Publié le 22 Jul 2013 - 00:07
DOUDOU GNAGNA DIOP, PRÉSIDENT DE L’ONITS

''Au Sénégal, le tourisme n'est pas compétitif''

 

Le tourisme sénégalais bat de l'aile. Et les professionnels estiment que la mesure de réciprocité du visa d'entrée pour les pays hors CEDEAO risque d'enfoncer le secteur dans le marasme. Doudou Gnagna Diop, président de l’Organisation nationale pour l’intégration du tourisme sénégalais (ONITS) passe, dans cet entretien, en revue les difficultés que rencontre le secteur.

Il y a une tension entre les professionnels du tourisme et le ministre de tutelle, Youssou Ndour. Quelles sont les véritables raisons ?

J'ai lu à travers les médias qu'il y a eu un problème entre le patronat et la tutelle. A mon avis, ce genre de problème est inévitable. Au Sénégal, nous avons un phénomène assez rare : nous avons le ministère, c'est-à-dire l'État, et le privé où il n'y a aucune organisation. Mais cette affaire ne date pas d'aujourd'hui, parce que depuis le début, la nomination du ministre, il n'y a pas eu des altercations avec le président du patronat de l'industrie hôtelière. Donc, c'était un mauvais départ. Quand on a un secteur à difficultés depuis plusieurs années, il faut une communication intense. Mais nous avons constaté qu'il n'y a pas de dialogue entre ces deux acteurs professionnels. Il devait y avoir un observatoire qui peut, en cas de problème, atténuer les difficultés. Tel qu'il a été formaté au Sénégal, le tourisme est un secteur d'activité économique qui pratiquement est dépendant de l'extérieur. Les clients viennent des marchés émetteurs, 85% de la clientèle viennent de la France. Donc si l’État n'applique pas une politique nationale comme l'ont fait les autres pays pour sauver le secteur, tout marchera au ralenti. On dit souvent que le tourisme, c'est les grosses entreprises, mais il y a des milliers d'entreprises sur le territoire national où on peut trouver au minimum 20 employés. On ne les prend pas en compte dans les réflexions, on ne les implique pas dans la prise de décisions.

Quelles solutions, selon vous, pour sortir de cette situation ?

Ce qu'il y a lieu de faire, c'est une concertation entre tous les acteurs et une implication de tout le monde pour éviter les frustrations. Il y a trois ans de cela, nous avons travaillé sur un projet national, qui est de produire des manuels didactiques pour l'enseignement du tourisme à nos jeunes qui arrivent sur le marché. Ces livres ont coûté de l'argent et depuis qu'on les a déposés au ministère, il n'y a eu aucune réponse. Voilà des formes de non implication et de non considération des nationaux qui travaillent pour que ce secteur soit valorisé, viable et créateur d'emplois et pour la réduction de la pauvreté. Donc, il faut aller dans le sens de la concertation et surtout la planification des intervenants. Parce qu'au Sénégal, on a tendance à concentrer les investisseurs, il y a beaucoup de zones à développer au Sénégal. Les zones où il y a la pèche, la chasse peuvent être exploitées. Il faut aussi créer un Observatoire du tourisme qui organisera des concertations. Ensuite, comment se fait-il qu'au Sénégal on n'a jamais organisé les assises du tourisme ? Tous les pays touristiques tiennent des assises une fois tous les deux ans. Ces assises vont contribuer à régler tous les problèmes concernant les investissements, la réglementation, la mal compréhension de la politique touristique qu'on nous met sous les yeux sans concertation. Elles permettront de faire l’état des lieux réel du secteur et de voir avec les investisseurs et l’État comment faire les injections pour l'avenir. Un secteur qui n'a pas d'observatoire pour jouer le rôle de veille ou d'alerte, il faudrait ne serait-ce que des assises pour avoir une lisibilité suivant les différents territoires.

Où en exactement l'activité touristique au Sénégal, aujourd'hui ?

Je vis dans la Petite Côte. Je parcours le Sine-Saloum pratiquement toutes les semaines. Aujourd'hui, l'activité économique a véritablement baissé. Notre secteur touristique est une transversalité vers d'autres secteurs tels que la culture, l'artisanat, la pêche et l'agriculture. Les petits ''goorgoorlu'' (débrouillards) qui vivaient du tourisme dans la Petite Côte à Joal, sont aujourd'hui assis les bras croisés. On constate que cela est difficilement ressenti par toute cette composante de la société, des responsables, des pères de famille qui gagnaient leur vie honnêtement dans ce secteur. Aujourd'hui, vous entrez dans un hôtel qui travaille beaucoup avec un système écotouristique, vous n'avez pas plus de trois chambres sur des capacités de 20 chambres. Certes, il y a une crise mondiale, personne ne peut le nier. Il y a aussi une absence de promotion agressive au Sénégal, parce que la promotion, ce n'est pas seulement la culture ou l'artisanat. Il faut des marchés cibles, planifier un bon marketing et pour tout cela, il faut s'imprégner et avoir une certaine expertise.

