''J’ai plus de 2 000 pièces d’art et environ 1 500 tableaux de peinture''
Une collection impressionnante d’objets d’art africains, rarissimes pour l’essentiel, et de tableaux signés de maîtres. Tel est le trésor inestimable qu’Alioune Thiam possède dans sa passion effrénée de collectionneur sans bornes depuis plusieurs décennies, et dans la plus grande discrétion propre aux grands amateurs des arts. Pour EnQuête, M. Thiam sort de l'ombre et raconte son hobby de quarante ans sous le regard saisissant d’une multitude d'objets magiques qui partagent son quotidien.
Que représente pour vous une collection ?
Une collection pour moi, c’est d’abord une passion avant d’être un défoulement et ma curiosité à être satisfaite, autant pour les objets d’art que pour les tableaux d’artistes-peintres. Une collection de cette nature, c’est l’extériorisation de ce que j’ai de plus intime dans mes amours pour la nature, à travers les âges et notre histoire de l’Afrique sous ses divers symboles liés à la nature, et nos croyances ancestrales que je me dois de magnifier autant que mes forces et mes moyens me le permettront encore.
Vous semblez ne vous intéresser qu’aux arts plastiques tels les masques, statuettes et peintures. Y aurait-il une raison particulière à cette option qui prévaut sur les autres formes d’expression du genre ?
Je m’intéresse à tout ce qui est objets d’art africains d’où qu’ils viennent : masques, statues, totems, poteaux, objets usuels, en bois, bronze, fer, terre cuite, qui ont servi à nos ancêtres à une époque ancienne… Il y a aussi les tableaux de peintures d’artistes, mais exclusivement sénégalais pour l’heure.
Qu’est-ce qui explique votre choix pour les tableaux de peintures d’artistes exclusivement sénégalais ?
D’abord parce que j’aime ce qu’ils font, ensuite et surtout, j’estime devoir participer quelque part à la reconnaissance de leur travail, notamment celui de l’ancienne école de Dakar qui semble être négligée.
A combien se chiffre votre collection ?
Ce n’est pas tellement la valeur en numéraire des objets qui constituent ma collection qui compte. C’est surtout les liens affectifs qui se créent entre ces objets et moi au fil du temps, et dès leur acquisition, qui comptent. L’amour que j’ai pour ces objets, n’a d’égale mesure que celui que l’on a pour des êtres humains chers. [Des objets] qui vous parlent, vous interpellent, vous amusent, vous réprimandent parfois, partagent fidèlement tous vos moments de peine ou de bonheur, et parfois vous protègent. Ce sont ces rapports que j’ai avec mes objets qui sont mes compagnons plus que des objets simples qui m’appartiennent. Nous avons nos secrets que nous sommes les seuls à connaître, que nous nous partageons entre amis, entre parents. Je ne suis pas un antiquaire pur et dur en tant que tel. Je suis un chef de famille qui veille à sa famille d’objets, anciens comme récents que j’aime et qui me le rendent bien…
Peut-on avoir une idée du nombre de pièces que compte cette famille, cette collection ?
Je ne pourrais qu’être être un peu évasif sur cette quantité, parce que jusqu’à cet instant précis, je n’arrête pas d’agrandir ma famille, au gré de l’évolution et des rencontres de ses potentiels membres. Mais en règle générale, je peux dire que j’ai plus de deux mille pièces d’objets d’art et environ mille cinq-cents tableaux de peinture.
Vous arrive-t-il de parcourir le monde pour acheter des objets et des tableaux ?
Bien sûr ! Mais comme je le disais précédemment, un peu au gré de mes déplacements, en Afrique évidemment et partout dans le monde où l’art africain est présent et se magnifie. Et comme je suis un chineur invétéré, il m’arrive même d’acheter des pièces en Europe mais les réalités de nos arts se trouvent ici même en Afrique d’où provient l’essentiel de ma collection acquise surtout auprès d’antiquaires et de collectionneurs.
Comment sélectionnez-vous un objet avant de l’acheter ?
On peut avoir un coup de cœur qui ne détermine pas forcément l’ancienneté d’une pièce. Et même si l’ancienneté est le critère le plus important, il y a aussi la beauté de l’objet dans la finesse qui également peut être déterminante, pour moi.
Y a-t-il une expertise artistique pour authentifier l’originalité de ce que vous achetez ?
