Publié le 17 May 2022 - 20:45
COUSINAGE À PLAISANTERIE À BIGNONA

‘’Abadji-to’’, plus qu’une association, un gros village imaginaire !

 

Il n’existe pas sur la carte nationale. Et pourtant, le village ‘’Abadji-to’’, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a tenu sa première journée culturelle et son congrès à Kafountine, dans le département de Bignona.

 

Les rideaux sont tombés, ce dimanche, sur la première édition des journées culturelles de l’association ‘’Abadji-to’’. Ouvertes ce 13 juin, ces journées aux allures d’un festival ont réuni les villages de Tendouck, de Mlomp, de Kabiline et les iles Karones, dans le département de Bignona. Les ressortissants de ces villages sont, depuis la nuit des temps, tous des cousins à plaisanterie. C’est la raison pour laquelle elles se disent appartenir à un gros village qui est ‘’Abadji-to’’. Village qu’on ne retrouve nulle part sur la carte nationale. Mais qui, selon eux, existe bel et bien dans leur imaginaire. ‘’Ce cousinage a été entretenu et développé depuis les temps ancestraux, a survécu à travers les siècles et se vit encore, de nos jours, malgré les coups de boutoir de la modernité et de la globalisation’’, a indiqué le président de l’association, Fabourama Sagna.  

Selon lui, parmi les préceptes qui sous-tendent ce cousinage, figure en bonne place l’interdiction de verser le sang du cousin ou de la cousine. ‘’Tu ne verseras point le sang du cousin. Tu ne défieras point le cousin en sport de combat et dans les conflits. Tu ne refuseras point la médiation en cas de conflit interne, entre autres’’, a fait savoir M. Sagna lors de la cérémonie officielle d’ouverture de la manifestation.

À l’en croire, ces quelques préceptes mettent en relief la dimension de régulation des peuples pour une commune volonté de vivre ensemble. Et les journées culturelles, ajoute-t-il, constituent un prétexte pour redynamiser cet outil fondamental de régulation sociale. Cette organisation sociale peut ainsi être un puissant outil de développement socio-économique et de restauration de la paix.

Sous ce rapport, elle constitue un levier sur lequel on peut s’appuyer pour la réconciliation des populations de la Casamance entre elles, pour amorcer le pardon dans les cœurs et les esprits. La réconciliation suppose l’instauration d’un dialogue, d’un échange entre les frères à l’image d’’’Abadji-to’’, a encore déclaré le président de l’association, non sans souligner que ces journées ont pour objectif d’actionner un des leviers devant permettre à l’association d’ouvrir la voie à des activités économiques.

 Parrain de l’événement, le directeur de la Promotion touristique, Philippe Ndiaga Ba, a indiqué qu’il faut inscrire ces journées dans le cadre de la recherche d’une paix définitive en Casamance. ‘’Sans paix, pas de tourisme. Le cousinage à plaisanterie garantit le dialogue entre les peuples. Il est un gage de paix sociale. C’est pourquoi, à Ziguinchor, la plupart des   chefs de service étaient des Sérères’’, a souligné M. Ba.

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SALIFANA DIATTA, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION HONNORO DE TENDOUCK

‘’’Abadji-to’ est un modèle pour faire la paix en Casamance’’

Vous êtes à Kafountine pour participer à la 1re édition des Journées culturelles et au Congrès d’’’Abadji-to’’. Qu’est-ce que ce genre de rencontre vous inspire ? 

Je suis là pour confirmer et magnifier une réalité vécue depuis des siècles par nos ancêtres. Il s’agit du lien familial qui existe entre les villages de Tendouck, de Mlomp, de Kabiline et des iles Karones. Il est important de se rappeler des traditions. Depuis mon enfance, mes parents de Tendouck me parlaient souvent de Mlomp, de Kabiline et des iles Karones.  Pas celui de Djimande ou d’Ediamath qui sont tous proches de Tendouck. C’est au fur et à mesure, quand j’ai grandi, que j’ai trouvé la réponse dans des associations de ce genre. Selon mes parents, les villages de Mlomp, de Kabiline et les iles Karones proviennent tous de Tendouck.

Le grand frère était à Tendouck.  Et les petits frères se sont successivement implantés à Mlomp, un autre à Kabiline et le dernier dans les iles Karones. Nous provenons donc tous de la même mère et du même père. J’ai d’ailleurs dit à quelqu’un de Mlomp ‘dégage’, et il est parti, sans problème. Moi-même je me sens en sécurité en lui donnant des ordres. Le cousinage à plaisanterie, c’est quelque chose de très profond. On ne peut pas l’expliquer. Quand vous rencontrez votre cousin à plaisanterie, vous vous  sentez en sécurité, parce que vous êtes certain que là où vous vous trouvez, c’est le bon endroit. Et vous avez rencontré la bonne personne. Vous n’avez peur de rien.  Au contraire, vous êtes à l’aise ! C’est ce que je sens quand je me retrouve avec mes cousins ou cousines à plaisanterie.

Qu’est-ce que le cousinage à plaisanterie peut apporter dans la construction de la paix en Casamance ?

 La paix est d’abord intérieure. Lorsque vous baignez dans cette paix intérieure, la personne avec qui vous êtes  ressent cette paix. Cette paix se transmet d’une personne à une autre. Et finalement, tout le monde sent cette paix. C’est la joie. Je pense que ce modèle ‘’Abadji-to’’, qui regroupe les quatre villages doit être multiplié. Si l’on dispose de ce même modèle dans toutes les zones, les Diolas vont atteindre Aguène et Diambone, puis les Toucouleurs et ainsi de suite. C’est comme ça qu’on arrivera à construire la paix des cœurs. Maintenant, il faut être sincère. Dans le cousinage à plaisanterie, l’on ne doit pas verser le sang du cousin.

L’on ne doit voir son sang. C’est sacré, un point, un trait. Moi, je m’interdis d’insulter un individu des iles Karones, de Mlomp ou encore de Kabiline. Je peux le faire en plaisantant. J’ai le devoir sacré de protéger mon cousin à plaisanterie. Je n’ai pas le droit de lui faire du mal, ni de le frustrer. Même si je le fais par mégarde, je transformerai cela en plaisanterie jusqu’à ce que lui-même soit à l’aise. C’est cela ‘’Abadji-to’’. Il s’agit de montrer à la Casamance qu’il y a encore des opportunités pour faire la paix. Des rencontres de ce genre permettraient à d’autres de s’organiser, de s’inspirer de ce modèle. Les autres l’on fait, nous aussi, il faut que nous le fassions. La Casamance a besoin de ce genre de structure pas officielle. La plaisanterie, c’est la plaisanterie. Votre cousin à plaisanterie, c’est votre cousin de sang, quelle que soit la situation. Nombreux sont les problèmes en Casamance qui se règlent par le biais du cousinage à plaisanterie. Je souhaite que ce genre d’organisation se pérennise et fasse tache d’huile partout pour la consolidation de la paix en Casamance et au-delà.

PROPOS RECUEILLIS PAR HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

 

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