Publié le 14 Oct 2014 - 13:42
ECOLE FRANCO-SENEGALAISE DU PLATEAU

Les vraies raisons de la fin de la gratuité

 

L’année scolaire 2014-2015 marque la fin de la gratuité des écoles primaires franco-sénégalaises Dial Diop et Fann pour les familles françaises et autres nationalités non sénégalaises. Si l’équité est mise en avant comme principale raison de cette mutation, d’autres facteurs plus décisifs seraient à la base de ce changement envisagé il y a déjà quinze ans.

 

Jusqu’ici considérée comme un établissement public, l’école franco-sénégalaise du Plateau, sur le boulevard Dial Diop (ex-Roosevelt), était gratuite jusqu’en 2013-2014. Les parents avaient juste à s’acquitter de la cotisation APE (Association des parents d’élèves) qui s’élevait à 65 000 francs Cfa pour toute l’année. Les enseignants étant payés par les deux Etats, la France et le Sénégal, ces cotisations permettaient d’assurent le fonctionnement des deux écoles primaires franco-sénégalaises (photocopies, toilettes, ménage…) Mais à partir de la rentrée 2014-2015, un important changement est intervenu. En effet, depuis septembre, les parents doivent s’acquitter de mensualités de 25 000 francs Cfa. La gratuité est passée à la trappe.

Pour cette première année payante, les frais scolaires annuels s’élèvent à 330 000 francs Cfa. Une somme qui devra même connaitre une augmentation graduelle dans les années à venir. Cependant, comme le précisent des brochures de l’école, ‘’les élèves sénégalais continueront de bénéficier de la gratuité’’. Car l’Etat sénégalais va poursuivre sa politique de mise à disposition d’enseignants payés par l’argent du contribuable. Ils paieront juste la cotisation APE (Association des parents d’élèves) qui a été fixé à 65 000 francs, selon nos sources.

En fait, pour comprendre cette mutation, il faut savoir que c’est le gouvernement français qui prenait en charge les honoraires de ses ressortissants enseignants  dans ces dits établissements. Or, il se trouve que cette disposition qui a permis à des familles françaises de bénéficier d’un enseignement gratuit était unique dans le système français à l’étranger. C’est donc pour corriger cette disparité et être en conformité avec les principes de financement de l’enseignement français à l’étranger que la France a décidé de mettre fin à la subvention, et donc à la gratuité.

Mais, en réalité, cette raison avancée ne serait que l’arbre ayant pour vocation de cacher la forêt des vraies motivations du gouvernement français. En vérité,  la volonté de changer le statut date d’au moins 15 ans. Le 21 janvier 1999, la sénatrice française Monique Cerisier-Ben Guiga écrit une note au ministre français délégué à la Coopération et à la Francophonie. Dans cette note publiée au Journal officiel de la République Française (JORF) et reprise sur le site du Sénat, l’élue s’inquiétait des conséquences du changement de statut des écoles franco-sénégalaises de Fann et Dial Diop à Dakar.

Evolution divergente des systèmes éducatifs sénégalais et français

‘’Ces écoles sont menacées de profonds bouleversements qui risquent d'en changer la philosophie (…) Elles ont été, depuis près de trente ans, une référence de notre système éducatif en matière de coopération et de l'application de programmes scolaires biculturels. Les frais de scolarité des établissements du réseau de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) sont souvent hors de portée des familles françaises de Dakar. L'école franco-sénégalaise est une formule bien adaptée à leurs enfants’’, faisait remarquer la sénatrice.

Dans sa réponse du 1er avril de la même année, le ministre d’alors, Charles Josselin, rappelle les raisons qui avaient présidé à la création de ces deux établissements. Puis, il ajoute : ‘’Ce système a donné satisfaction pendant de nombreuses années, mais l'évolution divergente des systèmes éducatifs sénégalais et français fait que le fonctionnement actuel des écoles franco-sénégalaises répond de moins en moins à la philosophie initiale ayant présidé à leur création’’.

