Publié le 16 Apr 2025 - 22:23
IBRAHIMA NDOYE, PR TGI DE DAKAR

Un magistrat droit dans ses bottes

 

La plume est serve, la parole est libre”. Dans la justice sénégalaise, Ibrahima Ndoye aura beaucoup contribué à rendre tout son sens à ce principe universel, notamment dans l'affaire Bara Tall, en 2011. Magistrat indépendant, rigoureux et très à cheval sur les principes, l'enfant de Yeumbeul, Ibrahima Ndoye, est aussi décrit comme un homme très pieux qui, pour rien au monde, ne va transgresser sur les principes. 

 

“Notre Mohamed Bouazizi local”. C'est le surnom que le grand journaliste Alioune Ndiaye avait donné au procureur Ibrahima Ndoye, dans sa chronique “Nation alitée”, une rubrique qui paraissait au journal ‘’L'observateur’’. C'était au sortir du procès très médiatisé de l'homme d'affaires Bara Tall, dans le cadre du fameux dossier politico-judiciaire des chantiers de Thiès.

Pourquoi ce sobriquet ? Le célèbre chroniqueur justifiait dans son texte : “D’une manière très symbolique, il s’est immolé par le feu de la passion patriotique. Lors du procès de l’entrepreneur Bara Tall, il a fait un aveu courageux et suicidaire. Son intime conviction est faite : le dossier est vide, malgré son réquisitoire sévère.”

Parquetier respecté, tenu par le principe de la hiérarchie, il venait de sacrifier à son devoir de subordination, mais tout en exprimant le fond de sa conscience. “Sa révolte est le début d’une grande révolution dans la magistrature de ce pays”, soulignait le chroniqueur de ‘’L’Obs’’. 

C'était le vendredi 20 mai 2011.  Sokhna Fatou Sy, journaliste au quotidien national “Le soleil”, était au tribunal. Elle se souvient encore de ce réquisitoire inédit, mais aussi de ce procureur pas comme les autres. “C'était la première fois que j'assistais à un procès avec ce genre de réquisitoire. Il avait tenu à se conformer aux instructions écrites qu'il avait reçues, mais à la fin, il a souligné qu'il n'est pas convaincu de la culpabilité de monsieur Bara Tall. Il avait ajouté qu'on lui a prescrit de requérir cinq ans, que son éthique professionnelle l'obligeait à requérir une telle peine, mais son intime conviction est que Bara Tall n'avait rien fait”, rappelle la chroniqueuse judiciaire, obligée à l'époque de se rapprocher des avocats pour y voir plus clair.

En effet, la plume est serve, mais la parole est libre. Entre autres phrases choc de ce procès entré dans les annales, la journaliste retient : “Il y a vraiment des passages inoubliables. Comme quand il clamait haut et fort que son éthique de conviction ne lui permettait pas de dire qu'il y a surfacturation dans ce dossier, contrairement à ce que défendaient les instructions de la hiérarchie.”

Sorti du Centre de formation judiciaire en 2000, l'alors jeune magistrat venait d'entrer dans les annales de la justice sénégalaise, dans le cercle restreint de ceux qui osent dire non aux puissants qui incarnent le pouvoir Exécutif. À peine deux mois plus tard, il est affecté à Thiès comme procureur plein. Pour certains, c'était une “sanction”, pour d'autres une promotion. Fonctionnaire dévoué et très engagé, le jeune Lébou de Yeumbeul avait rejoint son poste, avec la même détermination de servir la justice, de faire honneur à son serment, convaincu que le magistrat, en toutes circonstances, doit rester indépendant. “Lorsque la politique entre par la porte du tribunal, le droit en sort par la fenêtre”, disait-il clairement lors du procès Bara Tall, rappelle Fatou Sy. 

Lorsque la politique entre par la porte du tribunal, le droit en sort par la fenêtre”, disait-il dans le procès Bara Tall 

Affecté à Thiès, Ibrahima ne tardera pas à exprimer sa hargne et sa détermination à faire régner la loi. Notamment dans l'affaire du double meurtre de Madinatoul Salam, où il n'a pas hésité d'inculper le puissant guide religieux feu Cheikh Béthio Thioune, malgré une forte pression populaire et de la famille maraboutique. Là également, il s'est montré intraitable, prouvant que sa seule boussole reste la loi. Certains n'ont d'ailleurs pas manqué de parler de zèle. “C'est un magistrat qui tient beaucoup à son indépendance ; quelqu'un à qui on peut faire confiance pour faire face aux pressions, d'où qu'elles viennent ; qu'elles soient d'origine religieuse, politique ou autre”, confie cette connaissance. 

