Publié le 29 Aug 2023 - 07:52
DÉCÈS D’EVGUENI PRIGOJINE DANS UN CRASH D’AVION

Wagner décapité, l’avenir des mercenaires russes en Afrique en suspens

 

Le décès d’Evgueni Prigojine et de Dimitri Outkine, cofondateur du groupe paramilitaire russe Wagner dans un crash d’avion, pose avec acuité la question de l'avenir du groupe et de ses activités principalement en Afrique où il est très actif. Selon plusieurs experts, le Kremlin serait bien tenté de le maintenir sur le continent avec une nouvelle structure de commandement, dans la mesure où la machine de propagande et de guerre de Wagner apparaît comme une force déstabilisatrice pour les puissances occidentales en Afrique. Une force qui pourrait néanmoins se disloquer, si le gouvernement venait à étendre son contrôle sur une milice jalouse de son indépendance.

 

C’est un coup de pouce plus qu’inattendu de la part du pouvoir russe en faveur de la Françafrique. La disparition brutale du ‘’bouillant’’ chef de Wagner et son bras droit Dimitri Outkine ainsi que plusieurs hauts gradés de la milice dans le crash d’un avion privé, le 23 août dernier, sont le meilleur service rendu à la France. Depuis 2014, cet homme d’affaires longtemps proche de Vladimir Poutine n’a cessé de marcher sur les platebandes de la France, d’abord en Centrafrique puis au Mali et au Burkina. Le groupe paramilitaire a réussi, à coups de campagnes de désinformation et de propagande sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, à  fortement réduire l’influence française dans ce qui jadis constitué son pré-carré (Sahel et Afrique centrale).

À la lumière de ce qui apparaît comme une opération des services secrets et de l’armée russes, suite au crash de l’avion de Prigojine, la question qui brûle les lèvres de tous les experts est : est-ce que la disparition du chef de Wagner, le 23 août 2023 près de Moscou, pourrait avoir des conséquences sur le déploiement et l’épanouissement du groupe paramilitaire ?

Selon les médias russes, la mort aussi de Dimitri Outkine, un ancien du GRU (renseignement militaire russe), bras droit de Prigogine et chef militaire de Wagner, ainsi que de plusieurs membres du conseil des commandants de la milice, semble être un rude coup pour le groupe de mercenaires russes.

Wagner, qui a fait de l’Afrique son principal théâtre d’opérations depuis 2014, aura du mal à se relever de la décapitation de sa direction. Le groupe est présent dans différents pays comme la Centrafrique, la Libye, le Mali, le Soudan et le Mozambique, et mène aussi des opérations d’influence politique dans sept autres pays, dont Madagascar, le Kenya, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud ou encore la Guinée équatoriale.

Le groupe Wagner est constitué d’un ensemble de sociétés autonomes spécialisées dans l’exploitation minière, l’informatique, la vente de bois, le commerce de pierres précieuses, entre autres. Ces sociétés qui génèrent d’importants bénéfices ont ainsi, au fil des années, conforté l’emprise de Wagner dans la politique d’influence russe en Afrique.

Selon le site spécialisé dans le monitoring du groupe, Wagner All Eyes on Wagner, il a été précisé que les sociétés russes actionnaires des opérations minières et pétrolières du groupe Wagner n’ont enregistré aucun changement depuis la mutinerie de Wagner le 23 juin dernier. La rébellion avortée de Wagner le 23 juin dernier a semblé susciter quelques inquiétudes du côté des partenaires africains soucieux de préserver leur alliance avec Wagner.

 Wagner, un atout central dans le Soft Power russe

Evgueni Prigojine, présent au sommet Russie-Afrique (27-28 juillet), s’est fait photographier avec quelques responsables africains comme Freddy Mapouka, le chef du protocole du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, et Justin Tagouh, le président du groupe de presse Afrique Média afin de balayer les inquiétudes des pays africains. Une présence qui n’a pu être possible qu’avec l’aval du Kremlin soucieux de conforter les acquis de Wagner et en filigrane celui de la Russie en Afrique.

Par ailleurs, le régime russe a donné les assurances aux régimes africains concernant la poursuite des missions de Wagner. Tout récemment, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, Evgueni Prigojine a indiqué que son organisation allait se concentrer désormais sur l’Afrique, avant d’annoncer une nouvelle campagne de recrutement, le 21 août dernier. 

De ce fait, l’État russe pourrait jouer la carte de la continuité sous l’autorité d’un autre commandant de Wagner. Le gouvernement russe entend continuer à bénéficier des réseaux profondément implantés dans plusieurs pays africains où ils sont présents depuis 2015. Les mercenaires russes gardent une bonne maîtrise du terrain et ont tissé des réseaux d’alliances auprès des gouvernements centrafricain, malien et burkinabé.

La milice Wagner a une double utilité pour le pouvoir russe qui permet de déstabiliser les puissances occidentales dans leur zone d’influence en Afrique et de renforcer la politique de ‘’dédollarisation’’ de son économie. Depuis les sanctions américaines consécutives à l’annexion de la Crimée, la monnaie russe (le rouble) est désormais basée sur l’or, d’où l’importance de l’activité minière de Wagner et de ses filiales en Centrafrique, au Mali et plus tard au Burkina Faso.

Toutefois, cette volonté de reprise en main de la milice Wagner par le ministre de la Défense russe risque à terme d’entraver le processus de déploiement de Wagner et pourrait occasionner une baisse d’efficacité de Wagner qui a réduit l’emprise des rebelles centrafricains sur le territoire national. Le retour dans le giron du ministère de la Défense pourrait entraîner une vague de départ ou démission de miliciens qui ont rejoint le groupe Wagner qui leur garantissait une certaine liberté d’actions et d’initiatives. Une liberté qui risque d’être fortement entravée si Wagner passait sous contrôle total de l’armée russe.

Les Wagnériens qui se caractérisent par un profond esprit de corps pourraient, en outre, tourner le dos à toute nouvelle organisation placée sous le commandement de l’armée russe ou d’un personnage non issu de leurs rangs.

Sur le plan géopolitique, l'État-major russe serait aussi tenté de mieux encadrer les opérations de sécurité du groupe paramilitaire accusé de nombreuses exactions au Mali (massacre de Moura, mars 2023) et en Centrafrique par les ONG et les Nations Unies. Des abus contre les populations susceptibles de nuire au Soft Power russe qui surfe sur le ressentiment anti-occidental et plus particulièrement français au Sahel.   

AMADOU FALL

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