Et que pensez-vous de la réciprocité des visas, entrée en vigueur en début de ce mois ?

Je suis vraiment contre cette réciprocité des visas. C'est vrai que notre pays doit avoir sa souveraineté, mais il fallait des préalables. Il ne faut pas oublier que cela fait des décennies que le système d'avant fonctionnait. Cette démarche était presque entrée dans les habitudes aussi bien des Sénégalais que des étrangers. Si d'un seul coup on change les paramètres, forcément cela crée des contraintes qui vont bloquer le potentiel clients qui venait à l'aise. Donc, il fallait une préparation dans cette affaire. Si la majorité des Sénégalais veut instaurer la réciprocité des visas, il fallait prendre en compte le secteur touristique. Et si pendant 30 ans je me suis insurgé contre cela, c'est parce qu'on n'a pas une politique touristique nationale intérieure, et on n'a pas préparé les Sénégalais à voyager. Si on avait déjà cette politique bien canalisée et maîtrisée, peut-être qu'on sentirait moins ce problème de réciprocité de visas. Dans un pays comme le nôtre, toute la logistique a été conçue comme un marché européen. J'ai toujours été contre parce que je me dis que le Sénégalais a les moyens de se reposer les week-end à condition qu'on le reçoit dans une structure appropriée à notre mode de vie. Vous allez en Namibie ou en Afrique du Sud, une famille peut être hébergée dans une seule chambre d'hôtel, parce que celle-ci a été configurée en l'adaptant à leur réalité. Mais cela, on ne peut pas l'avoir au Sénégal. Une famille de trois enfants est obligée de louer deux chambres pour pouvoir passer ses vacances. C'est dans ce cadre que je parle de développer le tourisme national intérieur. Vous voulez aller à Touba, par exemple, ou à Tivaouane, c'est la galère parce qu'il manque des réceptifs d’hébergement. C'est du tourisme religieux que l'on n'a pas développé. Et qu'est-ce qui empêche notre ministre ou le président de développer cela, pour éviter l’économie exogène.

Donc, la réciprocité des visas va aggraver la situation, selon vous ?

Tout à fait. Les touristes viennent souvent pour passer des vacances, c'est le loisir, la découverte. Mais des vacances avec des tracasseries, personne ne le fait. Notre destination est très chère, c'est ce qui fait qu'on n'a pas une bonne fréquentation depuis quelques années, et on vient y rajouter des surcoûts sur le prix, ça devient grave. On dit que c'est 50 euros (environ 32.500 FCfa), les frais de visa, mais c'est plus que cela, il faut que les gens le sachent ! Parce qu'en Europe, on se déplace sur 300 kilomètres pour chercher son visa au consulat. Par exemple, quand vous prenez le TGV (Train à grande vitesse) de Lille, dans le nord de la France, jusqu'à Paris, c'est 70 euros à l'aller et autant au retour, cela fait au total 140 euros (près de 92 000 FCfa) auquel il faut ajouter les 50 euros. Donc, forcément, il y aura un impact négatif sur l’essor de notre économie touristique. Le surcoût n'arrange pas la compétitivité. Aujourd'hui, tout le monde sait que les marchés ouverts et qui fonctionnent, leur premier critère, c'est la compétitivité. Et au Sénégal, nous ne sommes pas concurrentiels. Tout le monde se plaint.

Quels sont les difficultés spécifiques que vous rencontrez dans votre domaine d'activités, l'écotourisme ?

On est un patronat mais on se plaint parce qu'on n'est pas pris en compte malgré tous les efforts d'éco-développement que l'on faits dans le pays. Nous sommes dans la proximité, dans les localités où on réduit l'exode en embauchant sur place pour créer de la valeur ajoutée. Mais aussi en achetant les produits locaux, dans les petites structures qui exercent dans l’écotourisme. Nous créons des ressources additionnelles localement. Le Sénégal a tendance à aller dans ce sens en termes de politique touristique. Nous avons un point très fort et toutes les autres destinations de la sous-région nous envient. Nos zones sont accessibles, on a du potentiel que la nature nous a donné. Le Sénégal est dans ce sens dans l’écotourisme social, c'est-à-dire en créant des centres de vacances pour permettre aux personnes qui ont une petite bourse de s’épanouir.

Vous avez dit que vous n'êtes pas pris en compte. A qui la faute ?

On n'est pas pris en compte parce que quand on parle du tourisme au Sénégal, cela tourne autour du ministre et du patronat. Alors que ce patronat de l'industrie touristique n'englobe pas tous les créneaux qui exercent au Sénégal. C'est un problème qui a été dénoncé plusieurs fois. Quand feu Ousmane Masseck Ndiaye était ministre du secteur, on était pris en compte. Mais depuis son départ, on est laissé en rade et pourtant on donne nos avis, on produit des résultats, mais on a l'impression qu'on ne compte pas dans la configuration du tourisme. Et pourtant, beaucoup de ressources viennent de chez nous tant du point de vue intellectuel que financier.

 

 

 

 

 

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