Etat d’urgence, quelle pertinence ?
« En vertu de l’article 69 de la Constitution et de la loi 69-29 du 29 avril 1969, à compter de ce soir à minuit, je déclare l’état d’urgence sur l’étendue du territoire national. Le gouvernement, les autorités administratives et l’ensemble des services de l’Etat concernés prendront toutes les dispositions nécessaires à l’application sans délai du décret sur l’état d’urgence. » C’est ainsi que le Président Macky SALL a décrété l’état d’urgence assorti de couvre-feu, ce 23 mars 2020 lors d’une adresse à la nation. Ce décret accordait à l’autorité administrative le pouvoir de restreindre la circulation des personnes, des véhicules ou des biens dans certains lieux et à certaines heures, d’interdire les cortèges, les défilés, les rassemblements et tout autre initiative susceptible de provoquer des attroupements (baptême, enterrement, …). Au compteur ce 23 mars, 79 cas déclarés positifs (CDP), dont 08 guéris et 71 cas sous traitement (CST). Et aucun décès lié à la Covid-19 n’a été enregistré à cette date du 23 mars.
Pour les quatre-vingt-huitards, celui-ci n’a rien à voir avec le précédent, décrété sur le territoire de Dakar par le Président Abdou Diouf au lendemain de son élection, le 29 février 1988. Car, il y a bien une différence entre sauver un régime et protéger une population. Celui de 88 défendait le pouvoir d’un Président, celui que nous sommes en train de vivre met le peuple à l’abri des dangers d’une « sale maladie ». Le couvre-feu, encore en vigueur, fait partie des mesures les plus audacieuses et les plus efficaces prises par le Président de la République pour lutter contre la Covid-19.
La démarche était claire. Il fallait donner un coup d’arrêt à cette «promenade virale ». Comme nous le savons, un virus ne « circule » pas, il est « transporté ». Alors, il fallait qu’une décision aussi courageuse que drastique soit prise pour limiter les déplacements afin de faciliter la rupture de la chaîne de transmission du Coronavirus. Nous étions nous-mêmes partisans de la mesure d’état d’urgence, mais aujourd’hui, nous sommes moins convaincus de sa pertinence, compte tenu de ce que nous vivons. Le Président Macky SALL sera suivi, trois jours plus tard par son homologue malien, qui instaure directement le couvre-feu à partir du 26 mars (de 21h à 05h du matin), sans pour autant déclarer l’état d’urgence sur son territoire.
Nous sommes déjà en fin mai, et notre pays a enregistré 41 décédés, avec 3429 CDP, dont 1738 guéris et donc 1649 CST.
Entre le 23 mars, début du couvre-feu et maintenant (c’est-dire 69 jours), 3350 CDP et 1578 CST ont été enregistrés. Le rythme de progression journalière de la maladie est hallucinant : en moyenne 48 CDP/ jour et 22 CST/ jour. Or, du 02 mars, date marquant le début de la crise sanitaire au Sénégal, au 23 mars date d’entrée en vigueur de l’état d’urgence (soit 21 jours), notre pays aura enregistré 79 cas déclarés positifs (CDP), 71 cas sous traitement et 41 décès. Autrement dit, le rythme de propagation quotidien du virus n’était que de 03 CDP et 03 CST par jour.
Nous devons préciser que le premier décès lié à la Covid-19 aura été enregistré qu’une semaine après l’instauration de l’état d’urgence. Il s'agit de l'ancien Président de l'Olympique de Marseille, Pape DIOUF. Décès survenu le mardi 31 mars 2020 à l'hôpital de FANN. Et depuis, 40 autres sénégalais « ont abdiqué » face à cette pandémie.
Dès lors, n’est-il pas besoin de réviser la décision ? Quelle est la pertinence d’un état d’urgence si la mesure ne s’est pas montrée apte à rompre, ni même à ralentir la propagation de la maladie à Covid-19 ?
Incontestablement, l’instauration de l’état d’urgence avec la batterie de mesures connexes dont la plus lourde, la limitation des déplacements, aura été un flop.