En octobre 2015, il revient dans la capitale, où il est nommé substitut du procureur spécial près la Cour de répression de l'enrichissement illicite, en remplacement du tout puissant Antoine Diome promu par Macky Sall agent judiciaire de l'État. C'était après la condamnation de Karim Wade et de ses amis. Mais Ndoye ne va pas durer à ce poste, avant d'être nommé comme procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Louis. À Dakar et à Thiès, il va encore s'illustrer à travers notamment l'affaire de l'étudiant Fallou Sène tué en 2018 lors des affrontements avec les forces de l'ordre. Ndoye monte encore au front et témoigne de sa volonté de faire la lumière, malgré la sensibilité du dossier qui implique des éléments de la gendarmerie. Et comme cela a été promis, il aura accompli toutes les diligences avant de transmettre le dossier au juge d'instruction.

Bara Tall, Cheikh Béthio, Fallou Sène : l'intransigeance du magistrat

Parquetier ayant marqué la justice dans la vieille ville, il revient à Dakar en tant qu'avocat général près la Cour d'appel. Poste qu'il va quitter à la faveur de la dernière alternance pour redevenir chef du très stratégique parquet de Dakar, devenant ainsi la cible de toutes les attaques, de toutes sortes de pressions. Quand l'Exécutif appelle à des pressions sur la justice, les esprits ne peuvent ne pas penser à lui, puisqu'il en incarne un segment très important dans l'administration de la justice.

Un de ses collaborateurs rassure sur son intégrité et son courage à faire face. “C'est un magistrat très rigoureux et intègre. Bien que je le connaisse, je ne lui demanderai jamais un service contraire à la loi”, témoigne ce collaborateur sous l’anonymat. Avant d'ajouter : “Ce n'est pas un magistrat à qui l’on dicte ce qu'il doit faire. Il est très à cheval sur les principes et sur la règle de droit.”

Notre interlocuteur revient aussi sur la rigueur du procureur en donnant des illustrations. “Les réunions au niveau du parquet commencent ces temps-ci à 7 h 30. Ce qui prouve à suffisance son engagement et sa rigueur”, soutient-il.

Un acteur de la justice : “Ce n'est pas un magistrat à qui l’on dicte ce qu'il doit faire.”

Depuis qu'il est à la tête de ce parquet très stratégique, difficile de le prendre à défaut. Arrivé dans un contexte où la justice était très décriée, Ibrahima Ndoye est parvenu à prendre des actes très courageux. D'abord, alors que l'instruction était presque la règle pour les dossiers politiques, il a opéré des changements majeurs en faisant juger rapidement en flagrance la plupart des personnalités politiques sur qui pesaient des indices suffisants et concordants.

Dans certains cas, son service n'a pas hésité à laisser les personnes poursuivies rentrer chez elles, malgré les pressions. Des actes qui n'ont pas manqué de frustrer certains responsables du régime qui ne ratent pas une occasion pour l'exprimer, poussant le ministre de la Justice Ousmane Diagne à recadrer et à défendre ses hommes en qui il a renouvelé toute sa confiance. Je n'ai jamais accepté qu'on fasse pression sur moi (en tant que procureur, NDLR), surtout dans un sens déterminé. Qu'on ne compte pas sur moi pour exercer la moindre pression sur les magistrats du siège. Je n'ai aucune autorité sur eux”.

Ousmane Diagne d'ajouter : “Je suis extrêmement satisfait de la façon dont la justice est rendue, dont les magistrats s'acquittent de leurs obligations, de leurs prérogatives. Cela montre que la justice a changé. Il n'est plus dit qu'un opposant ou quelqu'un en délicatesse avec le pouvoir, s'il a des problèmes, que les gens s'attendent fatalement à une condamnation. Il est arrivé qu'il y ait des décisions de relaxe, des décisions de classement sans suite que nous assumons en toute responsabilité”, tranche-t-il. 

Magistrat assidu, ponctuel et engagé, Ibrahima Ndoye est aussi peint comme un homme très pieux, humainement très bon. “Je n'ai pas connu mieux que lui dans la magistrature. C'est quelqu'un qui s'investit sur les problèmes des gens”, indique un de ses collaborateurs, non sans mettre en exergue sa grande piété.

La grande question, c'est de savoir si le magistrat va continuer d'être droit dans ses bottes ou s'il va céder aux pressions qui, depuis quelque temps, fusent de partout.

 

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