‘’Pourquoi le cinéma francophone peine à être reconnu mondialement’’
A Dakar actuellement pour la deuxième édition des trophées francophones du cinéma, le président de l’association organisatrice de cet évènement, Henry Welsh, s’est prêté aux questions d’EnQuête. Il nous présente l’association qu’il préside, dit ce qu’il pense des films sénégalais en compétition dans cette édition des TF et déroule ses attentes et celles de son équipe.
Parlez-nous de l’association des trophées francophones du cinéma ?
C’est une association fondée officiellement en 2011 pour mettre sur pied cette cérémonie des trophées francophones. C’est une initiative que j’avais prise, il y a quelques années ; il fallait simplement un peu de temps pour que je puisse m’entendre avec les partenaires. En 2011, on met l’association en place avec le dispositif qui doit la régir. Et en 2012, on était prêt à lancer les opérations pour une première cérémonie, en juin 2013, à Dakar. On a mis sur pied une équipe dont je suis le président, mais il y a d’autres personnes qui sont en Belgique et en France. Il y a trois pays opérateurs fondamentaux : le Canada, la France et la Belgique. On a réalisé la première édition l’an passé et on est en train de réaliser la deuxième.
Parmi tous les pays francophones pourquoi avoir choisi le Sénégal pour la tenue des deux premières éditions ?
On avait fait un certain nombre de missions au Sénégal. On avait trouvé un très bel accueil des autorités. Alors on est venu à Dakar et avec l’idée qu’on s’approchait du sommet de la francophonie. Il y avait un sens pour l’ensemble des partenaires à faire une manifestation pour le cinéma francophone ici à Dakar qui est une place importante. Les cinéastes sénégalais sont importants dans l’espace francophone.
Le principe d’itinérance est-il de mise ou Dakar reste définitivement l’hôte de ces trophées francophones ?
Il y a un principe d’itinérance dans le lieu où la cérémonie de remise des trophées se fait. Mais, il y a aussi un principe de pérennité, de récurrence dans les villes qui ont accueilli la cérémonie. Je souhaite qu’au fil des années, chaque ville dans laquelle se tient la cérémonie accueille les films finalistes de l’année suivante.
Donc, continuer à faire le lien entre ceux qui ont servi de tremplin ou d’hôte à la cérémonie. Par ailleurs, ici, ce sont des projections que nous instituons et c’est tout volontairement en avant-première du 15ème sommet de la francophonie. Nous voulons que ce sommet se penche sur les questions de culture et du cinéma francophone, comme éléments structurants de la parole francophone à travers les mille et une autres possibilités de défendre la francophonie.
On veut vraiment mettre ce coup de projecteur. On est fidèle à Dakar aussi parce qu’on fait confiance à des gens qui nous ont soutenu et l’institut français fait partie de ceux qui nous ont aidé dans la promotion. On est très heureux d’être ici et de faire une programmation en direction du public sénégalais. Et c’est un public formidable. Je le vois depuis quelques jours que je suis ici. Ca répond très très bien.
Pouvez-vous nous faire un bref bilan de l’édition de l’année dernière ?
Ce qui s’est fait l’année dernière à Sorano est très satisfaisant, surtout du point de vue de la qualité des projections, selon des témoignages de cinéastes et des professionnels de Dakar venus voir les films. Ils m’ont dit n’avoir jamais vu d’aussi belles projections à Sorano. On a amené du matériel de dernière génération. Au registre de la programmation, l’an dernier comme cette année, un cinéphile qui a la capacité de voir tous les films a la chance de découvrir des films qu’il n’a aucune chance de découvrir ailleurs.
Il y a peu de salles de cinéma à Dakar. Cela fait trois ans qu’on me parle de l’ouverture de salles de cinéma au Sea Plazza. Je suis navré que cela ne se fasse pas. Quand je suis arrivé, on m’a dit que les gens ont soif de cinéma. Et c’est le seul lieu au monde où on a 22 longs métrages et 5 courts métrages issus de tous les pays de la francophonie.
Ce ne sont pas des nouveautés parce qu’on n’est pas un festival de découvertes. On ne propose pas des premières non plus, mais on récompense des films qui ont eu une petite carrière ou une grande carrière dans l’espace francophone l’année dernière. Celui ou celle qui voit tous ces films-là acquiert une certaine connaissance du cinéma francophone. Quand on regarde ce que nous proposent les réalisateurs francophones, on n’a vraiment pas à rougir devant ce que nous proposent les grands studios américains, par exemple. Parce que c’est vrai que Hollywood est une grande industrie cinématographique mondiale qui a une force de frappe énorme. Mais, il y a des bijoux dans nos programmations.
