Publié le 22 Dec 2024 - 14:16
DE BARGNY À SALY

L’érosion côtière, un fléau qui dévore le littoral sénégalais

 

Le Sénégal, pays bénéficiant d’une frange côtière longue de 718 km, fait face depuis plusieurs années à un ennemi silencieux mais redoutable : l’érosion côtière. De Bargny à Saint-Louis, en passant par Saly et Rufisque, les vagues gagnent inexorablement du terrain, emportant avec elles habitations, terres agricoles et infrastructures. Ce phénomène, amplifié par le changement climatique et l’activité humaine, expose des milliers de familles à un avenir incertain.

 

 

Bargny, petite localité située à une trentaine de kilomètres de Dakar, est aujourd’hui un symbole de l’érosion côtière au Sénégal. Ici, la mer avance sans relâche, grignotant les maisons et forçant des familles entières à l’exode. Ndeye Yacine Dieng, figure emblématique du combat environnemental dans la région, nous accueille devant les ruines de sa maison détruite. Entre les cris des vagues et le vent qui balaie le sable, elle raconte : « Avant, nous vivions de la pêche et du maraîchage. Mais aujourd’hui, tout a changé. Les jeunes partent en mer dans des pirogues, car ils n’ont plus d’autres solutions pour nourrir leurs familles. Certains ne reviennent jamais. »

Les six quartiers de Bargny Guedj sont en première ligne. Plus de 70 % des activités reposent sur la pêche, mais celle-ci est aujourd’hui menacée par l’avancée de la mer. La construction d’une centrale électrique à charbon, contre laquelle Yacine Dieng a mené un combat acharné depuis 2008, a aggravé la situation.
« Nous n’avions jamais pensé à l’érosion. Mais aujourd’hui, c’est une réalité qui nous dépasse. Nos terres disparaissent et nos jeunes désespèrent », martèle-t-elle.

Saly-Portudal : un modèle de lutte controversé

Contrairement à Bargny, la station balnéaire de Saly a bénéficié d’importants aménagements côtiers. En partenariat avec la Banque mondiale, le gouvernement sénégalais a érigé 12 brise-lames à 200 mètres au large pour protéger cette zone touristique vitale pour l’économie nationale.

Cinq ans après son achèvement, le projet de construction des brise-lames à Saly-Portudal reste un sujet de débat. Si certains saluent un succès majeur qui a redonné souffle au tourisme balnéaire, d’autres dénoncent un déplacement du problème vers des zones non protégées. Entre applaudissements et critiques, la communauté de pêcheurs, les hôteliers et les autorités locales livrent des témoignages qui permettent de mieux comprendre les retombées et les limites de ce projet estimé à 23 milliards de francs CFA, financé avec l’appui de la Banque mondiale.

Un plaidoyer acharné pour Saly-Niakhniakhal

Pour Ibrahima Diagne, jeune pêcheur de Saly Niakhniakhal, l’aboutissement de ce projet est une victoire collective. Coordinateur entre sa communauté et les autorités locales, il se souvient des débuts difficiles. « Au départ, notre localité n’était même pas concernée par les travaux », explique-t-il. La priorité était donnée aux zones les plus fréquentées par les touristes, notamment les plages où se concentrent les grands hôtels. Mais grâce à un plaidoyer acharné, Ibrahima et d’autres acteurs locaux ont réussi à attirer l’attention des autorités.

« On a organisé des réunions publiques, multiplié les échanges avec les élus et les ministères concernés. On leur a dit clairement : si vous sauvez le tourisme, vous devez aussi sauver ceux qui vivent ici depuis toujours. » Aujourd’hui, la satisfaction est palpable, car la construction des brise-lames a permis d’enrayer l’avancée de la mer dans cette zone. « Nous respirons un peu mieux, même si nous restons vigilants », ajoute Ibrahima.

Un tourisme revitalisé, mais à quel prix ?

Pour les hôteliers, la construction des brise-lames a été une bouée de sauvetage. Le tourisme représente près de 7 à 8 % du PIB du Sénégal, et Saly-Portudal en est le cœur battant. Située à seulement quelques heures de vol des grandes capitales européennes, cette station balnéaire a longtemps attiré des milliers de visiteurs chaque année, contribuant à faire vivre une économie locale composée d’ouvriers, d’artisans et de petits commerçants.

M. Ndiaye, directeur d’un hôtel en bord de mer, témoigne : « Grâce à ces fonds, nous avons pu récupérer une partie de notre plage, ce qui a relancé notre activité. Les touristes reviennent, les chambres sont à nouveau réservées, et c’est toute une chaîne d’emplois qui renaît. »

Cependant, le tableau n’est pas entièrement rose. Certaines structures hôtelières n’ont pas pu bénéficier de ces travaux. Elles ont fermé, n’ayant pas pu résister à la violence des vagues et faute de moyens.

