De l'urgence d'un projet de société défini et assumé...
Avec un peu de recul pour une appréciation objective, l'on se rend compte que notre société dite sénégalaise vit des mutations profondes émaillées d'une crise des valeurs très perceptible.
La reconfiguration sociale en cours provoque un ressenti évident. Elle est plus dominée par un penchant matérialiste et dégradant que par l'effort éprouvant de reproduction de valeurs.
Il suffit d'observer les canaux de diffusion du nouveau mode de vie sénégalais à travers les médias classics et sociaux pour s'étonner du niveau devenu très préoccupant de l'imaginaire social.
Nous sommes au quotidien agressés par des paroles et de images dépourvues de sens et bordées de vulgarité. L'indécence est devenue la mode et ça ne semble gêner grand nombre d'entre nous. Les esprits moyens s'accomodent et les esprits avertis se replient dans leur zone de confort. Certains courageux qui continuent de s'indigner inspirent même pitié s'ils ne sont pas pris pour des agités, faiseurs de malin, voire des hypocrites has been qui vivent dans le déni de notre triste réalité.
Pour un même événement très médiatisé passé en boucle pendant des jours à la TV pour marquer les esprits et lancer la machine commerciale, j'ai reçu deux observations contradictoires de deux jeunes très engagés à promouvoir l'entreprenariat et la citoyenneté chez leurs pairs.
L'un magnifie l'événement et rêve d'être un jour parmi les stars de cette soirée très courue du reste par l'establishment ces dernières années. Il entretient publiquement son rêve d'être un jour récipiendaire de ces fameux trophées distribués aux supposés "meilleurs sénégalais dans leur domaine".Quoi de plus légitime comme aspiration pour un jeune ambitieux!
L'autre s'indigne de l'événement au point d'être émotionnellement atteint par ce qu'il perçoit. Il trouve la soirée indécente, faisant la promotion de la débauche avec autant de médiocrité dans la conception que de vulgarité dans l'animation musicale, la vente publique aux enchères d'un tableau d'art obscène,...
Face à ces deux perceptions antagonistes d'un même événement médiatisé je me suis permis une double appréciation avant de me poser la question fondamentale : quel type de sénegalais proposons nous à notre avenir ?
D'abord, je me rends compte que deux perspectives manifestes ou latentes s'opposent et sont en compétition pour façonner le futur du Sénégal. Ensuite celle qui est la plus agressive, la plus visible et la plus attrayante n'est certainement pas la bonne voie à emprunter.
Avons nous fini de céder à la machine déhumanisante de la démocratie libérale qui bouscule toutes les balises morales avec son lot de mirages et d'inégalités ? Ou sommes nous en train de résister à l'assimilation globalisante en faisant le parti pris des valeurs éthiques et humanistes?
Assurément, nous sommes à la croisée des chemins, mais visiblement le basculement semble en cours dans le mauvais sens.
Pendant ce temps, nos frères et sœurs bravent tous les dangers à la frontière européene pour fuir leur calvaire quotidien en Afrique et poursuivre un hypothétique espoir définitivement projeté vers un ailleurs inconnu. Pendant ce temps, nos enfants démontrent leur aversion à notre école, bannie comme un fardeau dont ils faut se débarrasser des moyens et symboles au moment de la récréation. Il est évident que le moment est venu de donner à ce mot son sens fondamental. Comment devons-nous y prendre pour RE-créer notre société ? Quelle société voulons nous devenir ? Quel type de citoyen voulons nous construire pour prétendre à un meilleur avenir ?
Face à la faillite de la mission régalienne et sacerdotale d'éducation publique, beaucoup de petits colibris s'activent depuis leurs nids, mais leurs petites activités ne suffisent plus pour éteindre le feu qui couve. Ils doivent se joindre les ailes pour puiser en même temps, voler ensemble, pour que leurs actions soient enfin décisives.
Ce mouvement devient urgent, car la déflagration sociale est en marche. Elle progresse rapidement et elle est ravageuse,comme un tsunami.
Trois leviers semblent importants à activer désormais pour redresser le gouvernail :
1. Une politique nationale solidaire centrée sur la culture de la famille et la protection sociale;
2. Une redéfinition de la stratégie nationale d'ÉDUCATION basée sur une vision limpide d'un modèle de société souverain et de sa mise en application à travers des procédés et cadres de socialisation, d'enseignements et d'éducation civique et populaire permanents et rigoureux;
3. La promotion rigoureuse d'une citoyenneté de transformation fondée sur les valeurs de l'effort individuel et collectif, de la production scientifique, culturelle, économique, du mérite et de la solidarité.
Elimane H KANE.