J’ai vu le film iranien d’origine française ‘’Le passé’’ et la salle était pleine. Ce film a gagné l’oscar du meilleur film de langue étrangère, le César, le Golden globe, etc. C’est un film exemplaire avec des dialogues en langue perse et c’est ça l’espace francophone. On a une langue commune, mais des cultures et ce qu’on appelle chez nous, au Québec, des parlures tout à fait singulières et qui donnent cette saveur et cette couleur à l’espace francophone.
Pourquoi selon vous le cinéma francophone a du mal à s’imposer ?
C’est une très bonne question. C’est parce que très nettement la force de frappe manque encore d’un peu de vigueur. Je vais faire un petit rappel historique. Aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, avec le plan Marshall, la reconstruction de l’Europe était en sorte une certaine manière de s’opposer au bloc communiste. Ce n’est jamais tout blanc ou tout noir. Il y a toujours des périodes grises. Les Américains ont apporté dans leurs valises leur cinéma comme modèle. C’est ce qu’on appelle le ‘’american way of life’’.
C’est quelque chose qui a fonctionné en Europe et qui a été exporté. Il y a quelques années j’ai rencontré des gens au Maroc. Il y a de grandes familles marocaines, commerçantes bourgeoises de Rabat et de Casablanca, qui s’étaient distribuées entre elles des studios américains. C’est-à-dire la famille X avait le studio Columbia, la famille Y le studio Warner, etc. Ainsi, les films leur étaient offerts gratuitement, ils récupéraient les copies francophones de Paris. Il y a tout un prospect historiquement qui fait que le terrain était occupé par le gérant américain. Il y a eu quand même une création du cinéma québécois. Ce n’est par hasard qu’on a choisi l’année dernière de faire un hommage à Djibril Diop Mambéty. Il est quelqu’un que j’ai connu et que j’ai beaucoup aimé. Il a participé avec Ousmane Sembène et Safy Faye ainsi que d’autres à la création d’une nouvelle création cinématographique.
Les choses se sont amplifiées depuis quelques années grâce peut-être à l’instantanéité des médias. Georges Clooney se marie par exemple et toute la planète s’y intéresse. Et les médias amplifient cela. Il y a ce facteur, mais je crois quand même qu’il y a un appétit pour la connaissance du cinéma francophone. Le 7ème art belge flamant a eu cet espace de mouvement, d’affirmation de son cinéma et les producteurs ont réussi avec un certain nombre d’opérations. Cette volonté de se reconnaître à travers son cinéma est à appuyer. Et notre avantage à nous francophones c’est qu’on peut exploiter une zone très large. On a une langue extrêmement riche et répandue sur les continents.
Que pensez-vous des films sénégalais en compétition aux TF cette année ?
La première soirée on a refusé du monde ici (ndlr on projetait ‘’Des étoiles’’ de Dyana Gaye). Il nous a fallu installer un deuxième écran dehors. Madame Gaye est une grande réalisatrice. Je ne peux pas personnellement me prononcer sur les films, vu ma position. Mais d’après les échos que j’ai eus, les gens sont extrêmement satisfaits. Ils ont apprécié ce film chorale à trois personnages intriqués l’un dans l’autre avec trois lieux différents.
Et l’autre film qui n’a pas encore été passé, c’est celui de Mati Diop. Elle est la nièce de Djibril, la fille de Wasis. Elle a fait un court métrage sur ce personnage de Djibril et qui jouait dans ‘’Touki bouki’’. Je suis très heureux. Mati, je ne l’ai pas encore rencontrée, mais je connais très bien Wasis. D’ailleurs, je l’avais fait venir à Dakar l’année dernière pour interpréter la chanson qu’il avait faite pour le dernier film de son frère. Une chanson qu’il n’avait jamais interprétée en public. C’était la première fois. Cette année, la lutte sera belle.
Qu’attendez-vous de la présente édition ?
Cela fait 7 ou 8 ans que je suis en train de travailler sur ce projet tout seul. Après, les partenaires sont venus. On avance pas à pas. On n’a pas des moyens énormes. Cela aussi, c’est une réalité de l’espace francophone. Ce n’est pas comme le ‘’come on wealth’’ qui draine beaucoup plus de moyens. Cette année, on va pouvoir bâtir quelque chose encore. C’est comme un film. La réalisation du premier est toujours plus facile que celle du deuxième. Le défi est plus grand. On doit faire mieux que l’an dernier. Il faut être meilleur. Un truc chez Drucker (la remise des trophées se fera le 31 octobre 2014 dans un studio tv de Michel Drucker), c’est grandiose.
Ce monsieur l’a fait pour la cause. Il est capable de prendre son téléphone et d’inviter n’importe quelle vedette de la planète francophone à cette cérémonie. Cela va donner une reconnaissance. On va pouvoir construire qualitativement quelque chose de différent cette année. J’espère que le palmarès sera à la hauteur des films finalistes. Je souhaite aussi qu’il y ait une bonne répartition des prix. Il y a 16 pays finalistes et j’espère que le palmarès reflètera cette diversité.
BIGUE BOB