Ibrahima Diagne, un jeune pêcheur de Saly Niakhniakhal, salue ce projet : « Au départ, notre localité n’était pas concernée. C’est grâce à un plaidoyer acharné que nous avons été intégrés au programme. Aujourd’hui, nous respirons. Les brise-lames ont sauvé nos plages et nos maisons. »
Cependant, ces aménagements ont suscité des critiques. Mme Diop, une commerçante de Saly, témoigne : « Depuis la construction des brise-lames, l’érosion s’est déplacée vers d’autres zones. J’ai dû réaménager mon commerce trois fois à cause de l’avancée de la mer. On ne fait que déplacer le problème. »

Les infrastructures, qui ont coûté 23 milliards de francs CFA, profitent surtout au secteur touristique. Mbengue, directeur de la SAPCO, réplique : « Le tourisme et les besoins des communautés vont de pair. Les ouvriers, les vendeurs et les artisans bénéficient tous de cette activité. C’est un écosystème entier que nous devons préserver. »

Pourtant, les pêcheurs comme Ibrahima restent sceptiques. Selon eux, la priorité accordée au tourisme cache un manque de considération pour les communautés locales.

Malgré les efforts considérables entrepris avec la construction des brise-lames, l’érosion côtière demeure une menace tenace à Saly-Portudal et dans ses environs. À une dizaine de mètres de la dernière digue, le constat est alarmant : les dégâts causés par l’avancée de la mer sont visibles à l’œil nu. Les vagues continuent inexorablement de grignoter le littoral, plongeant les habitants et commerçants dans une situation d’urgence permanente.

C’est le cas de Mme Diop, gérante d’un petit commerce en bordure de plage. Installée dans une tente en paille, avec des poteaux fragiles désormais usés par les assauts du vent et des vagues, elle raconte, la voix empreinte de désespoir : « C’est la troisième fois que je dois réaménager à cause de la mer qui avance sans relâche. » Déjà, elle a perdu une grande partie de sa clientèle. Alors qu’on est en pleine saison touristique, Mme Diop peine à écouler ses plats. « Les clients ont peur de s’installer ici. Qui voudrait déjeuner en regardant les vagues menacer de tout emporter ? », s’interroge-t-elle en désignant du doigt l’eau qui s’approche dangereusement de son commerce.

Vêtue de son jean noir et d’une chemise décolletée, son foulard légèrement attaché laisse entrevoir une fatigue accumulée. Le regard perdu, elle cherche une solution. « Je vais devoir me déplacer encore une fois, annonce-t-elle avec résignation. Peut-être de l’autre côté où il y a les digues. Là-bas, je serai plus en sécurité. » Mais pour elle, la situation est claire : « Les brise-lames ont certes sauvé certains endroits, mais ils ont déplacé le problème. Dans notre zone, la construction a aggravé l’érosion. »

Mme Diop ne s’appuie pas seulement sur des mots. À chaque phrase, elle ouvre son téléphone portable et fait défiler des photos et des vidéos, preuve tangible de la catastrophe qui frappe Saly Niakhniakhal. On y voit les vagues engloutissant petit à petit des parcelles de sable, laissant place à un paysage de désolation. Les images parlent d’elles-mêmes : des commerces effondrés, des arbres arrachés, et des plages réduites à de simples bandes étroites.

Les inquiétudes de Mme Diop ne sont pas isolées. À quelques kilomètres de là, Fadel Wade, directeur d’une ONG environnementale basée à Bargny, tire le même signal d’alarme. « L’érosion côtière est un problème global qui ne peut pas être résolu avec des mesures fragmentées ou temporaires, explique-t-il. Seule une solution viable et globale, prenant en compte l’ensemble du littoral sénégalais, peut permettre de contrer efficacement ce phénomène. »

Fadel Wade insiste sur le fait que les brise-lames, bien qu’efficaces localement, ne font que déplacer l’érosion. « Quand on protège une zone, on augmente souvent la pression sur les zones adjacentes. Ce qu’il faut, c’est une stratégie cohérente, basée sur une étude approfondie des courants marins et des dynamiques naturelles du littoral. »

Il rappelle que des localités comme Bargny, Rufisque et même Saint-Louis subissent déjà de plein fouet les conséquences de l’avancée de la mer, menaçant des milliers d’habitations et d’activités économiques.