De façon plus claire, la différence dans l’approche pédagogique est ciblée. ‘’L’organisation scolaire est aujourd'hui profondément différente dans les deux pays : la durée du cycle primaire est de six ans au Sénégal contre cinq en France ; bien plus, le passage en classe de sixième est automatique en France, alors qu'il demeure très sélectif au Sénégal (environ 25% d'admis)’’. Ce qui, de l’avis du ministre, n’est pas sans conséquence. Ainsi, poursuit-il, ‘’cette organisation différente a des implications directes sur le contenu de l'enseignement, puisqu'un passage sélectif au collège entraîne de la part des maîtres une préparation intensive s'exerçant parfois au détriment de l'acquisition de méthodes et repères tels que préconisés dans les textes officiels français’’.

Bref, comme cela est précisé sur le site des expatriés français à Dakar, ‘’l’enseignement sénégalais se fait en français, langue nationale. Il ressemble en plusieurs points à l’enseignement  prodigué en France dans les années 1950’’. Traduit autrement et dans un style moins diplomatique, cela donnerait : le système sénégalais est en retard de 60 ans sur la méthode française ; les deux ne peuvent plus donc aller de pair. Le changement est indispensable…

Il est fort à craindre donc que ce soit une sorte de ‘’privatisation’’ qui permettra à la France d’avoir la main sur l’école et de l’arrimer à son système, vu le décalage entre les deux.

‘’Les moyens mobilisés ne correspondent plus aux orientations de la coopération française’’

En ce qui concerne le côté administratif, voici l’explication du ministre : ‘’les enseignants français et sénégalais exerçant dans les écoles de Fann et Dial Diop ont des statuts et des rémunérations différents. Les enseignants français sont soumis à une double tutelle pédagogique et il leur est parfois difficile d'appliquer les textes français de la nouvelle politique pour l'école (conseils d'école, de maîtres et de cycle, projet d'école, livret scolaire n'existent pas systématiquement)’’.

Enfin, sur le plan financier, pour ne pas dire stratégique, ‘’les moyens mobilisés par la France, notamment en ce qui concerne l'assistance technique, ne correspondent plus aux orientations de la coopération française qui intervient désormais dans le cadre de projets’’. En plus, le ministre estime qu’il n’est pas de bonne gestion que l’argent de l’aide publique au développement serve à payer la scolarité d’enfants français, même si c’est partiellement.

Ainsi, avec les réformes en vigueur, les parents d’élèves français et des autres nationalités contribueront en partie, dans un premier temps, à la rémunération des enseignants français. La contribution de l’Etat français va d’abord passer de 100% de la masse salariale des enseignants originaires de la métropole à 66% pour l’année 2014-2015. En 2015-2016, elle passe à 33%, pour arriver à 0% en 2017.

‘’Vers le genre sénégalo-turc’’

Les parents supporteront donc les charges progressivement, comme indiqué sur une plaquette qui leur a été remise. ‘’Ces frais augmenteront au cours des deux années suivantes selon un tour qu’il n’est pas encore  possible d‘évaluer de manière définitive’’. Mais si l’on se base sur les 330 000 F qui représentent les 34%, on peut penser logique qu’à terme, la somme sera aux environs de 1 million de francs Cfa par an, en plus de la cotisation APE.

En définitive, il faut désormais prendre la pleine signification des propos du directeur de l’Enseignement élémentaire, Abdou Diao, qu’EnQuête a rencontré à ce sujet. ‘’C’est une école qu’on peut considérer comme publique mais à caractère spécifique. Ça va évoluer, à terme, ce sera un peu comme les écoles sénégalo-turques ou les autres écoles franco-sénégalaises’’. Donc carrément privé !

Reste à savoir ce que sera la réaction des parents. Mais une source pense que vu le profil des parents, Français expatriés ou Libano-syriens en majorité, ce ne sera pas un très gros problème. Surtout dans un contexte où toutes les bonnes écoles coûtent cher au Sénégal.

BABACAR WILLANE

 
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