Publié le 28 Feb 2024 - 15:30
DIALOGUE NATIONAL

 Consensus vs Constitution

 

En sus d’avoir proposé le 2 juin comme date du premier tour de l’élection, le ‘’Dialogue national’’ propose que le président de la République reste en poste pour gérer la période transitoire et une ‘’ouverture partielle’’ de la liste des candidats.

 

C’est un dialogue en mode Fast-track. En moins de 48 heures, les parties prenantes se sont penchées sur les principales questions qui divisent la classe politique et ont préconisé des voies de sortie de crise. Partagés entre deux commissions : l’une chargée de fixer la date et les modalités de l’élection ; l’autre la gestion de la période de transition, les dialogueurs ont présenté, en fin de journée, les résultats de leurs réflexions.

A la sortie de leurs travaux, les représentants de l’Administration n’ont pas voulu s’adresser à la presse, voulant sans doute réserver la primeur au président de la République et à leurs supérieurs hiérarchiques.

Toutefois, les participants n’ont pas manqué de revenir sur les fruits des concertations. Représentant de l’Église, Philippe Abraham Tine déclare : ‘’En tenant compte de certaines contraintes liées aux dispositions législatives, aux événements socioculturels ou religieux… la synthèse est allée dans le sens du 2 juin. C’est juste à titre indicatif, mais tout le mois de juin reste disponible. Les propositions vont être présentées au président de la République qui va prendre sa décision.’’

Selon le président du Conseil national du laïcat, l’essentiel est d’aller à l’élection dans les meilleurs délais et de façon apaisée. ‘’On aurait souhaité y aller plus tôt, mais nous sommes dans un dialogue. Il faut discuter, il faut faire des concessions, il faut avancer. Le plus important est d’organiser l’élection pour dépasser cette situation qui ne profite à personne. Parce que notre pays a beaucoup de défis à relever. Nous appelons tout le monde à faire preuve de dépassement’’, informe M. Tine qui, lors de la cérémonie d’ouverture, avait soutenu l’organisation de l’élection avant le 2 avril. Il était presque seul à défendre une telle position. D’autres ont défendu l’idée d’une reprise du processus qui, selon les décomptes, devrait mener au plus tôt en fin d’année.

Finalement, la commission a décidé de l’organisation du scrutin au mois de juin, avec une préférence pour le premier dimanche, c’est-à-dire le 2 juin.

Le Conseil constitutionnel, dernier rempart

Relativement au maintien ou non de la liste des candidats déjà validés, des points de vue divergents ont été défendus lors des travaux. Pour le représentant de Mahammed Boun Abdallah Dionne, la préférence va plutôt au maintien de la liste déjà validée par le Conseil constitutionnel. Le constitutionnaliste Mounirou Sy : ‘’Notre coalition estime qu’au pire des cas, il faut valider les candidatures de ceux qui ont validé leurs parrainages. Ou bien se limiter aux 19.’’

Pour Maitre Djibril War de la majorité présidentielle, l’espoir n’est pas perdu de voir le Conseil constitutionnel qui est seul habilité à décider de prendre une décision qui apaise tout le monde. ‘’Nous ne faisons pas de jugement sur le Conseil. Nous disons juste que les Sénégalais ont à choisir celui qui doit présider aux destinées de la Nation. Dès lors qu’il y a eu quelques failles dans le contrôle, on peut étudier les voies et moyens pour trouver des solutions. Le Conseil n’est pas une juridiction juridictionnelle. C’est des sages. Et la préoccupation d’un sage, c’est de faire en sorte que sa décision aille dans le sens de préserver la paix dans l’espace public. On l’a déjà vu lors des élections législatives. Qui peut le plus peut le moins’’, préconise M. War.

Sur le même sujet, d’autres ont estimé qu’il faudrait aller au-delà des candidats qui avaient réussi leurs parrainages (Karim Wade et Ousmane Sonko). Les positions convergent vers ‘’une ouverture partielle’’. Sans plus de précision. Rappelant que le dernier mot appartient, en tout état de cause, au Conseil constitutionnel, le représentant de l’Église invite tous les protagonistes à respecter la décision qui sera prise par les sages. ‘’Ce qui a été retenu, c’est de continuer le processus et de faire en sorte que certains candidats qui ont des recours à faire puissent le faire. Le Conseil va apprécier, parce qu’il a le dernier mot. Quelle que soit la décision, il faudrait qu’on fasse l’union sacrée. Nous avons tous intérêt à sortir de cette situation’’, plaidé M. Tine.

La troisième question sur laquelle les ‘’dialogueurs’’ sont largement revenus, c’est la gestion de la phase transitoire. Sur ce point, les participants semblent tous s’accorder sur le recours à l’article 36 alinéa 2 pour la stabilité et pour la continuité de l’État.

Président du groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement, Mamadou Lamine Thiam rapporte : ‘’Nous ne devons pas engager le pays à aller vers l’aventure et l’incertitude. C’est pourquoi nous avons demandé que l’article 36 alinéa 2 soit appliqué dans un souci de stabilité. Je pense que c’est un sursaut patriotique que tout le monde doit faire au nom de la paix et de la stabilité de ce pays.’’