L’essentiel des sénégalais a compris le degré de dangerosité de cette maladie parce qu’il sait qu’elle n’arrive pas qu’aux autres. Le sénégalais lamda a fini de s’approprier les mesures préventives pour éviter de contracter le virus ou de le transmettre. Il est donc venu le temps de faire confiance aux sénégalaises et aux sénégalais et d’alléger les restrictions. Pouvoir se déplacer est un attribut fondamental de l’humain, car cela conditionne la vie sociale, là où se déroulent les véritables contacts humains. Les contacts sociaux réels restent le ciment de toute relation humaine, de tout contrat social.
Cette mesure d’interdiction de circuler entre les villes est d’autant plus dure que pour les personnes sociales, plus qu’une punition, c’est de la torture. Nos pensées vont au Président de l’OM Pape Diouf, mais inévitablement à Golbert Diagne « l’inimitable », de Saint-Louis (qu’un hommage national lui soit rendu), mais encore à notre ami Elhadji Babacar Guèye de Thiès, Vice-président du Mouvement des Laobés du Sénégal et de la Diaspora, et à toutes ces autres personnes arrachées à notre affection, sans que nous puissions leur rendre les honneurs mérités et les accompagner jusqu’à leurs dernières demeures.
Il est arrivé le temps d’une vraie harmonie avec nos familles, nos amis et avec nos morts. A cause d’une mesure de protection, mourir est devenu plus triste. Et combien de famille ont reporté les funérailles de leur proche pour l'après-état d’urgence dans l'espoir de pouvoir leur organiser une vraie cérémonie funèbre ? Soyons certains que la charge symbolique de nos morts mal accompagnés va peser sur nos consciences pendant longtemps. Ne serait-ce que pour cette deuxième raison, notre loi sur l’état d’urgence mériterait d’être révisée.
Ainsi, après plus de deux mois de fermeture des frontières entre les départements, nous nous rendons compte que la mesure n’a rien changé au virus qui continue de sévir de plus belle. C’est comme s’il narguait nos stratégies de riposte. Aucune mesure, jusqu’ici, ne se révèle assez bonne pour le stopper net. Malgré tout, nous nous sentons solidaires de tous ces grincements de dents favorables à l’ouverture des voies entre les communes et les départements. Mais, nous nous sommes aussi rendus compte que les sénégalais avaient bien compris comment vivre avec cette voisine intraitable : la Covid-19.
Dès lors, l’allégement de l’état d’urgence par la levée des mesures d’interdiction de circuler entre les circonscriptions administratives est devenu plus qu’une exigence, une urgence. Cette mesure ne peut continuer, en aucun cas, à être fonction d’un retour à la vie normale. Cette dernière est intimement liée à la découverte d’un vaccin produit à plusieurs milliards de doses et disponibles jusque dans nos pharmacies de quartier, à des prix accessibles aux sénégalais. Une fois cette étape franchie, nous serons en droit de nous attendre à une immunisation massive des populations. Bien entendu, il reste aussi l’éventualité de la découverte d’un médicament efficace. Mais, tout cela prendrait techniquement plusieurs mois encore, voire des années. C’est donc dire que si nous devons attendre un retour à la vie normale pour mettre fin à l’état d’urgence, il faudra attendre avec beaucoup d’optimisme 2022 ou 2023.
In fine, nous sommes à peu près certains qu’avec juste le maintien du couvre-feu, les populations se sentiront moins coincées et mieux à l’aise pour affronter cet intrus qui afflige toute la vie de la nation, à tous les niveaux (économique, politique, sociale…). Bien entendu, l’allégement de l’état d’urgence ne signifiera pas que la crise est écartée. Il faudra que les populations continuent à se protéger individuellement et mutuellement en respectant rigoureusement les mesures préventives contre le Coronavirus. Il s’agit de rester vigilant. Le conseil du sage consistant à démarrer un apprentissage de vie avec ce virus, sans rien arrêter de nos activités, reste une bonne option. Le virus est là, encore plus virulent et il n’y a rien pour le contrôler. Quoi qu’il advienne, ne baissons pas la garde
(CDP : Cas déclaré positif
CST : Cas sous traitement)
Lamine Aysa FALL
Militant de l’Alliance pour la République
Citoyen de Thiès-ville
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