La “guerre froide” entre l’imam Mahmoud Dicko et la junte continue
Le très influent imam Dicko a multiplié, depuis plusieurs semaines, des attaques et saillies contre les soldats de la junte malienne. Le guide religieux, qui était opposé à la tenue du référendum du 18 juin dernier, entend revenir dans le jeu politique malien, comme ce fut le cas sous IBK.
Cette fois, la guerre semble être déclarée entre l’imam Mahmoud Dicko et le chef de la junte malienne Assimi Goita. L’imam Dicko, une des personnalités incontournables sur la scène politique malienne depuis la chute du président Ibrahima Boubacar Kéita, depuis plusieurs jours, multiplie les saillies et les attaques contre la junte militaire. L’ancien président Haut conseil islamique malien (HCIM) de 2008 à 2019, n’a pas du tout apprécié le caractère laïc de la nouvelle Constitution qui a été adoptée le 18 juin dernier.
D’après le leader religieux, le caractère laïc de cette Constitution menace l’islam. ‘’C’est au nom de cette laïcité que le Coran est piétiné et que Allah et son prophète sont profanés’’, estime-t-il.
Cette prise de position fait suite à une offensive de ses partisans appelant les Maliens à rejeter cette Constitution. La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko (CMAS) a déposé plusieurs requêtes en annulation du scrutin référendaire devant le Conseil constitutionnel pour dénoncer ce vote.
Mais ces requêtes judiciaires ont très peu de chances d’aboutir, en raison du poids de la junte dans l’appareil judiciaire totalement inféodé au pouvoir militaire.
L’Imam Dicko, en franc-tireur, a décidé de tirer à boulets rouges sur le régime d’Assimi Goita accusé d’avoir confisqué la souveraineté populaire. À l’occasion d’un meeting organisé par la Ligue malienne des imams (Limama) vendredi dernier, Mahmoud Dicko a accusé la junte de ‘’bâillonner’’ le peuple.
‘’Je ne collabore jamais avec des gens qui ont confisqué la lutte du peuple et qui sont en train de bâillonner ce même peuple… Dans notre pays aujourd’hui, peut-on parler de justice, de démocratie, de Droits de l’homme ?’’, s’est interrogé l’imam.
Mahmoud Dicko dénonce aussi des pratiques comme le népotisme, le clientélisme et la corruption qui, d’après lui, ont toujours pignon sur rue dans le pays. La justice est utilisée pour réprimer les voix dissidentes, condamne également le religieux qui jouit pourtant de sa liberté, malgré ses critiques à l’égard du régime.
En outre, d'après les spécialistes, le torchon brûle entre les deux personnalités, depuis plusieurs années. L’imam Dicko avait dénoncé l’arrogance des militaires au pouvoir. Le 26 mai 2022, lors du 22e Forum de Bamako, Mahmoud Dicko a pris la parole pour déclarer : ‘’Pendant que le peuple malien est pris en otage par des gouvernements arrogants, je dis bien arrogants, on ne cherche pas de solutions [aux problèmes de notre pays]. Nous, nous sommes dans notre arrogance et le peuple est en train de mourir’’, a-t-il déclaré.
Stratégie de conquête de la rue face à la junte nationaliste
Selon plusieurs spécialistes, la junte a décidé d’ignorer le remuant guide religieux, dans le but de s’épargner l’ouverture d’un front de contestation interne, alors que le péril djihadiste semble être aux portes de Bamako. Les colonels au pouvoir préfèrent lui laisser sa liberté de ton, du moment que ses critiques n’ont pas une grande incidence sur leur gouvernance. Le taux de participation du référendum est de 38,8 % et les résultats définitifs sont prévus vendredi prochain.
Si le Oui venait à l’emporter, cela pourrait apparaitre comme un camouflet pour l’imam qui avait milité pour le Non. L’imam Dicko et ses ouailles ont fragilisé le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta, à travers le raz-de-marée humain pendant plusieurs jours, notamment le 5 et le 19 juin 2020, à l’appel de l’imam, ce qui a abouti de façon imparable à la chute de l’ancien président malien. Il a été arrêté le 18 août 2020 et, dès le lendemain, Assimi Goita est devenu président du Comité national pour le salut du peuple.
Toujours selon l’opposition et le CMAS, cette nouvelle Constitution doit abroger la précédente adoptée en 1992 ouvrant la voie à un maintien des militaires au pouvoir au-delà du scrutin présidentiel prévu en février 2024, malgré leur engagement de rendre le pouvoir aux civils après les élections. Elle alimente les spéculations persistantes sur une éventuelle candidature du colonel Goita, chef de la junte malienne à la Présidentielle et prévoit aussi l’amnistie pour les auteurs de coups d’État antérieurs à sa promulgation.
Néanmoins, il lui sera plus difficile de rameuter la rue, comme il l’avait fait du temps du règne d’Ibrahima Boubacar Keita. La junte qui souffle sur la fibre patriotique des Maliens occupe ce terreau du nationalisme et de la lutte impérialiste.
Sur ce, l’expansion des groupes djihadistes avec leur islam rigoriste effraie plus d’un Malien et l’imam est accusé de vouloir installer un régime islamiste au Mali. Une perspective qui est loin de réjouir les capitales occidentales, bien qu’il soit en froid avec le régime malien.
En outre, ce religieux adepte d’un islamiste proche du salafisme effraie aussi les partisans de l’islam soufi très influent au Mali. De ce fait, cette stratégie populiste risque de se heurter à certaines forces traditionnelles et religieuses qui voient dans l’interprétation salafiste de l’islam une violation de son identité culturelle et religieuse marquée par la diversité.
Ainsi, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko (CMAS) apparait comme un cadre plus limité incapable d’agréger diverses forces d’opposition à la junte qui a promis de rendre le pouvoir à la suite des élections générales de 2024. Le Mouvement du 5 juin - Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) qui regroupait diverses organisations politiques et sociales apparaissant comme une dynamique plus importante, car regroupant les forces vives de la Nation face au régime d’IBK considéré comme corrompu et incapable de juguler la crise sécuritaire.
AMADOU FALL