La guerre des mots
La Direction générale des élections (DGE), par la voix de son directeur général Tanor Thiendella Fall, a justifié la non-exécution de l’ordonnance du tribunal d’instance de Ziguinchor par le fait que le ‘’dossier suit toujours son cours judiciaire’’.
Qu’est-ce qui explique la décision du directeur général des Élections de ne pas recevoir le mandataire d’Ousmane Sonko venu récupérer les fiches devant lui permettre de lancer sa campagne de recherche de parrainages ? La question a taraudé les Sénégalais pendant deux jours.
Hier, Tanor Thiendella Fall a enfin donné les raisons de son refus d’appliquer la décision ordonnée par le président du tribunal d’instance de Ziguinchor sur la réinscription de l’opposant sur les listes électorales.
S’il admet avoir pris note de l’ordonnance n°1 du 12 octobre 2023 du tribunal, le directeur général des Élections estime que ‘’sur cette question, il y a lieu de préciser qu'il n'y a pas encore de décision définitive, l'État du Sénégal ayant décidé d'exercer les voies de recours qui s'offrent à lui. Par conséquent, le dossier suit toujours son cours judiciaire. Au terme dudit processus, l'État du Sénégal se conformera à la décision rendue comme il l'a toujours fait’’.
Tanor Thiendella Fall : ‘’Il n'y a pas encore de décision définitive.’’
Le communiqué intervient quelques heures après que l’honorable député Ayib Daffé s’est vu refuser l’accès à la Direction générale des élections (DGE). Le mandataire du candidat Ousmane Sonko, en compagnie d’un huissier de justice venu faire constater l’ordonnance du juge en faveur de la réinscription de l’opposant et retirer par la même occasion ses fiches de parrainage, a connu le même sort jeudi, lors de sa première tentative.
Et tout cela est fait une base totalement illégale, croit Amadou Ba. Le responsable politique de l’ex-Pastef estime que ‘’pour justifier la non-exécution de la décision du tribunal de Ziguinchor, la DGE invoque le pourvoi en cassation de l’État contre celle-ci et lui attribue un caractère suspensif en violation totale de la loi organique sur la Cour suprême’’.
L’article 74-2 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n°2008-35 du 8 août 2008 sur la Cour suprême, modifiée par la loi organique n°2022-16 du 23 mai 2022, auquel fait référence Amadou Ba, dispose : ‘’Le délai de recours et le recours sont suspensifs en cas de déclaration d'utilité publique, d'expulsion d'étrangers d'extradition ; de litiges relatifs à l'élection aux conseils des collectivités territoriales.’’ Quatre situations qu’on ne peut pas appliquer au cas d’Ousmane Sonko, selon lui.
Que dit la loi ?
En second lieu, l’opposant assure que ‘’la DGE agit en violation totale de l’art L47 al 4 du code qui impose la prise en compte immédiate des décisions de justice en matière électorale. En effet, le dernier alinéa de l’article L47 du Code électoral dispose : ‘En tout état de cause, compte tenu des délais en vigueur au niveau de certaines juridictions, les décisions de justice rendues et transmises à l’autorité compétente ou au service de gestion du fichier électoral seront immédiatement prises en compte et traitées dans le sens prescrit, nonobstant la clôture de la période de révision et du traitement des mouvements.’’’
Pour couronner le tout, Amadou Ba ajoute qu’à ce jour, ‘’aucun pourvoi n’a été déposé’’.
La décision du directeur général des Élections a fait réagir le collectif des avocats d’Ousmane Sonko qui rappelle, dans un communiqué, qu’il n'appartient pas au directeur général des Élections de juger du sort d'un recours projeté par une partie au procès, mais qu'il a juste l'obligation d'exécuter une décision de justice, en l’occurrence l’ordonnance rendue par le président du tribunal d'instance de Ziguinchor. Les conseils de l’opposant rappellent à Tanor Thiendella Fall à quoi il s’expose, s’il s’entête dans sa démarche : ‘’Le refus d'exécuter ladite ordonnance engage sa responsabilité personnelle et pénale, en application des articles 106 et suivants du Code pénal.’’
Collectif des avocats de Sonko : ‘’La responsabilité personnelle et pénale’’ du directeur général des Élections est engagée
Dans ce contentieux administratif, judiciaire et politique, la société civile donne raison aux opposants. Birahime Seck invite même le nouveau ministre de l’Intérieur à intervenir. S’adressant à Sidiki Kaba, le coordonnateur du Forum civil estime qu’il ‘’est de votre responsabilité d'instruire la Daf (Direction de l’automatisation des fichiers) et la DGE pour permettre au mandataire de M. Sonko de retirer les fiches de parrainage. Nous réitérons notre proposition d'avoir une autorité non partisane pour l'organisation de l'élection présidentielle’’.
L’attitude de l’administration sur le cas de la candidature d’Ousmane Sonko amène une autre figure de la société civile sénégalaise à se poser des questions. ‘’À quoi sert la loi électorale ? Le DGE, chargé d’organiser l’élection présidentielle, comment peut-il susciter la confiance des acteurs impliqués dans le processus électoral si, délibérément, il refuse d’appliquer une décision de justice enjoignant le préfet de réinscrire Ousmane Sonko sur les listes électorales ? Cette situation crée objectivement une insécurité judiciaire, une insécurité sur les droits fondamentaux d’un candidat’’, s’insurge Alioune Tine, fondateur du groupe de réflexion AfrikaJom Center.
Secrétaire national à la communication de l’ex-Pastef, El Malick Ndiaye abonde dans le même sens. Selon lui, ‘’cette même administration qui accepte de jouer un rôle de filtre des candidats que lui dicte illégalement ce régime est censée assurer le bon déroulement du scrutin’’. Pour l’opposant, l’attitude de la DGE est ‘’une ruse pour tirer sur les délais d'attente, le temps d'accélérer leur pourvoi et entraver l'exécution d'une décision de justice.’’ C’est pourquoi il invite les candidats de l’opposition à ‘’s'unir pour exiger une élection libre, inclusive et transparente et éviter un hold-up électoral.’’
Pour éviter un tel scénario, Alioune Tine invite la Commission électorale nationale autonome (Cena) à intervenir pour demander au DGE de respecter la décision de justice. Il en est de même au ministre de l’Intérieur qui ‘’doit respecter la feuille de route que lui a confiée le président Macky Sall pour créer les conditions maximales d’une élection juste et équitable’’.
Lamine Diouf