Publié le 25 Jan 2017 - 01:41
DANS LES RUES DE BANJUL

Les grandes espérances gambiennes

 

Ce sont les premiers jours fatidiques de l’après-Jammeh en Gambie. Les citoyens exigent que la nouvelle page de leur histoire s’écrive au nom de la liberté. Mais le pays n’étant pas totalement remis du départ mouvementé du potentat, l’heure est à la vigilance pour le moment.

 

L’euphorie risque pourtant de céder place à des attentes plus que compliquées pour le nouveau président. La standard de la radio Star Fm a failli exploser hier matin à cause des interventions incessantes dans l’émission Wake up. Elles ont tourné principalement sur ce que devraient être les deux premiers chantiers d’Adama Barrow à savoir l’emploi des jeunes et les libertés individuelles. Dans la rue, le citoyen ordinaire, qui se réjouit du départ forcé de Jammeh, n’en attend pas moins du nouveau chef d’Etat. ‘‘Ce que nous attendons du président est qu’il crée les conditions pour que les jeunes Gambiens accèdent à un emploi décent. Toute autre politique qu’il mènera ne nous intéresse pas’’, affirme Maissa Njie.

Vêtu du très couru tee-shirt blanc floqué ‘‘#Gambia has decided’’, il est en compagnie d’autres jeunes de son âge, tous encore sous le coup de l’allégresse du départ de Yahya Jammeh. Dans l’après-midi déjà, aux environs de 15 heures, c’était une bousculade indescriptible et dangereuse sur le ferry menant du terminal portuaire de Barra à celui de Banjul. Rentrer vaille que vaille comme si c’était la dernière rotation. Une fois les portes ouvertes, une ruée des voyageurs qui voulaient monter a pris en otage les derniers passagers qui avaient tardé à sortir du ferry à cause de bagages trop lourds. Les Gambiens étaient tellement nombreux que mêmes quelques pirogues ont été autorisées à transporter les clients. ‘‘Toutes ces personnes ont fui le pays à cause de Yahya. Le président Barrow devrait vraiment voir ça. Il n’a pas le droit de décevoir tous ces gens. Nous plaçons beaucoup d’espoirs en lui’’, se lamente une mère de famille accrochée au bastingage du pont supérieur du navire. L’encadrement humanitaire n’a pas fait défaut non plus puisque les agents de la Croix-Rouge répètent sans discontinuer ‘‘free bus, free bus’’ (Ndlr : transport gratuit) à la descente.

Le sentiment d’éveil que Yahya Jammeh a étouffé sans discontinuer pendant deux décennies à ses compatriotes a explosé comme un volcan en éruption. Sur la rocade menant à Tipa garage, les journaux sont vendus avec un exhibitionnisme qui n’aurait pas été le cas quelques jours plus tôt. La liberté et devenue le maître-mot dans la rue gambienne. ‘‘Nous ne voulons plus être inquiétés parce que nous avons émis une opinion contraire à celle du président ou d’une autorité’’, s’insurge Baduh Jitom. Dégaine juvénile, arborant lui aussi l’immanquable cri de ralliement des citoyens libres sur son tee-shirt, il promet que la période de grâce du nouveau président sera très éphémère. ‘‘Je sais qu’il n’est pas responsable de cette situation, mais c’est malheureusement à lui de subir toutes les conséquences de la mal gouvernance de Jammeh. Pour certaines questions, on pourra attendre, mais pas sur celle des libertés’’, poursuit le jeune universitaire.

Les ‘‘ Sénégalais’’ moqués

Un peu plus à l’intérieur, Serrekunda ne s’était pas complètement réveillé de la torpeur économique dans laquelle l’avait plongé le départ de milliers de ses fils au Sénégal voisin. C’est toujours le cas quand une situation arrive à terme. Il y a des vainqueurs et des vaincus. La nouvelle tendance dans les différentes localités dans cette partie de la capitale gambienne est à la décompression. Chambrer toutes ces nouvelles têtes que l’on n’a pas revues depuis plus d’une dizaine de jours est devenu très fréquent dans les rues de Serrekunda. Les exilés dakarois sont les têtes de turc de ceux qui ont eu la bravoure, ou le manque de choix, d’être restés en terre gambienne malgré la menace d’une intervention armée de la Cedeao.

‘‘Boy, tu es de retour depuis quand ? toi aussi tu as quitté ta patrie ?’’ s’amuse Adama un vendeur de chaussures de sport. Une rigolade d’autant plus jouissive pour lui qu’il est originaire de Matam au nord du Sénégal malgré sa citoyenneté gambienne. Il n’a pas quitté Serrekunda parce que le coefficient de pénibilité de l’exode était de loin plus élevé que de rester. Une motivation prosaïque qui ne l’empêche pas de s’auto-déclarer héros et traiter Aliyun Juf, venu tâter les paires de chaussures, de fuyard.