La fragilité économique des zones touchées

Pour de nombreux acteurs économiques, la persistance de l’érosion met en péril des secteurs essentiels comme le tourisme et la pêche. Mme Diop incarne à elle seule la détresse de centaines de petits commerçants qui dépendent directement de l’affluence des visiteurs. Alors que la saison touristique bat son plein ailleurs, elle voit sa clientèle diminuer jour après jour. « Les gens viennent pour des plages de rêve, pas pour des paysages dévastés. Si cela continue, même les touristes ne viendront plus à Saly. »

Selon les chiffres officiels, près de 100 000 emplois directs et indirects dépendent du tourisme balnéaire au Sénégal. Hôteliers, restaurateurs, artisans, mais aussi ouvriers et pêcheurs forment un écosystème fragile où chaque perturbation, comme l’érosion côtière, peut avoir des effets désastreux. « Nous avons besoin d’une action plus forte et concertée, sinon ce sera la mort de notre activité, » prévient Mme Diop.

Dans un contexte où l’érosion avance de plusieurs mètres chaque année, les pêcheurs, comme Ibrahima Diagne, se retrouvent également en première ligne. « Nos embarcations sont plus vulnérables, nos zones de pêche se réduisent, et parfois, nous devons investir plus pour nous adapter. » Il pointe du doigt les impacts à long terme de cette situation sur les ressources halieutiques. « Si rien n’est fait, les jeunes pêcheurs n’auront plus d’avenir ici. »

Des mesures nationales en demi-teinte

Face à cette menace, l’État sénégalais a entrepris plusieurs initiatives visant à lutter contre l’érosion côtière. Mme Mame Faty Niang Seydi, chef de la Division gestion du littoral à la Direction de l’Environnement des Établissements Classés (DEEC), reconnaît l’ampleur du problème. « Une grande partie de l’économie repose sur le littoral au Sénégal. Ce n’est pas seulement le tourisme : il y a aussi les industries, les commerces et les habitations. » Elle rappelle que des mesures importantes, comme le Plan national d’adaptation (PNA), ont été mises en place.

Le PNA, instauré dans le cadre de l’adaptation de Cancún en 2010, vise à soutenir les pays en développement en identifiant des priorités d’adaptation à moyen et long terme. Il complète des stratégies à court terme comme le Programme d’action national d’adaptation (PANA). « Ces programmes nous permettent de mobiliser des ressources et d’élaborer des stratégies pour répondre à la problématique de l’érosion, » explique Mme Seydi.

Cependant, malgré ces efforts, les résultats sur le terrain peinent à convaincre. À Saly, comme dans d’autres zones côtières, les avancées de la mer continuent. Les habitants s’impatientent et exigent des solutions concrètes. « Les mesures sont là sur le papier, mais sur le terrain, nous voyons la mer gagner chaque jour du terrain. Les autorités doivent agir vite, » martèle Mme Diop, tenant fermement son téléphone avec des images de son commerce en péril.

Pour Fadel Wade, la solution réside dans une combinaison d’infrastructures adaptées et de préservation des écosystèmes naturels. « Les mangroves, par exemple, jouent un rôle clé dans la stabilisation du littoral. Leur destruction aggrave l’érosion. » Il propose également de privilégier des solutions basées sur la nature, telles que les récifs artificiels ou la replantation de végétation côtière, en complément des brise-lames.

La collaboration entre l’État, les acteurs locaux et les organisations internationales est, selon lui, essentielle. « Il faut associer les populations locales à la réflexion. Elles connaissent le terrain mieux que personne. » De son côté, Mme Diop espère toujours que des travaux complémentaires seront réalisés pour protéger sa zone. « Nous avons vu que c’était possible ailleurs. Pourquoi pas ici ? »

En attendant, la vie continue tant bien que mal à Saly Niakhniakhal. Mme Diop se prépare, une fois de plus, à déménager son commerce vers une zone plus sûre, tout en gardant l’espoir que la situation s’améliore. Pour Ibrahima Diagne et les autres pêcheurs, la survie de leur activité est suspendue aux décisions à venir. Quant aux ONG comme celle de Fadel Wade, elles continuent de plaider pour une approche globale et durable.

Les témoignages se recoupent : sans une intervention décisive, l’érosion côtière pourrait avoir des conséquences irréversibles sur les économies locales, les infrastructures et la vie des populations. « Il est temps d’agir. Si nous ne faisons rien aujourd’hui, demain il sera trop tard, » conclut Fadel Wade, appelant à une mobilisation collective pour sauver le littoral sénégalais.

AMADOU CAMARA GUEYE

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