Publié le 13 Mar 2025 - 23:19
ENTRETIEN - AGUIBOU DIALLO, ESSAYISTE

‘’Nous sommes plongés dans un imbroglio politique inédit’’

 

Aguibou Diallo est essayiste et figure du militantisme politique. Philosophe de formation et communiste, il vit en France depuis une vingtaine d'années. Très actif sur les réseaux sociaux, son ton décalé et ses prises de position tranchées suscitent autant d'adhésion que de controverse. Il est l'auteur du livre ‘’Le désastre sénégalais - à l'ombre des décombres’’ paru en 2023 aux éditions L'Harmattan. Dans cet entretien, il décrypte la première année de gouvernance du régime de Bassirou Diomaye Faye et d'Ousmane Sonko ainsi que les défis économiques, politiques et diplomatiques auxquels le Sénégal est confronté.

 

Le député Guy Marius Sagna a récemment affirmé sur son compte Facebook, qu'Ousmane Sonko est le meilleur Premier ministre du Sénégal. Que vous inspire cette déclaration ? Partagez-vous cet avis ?

Elle ne m'inspire pas grand-chose. Tout au plus, il paraît curieux qu'une telle affirmation soit formulée à un moment où l'opinion publique commence à exprimer des doutes, voire une incrédulité quant à la capacité du régime à tenir ses mirifiques promesses. D'autant plus que nous évoluons dans un contexte mondial marqué par la persistance des crises financières et la subversion de l'ordre juridique international, avec une militarisation croissante des relations internationales. Il est donc prématuré de tresser des lauriers à Ousmane Sonko.

Face à l'immensité des défis et à des marges de manœuvre aussi étroites, il serait plus judicieux de réduire le bavardage et d'intensifier les efforts pour rendre le coût de la vie plus supportable.

Le régime Diomaye-Sonko approche de son premier anniversaire. Cependant, plusieurs problèmes persistent, notamment dans les domaines économiques et sociaux. Quel bilan général faites-vous de la gouvernance de Pastef depuis son accession au pouvoir ?

Pour être juste, il est tout aussi prématuré de tirer un bilan définitif. Des signaux apparaissent ici et là, susceptibles d'interprétations diverses. Sous cet angle, cette alternance ne diffère guère de celles qui l'ont précédée : les mêmes approches managériales prévalent, toujours sous une logique verticale. La particularité actuelle réside dans le fait que le Premier ministre incarne la réalité du pouvoir, reléguant le président à un second rôle. Nous sommes ainsi plongés dans un imbroglio politique inédit, oscillant entre un modèle Senghor-Dia de la Première République et une Constitution de la Troisième République hyperprésidentialiste.

Quant au modèle économique, même lorsqu'ils évoquent leur vision 2050, nous constatons une soumission aux doctrines du consensus de Washington, prônant la toute-puissance du marché. Enfin, sur le plan diplomatique, nul ne sait vers quelle orientation précise ce régime se dirige dans la recomposition des alliances internationales.

Le nouveau régime a lancé une politique de reddition des comptes marquée par le mandat de dépôt de figures de l'ancien pouvoir comme Farba Ngom et Lat Diop. Pensez-vous que cette initiative aboutira à une véritable justice ou risque-t-elle de suivre le même schéma que la traque des biens mal acquis de 2012 sous Macky Sall ?

Seul l'avenir nous le dira. Mais tout cela ressemble fort à une cabale savamment orchestrée pour offrir des têtes sur un plateau à Ousmane Sonko, dont les déclarations politiques prennent soudain des allures de prophéties judiciaires. Si l'ampleur des détournements qu'ils dénoncent est avérée, alors pourquoi ne pas retrouver les auteurs des falsifications des données économiques et ceux ayant dissimulé des milliards dans des comptes bancaires ? Plutôt que de nous tenir en haleine avec cette insipide saga judiciaire, il serait plus utile d'attaquer les racines profondes de la corruption.

Le porte-parole du gouvernement a évoqué une possible arrestation de l'ancien président Macky Sall. Selon vous, quelles pourraient être les conséquences politiques et sociales d'un tel scénario au Sénégal ?

Ces propos, qu'il s'est empressé de rectifier, semblent relever davantage d'un délire personnel que d'une réelle prise de position gouvernementale. Une telle arrestation constituerait un précédent inédit. Mais il convient d'éviter de tirer des plans sur la comète, sous peine de tomber dans les mêmes excès que ce porte-parole friand de spéculations oiseuses.

Si Macky Sall venait à être arrêté, quelles pourraient être les réactions de la communauté internationale, notamment des partenaires traditionnels du Sénégal ? Une telle décision pourrait-elle affecter l'image du pays sur la scène diplomatique ?

Là-dessus, je donne ma langue au chat.

Récemment, les agences de notation financière Moody’s et Standard & Poor’s ont abaissé la note souveraine du Sénégal, mettant en avant des inquiétudes économiques. Quels risques cela représente-t-il pour le pays ?

D'après les spécialistes, cette notation entraîne un renchérissement du prix de la dette et des services de la dette. Alors qu'ils nous annoncent un État en ruine, aux marges quasi inexistantes.  Ce faisant, ils seront obligés de passer à la caisse Bretton Woods avec son remède miracle : ajustement structurel et plan d'austérité caractérisés par les coupes budgétaires, la privatisation des secteurs stratégiques et l’abandon des politiques sociales. Or, c'est la direction dont il faut se prémunir. Ce serait une erreur monumentale au regard de la paupérisation aggravée des conditions d'existence des populations.

