-ils, ‘’la défense de la patrie’’.
‘’En tout état de cause, souligne le porte-parole, les forces armées nigériennes et l’ensemble de nos forces de défense et de sécurité, fortes du soutien indéfectible de notre peuple, sont prêtes à défendre l’intégrité de notre territoire et l’honneur de notre peuple. À cet effet, le CNSP lance un vibrant appel à la jeunesse pour qu'il’ se tiennent prêts pour la défense de la patrie’’.
Moins bavarde depuis le dernier sommet tenu à Abuja, l’organisation régionale, elle, continue de dérouler des actes concrets. À la suite des chefs d’État, les chefs d’État-major se sont également réunis pour planifier l’intervention militaire, si elle doit avoir lieu. Le commissaire aux Affaires politiques à la Sécurité de la CEDEAO, Abdel-Fatau Musah, disait : ‘’Nous sommes déterminés à mettre un terme à ce putsch, mais la CEDEAO ne va pas dire aux putschistes quand et où nous allons frapper. C’est une décision opérationnelle qui sera prise par les chefs d’État.’’
En attendant la rencontre décisive de jeudi prochain, d’autres médiations ont été initiées par des États tiers, dont les États-Unis, qui ont tenté de raisonner les militaires à rendre le pouvoir. Quant à la France, elle a écarté officiellement toute possibilité d’intervention militaire dans cette affaire, tout en soutenant les actions de la CEDEAO.
Du côté du Sénégal, l’on se met déjà à disposition de l’organisation régionale. La ministre des Affaires étrangères explique : "Nos soldats doivent y aller pour deux raisons. La première est que nous sommes dans une organisation communautaire qui s’appelle CEDEAO et qui en a décidé ainsi. Et le Sénégal a une signature internationale ; il ne peut pas être membre d’une organisation et se soustraire aux décisions de celle-ci. La deuxième, c'est que la conviction du Sénégal, c'est qu'il faut arrêter ces coups d'État. C'est pourquoi on y va. Que nous disent ces juntes une fois au pouvoir ? C'est de mettre fin à l'insécurité. Est-ce qu'il a été une fois mis fin à l'insécurité ? Ce que l'on a constaté, c'est qu'une fois au pouvoir, les militaires sont installés dans les postes de direction. Voilà pourquoi la CEDEAO a pensé maintenant qu’il faut y mettre fin", justifiait-elle.
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DR SERIGNE BAMBA GAYE
‘’La CEDEAO a une longue tradition d’intervention militaire, mais les contextes ne sont pas les mêmes’’
Alors que la CEDEAO tente par tous les moyens d’arrêter cette maladie contagieuse que constituent les coups d’État militaires, certaines puissances, elles, ne dorment plus à cause des enjeux géostratégiques énormes.
Plus qu’une affaire intranigérienne, la situation au Niger a des relents sous-régionaux, régionaux et même internationaux.
Joint par téléphone, l’expert en gouvernance et stratégie, Dr Serigne Bamba Gaye, explique : ‘’En fait, le Sahel est devenu le champ d’affrontement entre l’ancienne puissance coloniale et de nouveaux acteurs. Je lance un appel pour que tout soit fait pour que la vie du président Bazoum soit préservée et que l’on fasse tout pour que les États puissent trouver une solution à cette crise. Les gouvernements ouest-africains doivent prendre conscience des intérêts géostratégiques de la région et ne pas être des marionnettes à la solde de puissances étrangères.’’
Revenant sur les implications d’une intervention militaire de la CEDEAO, Dr Gaye insiste sur le fait que c’est loin d’être un fait inédit pour l’organisation régionale. Déjà, dans son bilan, la CEDEAO compte au moins quatre interventions militaires dans des États membres. Il en fut ainsi au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée-Bissau et plus récemment en Gambie pour déloger le régime de Yaya Jammeh, sous la conduite du Sénégal. Quand la CEDEAO intervenait en Sierra Leone, explique le spécialiste, c’était pour intervenir dans des guerres longues, cruelles, qui ont mis à genoux ces pays. ‘’La CEDEAO est intervenue pour lutter contre les gangs, les bandes armées… Elle a eu des difficultés relatives, mais cela a contribué à la pacification de ces pays. Concernant la Guinée-Bissau, la CEDEAO est intervenue dans le processus, a facilité l’organisation d’élections et à la mise en place d’institutions démocratiques. Dans le cas de la Gambie, le président Jammeh, qui a été battu aux élections, a refusé de reconnaître les résultats des élections et l’intervention de la CEDEAO a permis de le déloger et d’installer le président Barrow qui a été élu. C’est donc une organisation qui a une longue tradition dans ce sens, contrairement à beaucoup d’autres organisations régionales en Afrique.’’
Toutefois, s’empresse-t-il d’ajouter, les contextes ne sont pas les mêmes, les époques ne sont pas non plus les mêmes.
Dans le cas du Niger, beaucoup d’analystes misent également sur un appui surtout officieux de la part des Français qui y disposent d’une force de 1 500 éléments, mais aussi des États-Unis qui y disposent de l’une de leurs plus grandes bases en Afrique. Cela est d’autant plus probable qu’il y a de fortes chances que si leur coup prospère, que les nouvelles autorités se jettent dans les bras de Moscou et de Wagner, à l’instar de leurs homologues du Mali et du Burkina Faso.
À propos justement des États-Unis, Dr Serigne Bamba Gaye a déclaré : ‘’Les États-Unis ne peuvent pas être à l’écart, parce qu’il y a beaucoup d’enjeux. Mais eux ne sont pas comme les Français ; ils font un travail dans l’ombre ; ils ne sont pas dans une logique d’invectives et de confrontation. Mais cela va de soi qu’ils feront tout pour préserver leurs intérêts géostratégiques dans cette région.’’
Dans tous les cas, l’analyste en géostratégie a tenu à relever que personne n’a intérêt à une escalade de la violence et que les parties devraient tout mettre en œuvre pour trouver une solution pacifique.
MOR AMAR