Je crois avoir un bon coup d’œil bien que l’aspect artistique ait à chaque fois prévalu au premier coup d’œil. Mais au-delà, il y a l’émotion profonde, le saisissement, le trouble, le coup de foudre, répétés à chaque fois en présence d’un objet que l’on rencontre, qui vous parle, vous interpelle et décide que vous serez aussitôt ou non son compagnon, son propriétaire, son parent. Maintenant, pour ce qui est de l’authentification de pièces de très grande valeur, même les experts les plus férus commandent bien souvent à leur tour une expertise auprès de spécialistes qualifiés qui sont plus des chimistes qui utilisent des produits ou des appareils pour ce faire.
Votre collection vous a certainement coûté une fortune...
Vous avez déjà posé cette question... Oui elle m’a coûté une fortune en temps, en recherches tous azimuts en des moments et des lieux les plus incroyables, et bien entendu en numéraires (rire).
Quelle est la plus grosse somme que vous avez dépensée pour acquérir une pièce ou un tableau ?
Je ne saurais vous le dire car c’est très aléatoire. J’achète à l’unité comme par regroupements, des lots, parfois sans calculer. Quand on est amoureux, on ne compte pas, on ne calcule pas, on fonce et après que l’on a ce que l’on veut, on le digère ou du moins, on essaie de le digérer. Surtout qu’une pièce de valeur, ce n’est pas son prix seul qui, des fois, fait sa qualité mais plutôt l’opportunité et la circonstance. Il y a certes des pièces et des tableaux qui ont effectivement coûté certains prix assez élevés de nos millions mais quelle importance, comparés à sa satisfaction la plus entière, à son plaisir devant l’éternité d’un assouvissement sans limites.
Quelle est votre plus importante acquisition d’un point de vue artistique ?
Pour moi, toute acquisition est d’importance, parce qu’il y a toujours le coup de cœur au-delà de toute valeur artistique. Je m’attache à chacune de mes pièces, différemment, et je m’unis à elles, chacune d’entre elles avec amour, presque avec passion.
Comment gagnez-vous votre vie pour pouvoir investir autant d’argent dans une collection d’objets et œuvres d’art aussi uniques sous nos cieux ?
Merci, je suis conscient de la rareté des objets qui constituent à présent ma collection. Sachez que je suis chef d’entreprise et que je gagne ainsi ma vie. Il faut tout de même relativiser cette notion de valeur en rappelant que cette collection a été acquise au fur et à mesure, à travers le temps. Quarante années dont les quinze premières ont été les plus prolifiques en acquisitions…
Avez-vous déjà participé à des expositions ou des vernissages ?
Très peu pour l’heure, je n’en voyais pas l’importance particulière jusqu’ici. J’achetais pour moi, rien que pour moi, loin des yeux étrangers à mon intimité. J’ai cependant exposé en compagnie d’une vingtaine d’antiquaires sénégalais, il y a peu, durant toute la seconde moitié du mois d’avril 2013, à la Galerie nationale des arts. Et ce fut édifiant, une expérience à recommencer autant de fois que possible jusqu’à l’envol au plus haut de cette initiative. Je suis aussi en contact avec des galeries étrangères très intéressées par ma collection, dont Sotheby’s, l’une des deux ou trois des plus importantes au monde, avec qui il n’est pas impossible que je commence à collaborer très prochainement. Il y a également la IGI, basée aux USA, à qui je vais confier la gestion de cette collection sur le réseau international.
Un projet de galerie qui portera peut-être bien votre nom ?
Chut ! Je ne sais pas s’il portera mon nom, ce n’est pas mon objectif pour l’heure mais c’est en cours. Je suis en train de m’y employer, c’est une nécessité pour le monde entier de savoir qu’un espace de notre cher Sénégal réunira autant d’œuvres sur son sol dans une pérennité ainsi créée et préservée pour la nuit des temps. Je souhaiterais qu’un jour ma collection puisse profiter aux générations à venir, à tous mes compatriotes sénégalais et à tous les amoureux d’arts afin que l’on puisse entretenir et garder ce souvenir de notre très riche patrimoine culturel. Ce sera ma modeste contribution à la civilisation de l’universel à travers l’Africaine, matrice de toutes les cultures.
Par Almami CAMARA
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