Au plus fort de la crise, les chiffres de la Croix-Rouge affichaient plus de 45 000 réfugiés gambiens au Sénégal dont la plupart dans les zones frontalières. Sur la Saerr Jobe Avenue, juste en face du grand marché de Serrekunda, ce sont cette fois-ci les rares commerçants sénégalais restés sur place qui fanfaronnent sans retenue de leur ‘‘victoire’’. Je leur avais dit au moment où ils partaient que rien n’éclaterait. Yahya savait très bien qu’il allait partir. Il voulait juste faire monter les enchères pour imposer ce qu’il voulait vraiment. C’est comme quand nous, commerçants, annonçons un prix deux fois trop cher pour vendre au prix réel’’, laisse échapper Baye Ndiaye Faye. A la différence des Gambiens, lui se moque de ses propres compatriotes dont beaucoup ne sont toujours pas revenus reprendre leur commerce.

Vitrification préventive

‘‘Je ne sais pas si l’on peut exactement parler de pillages’’. Dabara Daboh est dubitative sur l’emploi du terme. Cette habitante de Westfield affirme qu’il y a bien eu attroupements puis affrontements de jeunes surexcités de part et d’autre des deux camps ; les uns soutenant Yahya Jammeh et les partisans de Barrow qui se réjouissaient du départ du potentat. Des heurts sporadiques qui ont commencé au départ de Jammeh et ont fini dès l’arrivée des troupes de la Cedeao, c'est-à-dire dans un laps de temps très court. Pour elle, il n’y a pas de quoi pavoiser.

‘‘C’était une très grande euphorie c’est tout. Tout le monde s’attendait à ce que la Gambie sombre, mais elle est restée à flot’’, se réjouit-elle. Scène de banditisme urbain ou pas, les commerçants n’ont pas voulu être les victimes collatérales de perturbations postélectorales. Dans le terminal de Banjul, l’activité a commencé à vraiment s’animer hier. Beaucoup de grands entrepôts sont restés fermés tandis que d’autres se sont hasardés à braver le climat d’incertitudes. De toute façon, il faudra bien ouvrir tout ou tard. Nous ne pouvons pas continuer d’accuser ce manque à gagner. Il faut savoir mettre un terme à cette instabilité’’, déclare le commerçant grossiste malien Mamanding.

Sur l’alignement de grands commerces, portes métalliques cadenassées alternent avec les quelques boutiques ouvertes sous le passage de containers. ‘‘D’ici le milieu de semaine, tout reviendra  à la normale et ce sera comme s’il ne s’était jamais rien passé’’, prédit-il. Dans l’axe principal menant de Banjul à Serrekunda, un important détachement des Forces Armées de la Cedeao a pris position devant les regards intrigués des conducteurs. La veille, le dimanche, elles avaient réussi, non sans mal, à déloger à force d’interminables conciliabules, mais aussi d’une dissuasion armée passive, les forces résiduelles gambiennes restées fidèles à Jammeh pour prendre position autour du State House, le palais présidentiel. ‘‘Pour le moment, la prudence recommande que les forces de la Cedeao, sénégalaises notamment, se chargent de la sécurisation du palais. Le laisser aux forces gambiennes serait suicidaire’’, déclare sans ambages Baduh Jitom. Une sorte de vitrification préventive destinée à sécuriser les premières heures de la prise de fonction de celui en qui tout un peuple place l’espoir d’une aube nouvelle.

USAINU DARBOE LEADER DE UNITED DEMOCRATIC PARTY (UDP)

‘‘Je ne les considère pas comme une force d’occupation’’

L’opposant historique à Jammeh, chef du Parti démocrate uni (UDP), considère que les détachements armés de la Cedeao sont nécessaires pour le moment en Gambie.

 ‘‘Je ne les considère pas comme une force d’occupation. Je ne sais pas si l’on parle d’une oppression purement sénégalaise ou internationale avec la Cedeao puisqu’il y a des Ghanéens, des Nigérians et des soldats de toute la sous-région. Cela ne me choque pas outre mesure. Quoi qu’il en soit, les circonstances ont rendu nécessaire ce positionnement armé. Si la hiérarchie militaire (Ndlr : gambienne) s’était décidée plus tôt, cela n’aurait peut-être pas eu lieu. Je ne les considère aucunement comme une force d’occupation puisqu’elles ne vont pas contrôler les activités de l’armée nationale gambienne. Mais quand on l’observe de près, on ne peut qu’en conclure qu’elle s’est largement politisée. Aucune armée au monde ne devrait l’être.’’

OUSMANE LAYE DIOP (ENVOYE SPECIAL EN GAMBIE)

 

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