En outre, ils invoquent des financements innovants tels que les diasporas-bonds, de manière apocryphe et abstraite, sans préciser ni les montants escomptés ni le nombre de souscriptions.

Enfin, il semblerait que le pacte social qu'ils souhaitent avec les partenaires sociaux, au terme du 1er mai, soit leur dernière carte pour contenir l'éruption populaire et sociale qui risque de dissoudre la paix sociale dans ses larves.

Et comment le gouvernement peut-il y répondre ?

Étant donné l'étendue des passifs dont ils disent en être les héritiers et vu l'immensité des besoins pressants qui les assaillent, plutôt que ces manœuvres de dialogue, infatuées de faux-fuyant avec des acteurs (patronat et syndicalistes) totalement à la remorque par rapport aux attentes populaires, il ne serait pas inconvenant de convoquer un grenelle des dépenses publiques prioritaires, y compris la remise à plat de la question de la redistribution et du partage des revenus. L'idée consiste à bâtir avec les forces vives, aux côtés des acteurs sociaux, un consensus fort sur l'ordre des priorités à privilégier de façon diachronique et avec un spectre élargi au-delà de la durée du mandat.  S’ils souhaitent rompre avec le modèle économique dominant calqué sur l'approche archétypale issue du consensus de Washington, alors il faudra recueillir le consentement du plus grand nombre en vue d'un consensus autour de la hiérarchie des priorités qu'il faudra s'attaquer pour répondre aux attentes du moment.

La gauche sénégalaise a été historiquement influente, mais semble aujourd’hui en perte de vitesse face à des dynamiques politiques plus populistes ou libérales. Quel avenir voyez-vous pour la gauche sénégalaise dans le paysage politique actuel ?

Il faut dire que la gauche de manière globale, au Sénégal comme ailleurs, semble en dormance et, d'une certaine façon, incapable de fournir des réponses adéquates aux problèmes que pose la mondialisation financière avec ses ramifications au plan climatique, écologique, social et anthropologique. Face à un capitalisme de crises, on assiste à une gauche qui a abandonné l'option révolutionnaire pour s'accroche à une cautèle. Maintenant, quel avenir pour la gauche sénégalaise ?  C'est une question à un million de dollars.

 Mais en tout état de cause, pour renaître de ses cendres, il lui faudra faire son autocritique. Elle ne peut faire l'économie sur ce travail d'inventaire. Autrement dit, il lui revient de réévaluer la pertinence de la démocratie élective à laquelle elle a adhéré, alors même que celle-ci, jusqu'ici, ne s'est que trop démontrée comme moyen de légitimation d'un pouvoir au service de la bourgeoisie internationale. Et à partir de ce moment, elle pourra envisager l'avenir sous un autre jour et se sortir enfin de son coma.

De manière plus large, comment qualifieriez-vous l’offre politique au Sénégal aujourd’hui ? Assiste-t-on à un renouvellement des idées et des acteurs ou plutôt à une recomposition autour des mêmes logiques de pouvoir ?

La politique au Sénégal est réduite en un jeu d'alliances politiciennes en vue d'accéder au pouvoir et se partager les maroquins. Plus aucune formation politique n'a de vertèbres idéologiques, au point que l'échiquier départage les acteurs en deux subdivisions : ceux qui ont perdu le pouvoir font face à ceux qui l'ont conquis.

Quant au renouvellement des idées, disons qu'avec le Pastef, nous sommes retournés au Paléolithique de la politique. Il n'y a que des figures nouvelles, mais les usages et la praxis demeurent encore plus anachroniques que jamais.

Sur le plan diplomatique, le Sénégal maintient des relations avec les pays de l'Alliance des États du Sahel (AES), malgré l’isolement de ces derniers par une partie de la CEDEAO et des pays occidentaux. Comment analysez-vous l’évolution de cette politique étrangère ? Est-elle viable à long terme ?

Le Sénégal fait bien de maintenir ses relations de bon voisinage avec les pays de l'AES. Il y va de nos intérêts. D'autre part, il faut réformer la CEDEAO pour aller plus vite vers un fédéralisme politique et institutionnel. Nous avons tous conscience des vulnérabilités auxquelles nos États s'exposent, notamment au plan sécuritaire. Nous savons également que le terrorisme est l'allié objectif de l'impérialisme mondialiste d'essence occidentale. C'est pourquoi nos gouvernants doivent s'atteler à mener les réformes visant à accélérer les logiques d'intégration économique sociale et culturelle et à harmoniser nos politiques extérieures et de sécurité commune.

Concernant la politique diplomatique de ce régime, il est encore prématuré d'y porter un jugement, mais nous observons une navigation à vue. Il semblerait que le régime est fort aise à se positionner dans l'entre-deux. Or, autant l'entre-deux est louable dans le cas de la CEDEAO et de l'AES, autant il est important de se déterminer dans le jeu des alliances qui met en bute les velléités hégémoniques des grandes puissances économiques et militaires du monde. À défaut d'une force armée africaine et au regard des logiques militaristes qui structurent les relations internationales, il nous faut envisager des coopérations militaires et diplomatiques avec un partenaire sûr et viable parmi les puissances émergentes.

Amadou Camara Guey

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