Toutefois, sur ce point, il pourrait y avoir quelques difficultés, compte tenu de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur l’intangibilité de la durée du mandat. Constitutionnaliste et mandataire du candidat Boun Dionne, M. Sy explique : ‘’En cas de difficulté d’interprétation, certains ont demandé de saisir le Conseil constitutionnel, de lui donner la primeur de trancher ce point. Parce qu’il est le seul autorisé à interpréter la Constitution. Sa décision s’imposera à tout le monde.’’

Le Conseil constitutionnel face à la versatilité des politiques

Autrefois voué aux gémonies, le Conseil constitutionnel semble depuis quelque temps devenir le chouchou des opposants au régime et de leurs affidés. Pendant ce temps, ce sont ses anciens défenseurs qui se méfient des juges.

Les positions des hommes politiques et de leurs affidés sont parfois insondables. Après avoir passé leur vie à jeter l’opprobre sur les sept sages, ils sont nombreux, les opposants et acteurs de la société civile, à prendre comme parole d’Évangile les décisions de la haute juridiction. Pendant ce temps, les partisans du régime qui ont toujours crié ‘’force restera à la loi’’ sont aujourd’hui ceux qui se méfient du Conseil constitutionnel.

L’une des illustrations les plus éloquentes, c’est Thierno Alassane Sall qui, en l’espace de quelques semaines, aura changé complètement de religion sur le Conseil. À l’origine du recours qui a entrainé l’exclusion de Karim Wade de la course à la Présidentielle, il ne rate plus une occasion de rappeler de respecter les décisions de la haute juridiction. Ce lundi, il était encore au siège du Conseil constitutionnel, pour un autre recours. ‘’Nous, candidats à la Présidentielle, avons déposé une requête auprès du Conseil constitutionnel aux fins de constater et de remédier à la carence du président de la République à fixer la date de l'élection. Le temps est à l’action et au respect des décisions de justice’’, fulmine-t-il.

Il est bien loin l’époque où le candidat de la République des valeurs critiquait avec véhémence les décisions de cette juridiction et de ses membres.

En effet, il y a quelques semaines, à la suite de la décision prise par le Conseil pour lui demander de régulariser des parrains, il accusait les juges de tous les noms. Dans l’un de ses posts sur X, il disait : ‘’L'un des piliers essentiels d'une saine et transparente compétition est violé au vu et au su de tous. Il n'est pas nécessaire d'être un juriste pour s'en apercevoir. C'est par de tels actes que l'opinion juge le Conseil constitutionnel et les ‘Sages’ qui le composent.’’ L’ancien ministre d’ajouter : ‘’En dépit de cette rupture d'égalité flagrante, poursuivait-il, du fait du seul Conseil constitutionnel, ce dernier passe outre le droit naturel de disposer d'un recours et poursuit en faisant fi des réclamations et recours déposés.’’

Du côté de la majorité, c’est à des niveaux insoupçonnés qu’on s’est mis à jeter le discrédit sur le Conseil constitutionnel. En sus d’avoir soutenu l’initiative parlementaire du Parti démocratique sénégalais consistant à accuser de corruption certains membres de la juridiction, elle a foulé aux pieds toutes les règles de bienséance pour critiquer publiquement la décision du Conseil déclarant ‘’contraire à la Constitution’’ la loi relative au report de l’élection. Prenant acte de la décision, la majorité présidentielle, dans un communiqué abusivement signé au titre de l’Assemblée nationale – en sus des députés de l’opposition, il y a même des membres de la majorité qui n’étaient pas au courant - que les sages ont dérogé à leur propre jurisprudence pour arriver à cette conclusion. ‘’Aussi remet-il (le Conseil) en cause la souveraineté du pouvoir constituant de l’institution parlementaire’’, soutenaient-ils.

Aujourd’hui, après les premiers résultats du dialogue, tous les esprits sont rivés vers les sept sages de la République. La question qui se pose, c’est principalement de savoir s’ils vont valider ou pas les propositions issues du Dialogue national. Et quelle serait la posture des acteurs. Globalement, trois questions principales se posent à la haute juridiction : est-ce que l’élection présidentielle peut se tenir le 2 juin 2024 ? Est-ce qu’une ouverture de la liste des candidats est envisageable pour intégrer d’autres candidats et quelles en sont les limites ? Enfin, est-il possible, pour l’actuel président dont le mandat arrive à terme le 2 avril, de continuer à assurer l’intérim jusqu’à l’entrée en fonction du prochain président de la République ?

Pour certains observateurs, il serait difficile pour le Conseil constitutionnel de valider ces propositions sans renier sa propre jurisprudence. Toutefois, d’autres estiment que le Conseil doit faire prévaloir sa fonction régulatrice, qu’il rappelle dans ses décisions, pour aider à aller vers une élection inclusive et transparente.

MOR AMAR

Section: 
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