L’audience perturbée par la présence d’une chaîne de télévision française
Un fait inédit s’est déroulé hier, à la salle n°1 où se tiennent les audiences de la première composition du Tribunal des flagrants délits de Dakar. Une chaîne de télévision française a voulu filmer le procès de Th. A. Aïdara, poursuivi pour viol sur mineure et escroquerie. Malgré une autorisation des autorités judiciaires sénégalaises, l’avocat du prévenu s’est opposé vigoureusement à la présence de la caméra.
Hier, les avocats et justiciables ont assisté à une scène inhabituelle dans la salle n°1 où se tiennent les audiences de la première composition du Tribunal des flagrants délits de Dakar : la présence d’une équipe de télévision étrangère. Une scène qu’on ne voit d'habitude que lors des cérémonies d’ouverture des cours d’assises. Du coup, les questions ont fusé sur la présence de ces journalistes français. Lorsque le dossier de Th. A. Aïdara, poursuivi pour viol et escroquerie sur deux dames a été évoqué, la salle a eu la réponse à ses interrogations.
Car, l’équipe de télévision voulait exclusivement filmer le procès du présumé violeur. Donc, lorsque le prévenu et les deux parties se sont présentés à la barre, le cameraman a braqué son objectif sur eux, au moment où le monteur a tendu son long micro vers les parties. Pris au dépourvu, l’avocat de Aïdara est sorti de ses gonds et a refusé que le procès soit filmé. ‘’Monsieur le président, il n’est pas question de filmer le déroulement du procès de mon client’’, a asséné l’avocat. Le juge Hanoune Camara, président de la séance, lui a alors fait savoir que les journalistes bénéficiaient d’une autorisation des autorités judiciaires sénégalaises.
Peu importe, a semblé rétorquer Me Pape Sène qui a poursuivi ses récriminations : ‘’C’est aberrant, je n’ai jamais vu ça ! Monsieur le président, veuillez demander au cameraman d’arrêter de filmer !’’ a-t-il déclaré de plus belle. Ne voulant rien entendre, l’avocat a sollicité le renvoi afin de saisir le bâtonnier. ‘’Les procès ne doivent pas être filmés. C’est interdit par la loi. S’il y a une exception, j’appartiens à un Ordre qui m’interdit même d’intervenir dans la presse, sans avis’’, a indiqué Me Sène.
‘’Dans un procès, il faut préserver la protection de la dignité du prévenu, le droit à l’image et la présomption d’innocence’’ a-t-il ajouté, tout en menaçant de se déporter, au cas où le procès serait retenu et filmé. ‘’M. Aïdara, votre avocat dit qu’il va se déporter’’, a alors lancé le juge au prévenu. Me Sène d’interrompre le magistrat : ‘’Pourquoi vous voulez me pousser à me déporter. Tout ce que je demande, c’est le renvoi pour informer mon Bâtonnier’’. Finalement l’avocat a obtenu gain de cause, puisque le procès a été renvoyé au 21 février prochain.
ME AISSATA TALL SALL : ‘’Je suis étonnée et c’est illégal’’
La présence d’une équipe de télévision au procès de Th. A. Aïdara a fait un débat. Après le renvoi du procès à cause de la présence de la caméra, plusieurs juristes se sont prononcés sur cette situation inédite. La majorité des personnes interrogées ont exprimé leur indignation.
‘’ Si c’était moi qui présidait l’audience, j’aurais fait sortir le cameraman dès le début de l’audience’’, a réagi promptement un magistrat interpellé. Selon lui, même si un procès est public, il ne doit pas être filmé. Un autre magistrat d’ajouter : ‘’Même s’ils disposent d’une autorisation, cela ne suffit pas. Le juge qui préside la séance a la police de l’audience’’.
Révulsée par cette affaire, Me Aïssata Tall Sall a asséné : ‘’ Je suis étonnée et c’est illégal’’. Selon l’avocat socialiste, même si les journalistes ont une autorisation, le juge a le devoir de refuser. Parce que, argue-t-elle, il y a va de l’intégrité du prévenu. ‘’Il est interdit de filmer dans les prisons à fortiori un procès’’, a ajouté Me Sall qui pense que le prévenu peut même porter plainte contre l’État pour violation de sa vie privée. Un autre avocat a abondé dans le même sens, en soutenant que si le procès était filmé, ‘’il s’agirait d’une violation de la présomption d’innocence et du droit à l’image’’.
Pour notre interlocuteur qui a préféré garder l’anonymat, même le fait de rendre floues les images ou de masquer le visage du prévenu ne constitue pas une garantie pour la préservation de l’image. Mes Baboucar Cissé et Amadou Aly Kane semblent ne pas être dérangés par cette affaire. Ils ne voient pas d’inconvénient qu’un procès soit filmé. ‘’ Même si c’est interdit par la loi, il peut y avoir une exception, pourvu que l’image du prévenu soit préservée’’, a soutenu Me Kane. Me Cissé a estimé pour sa part qu’il faut qu’on évolue.
‘’Dans certains pays, les procès sont filmés. La justice est rendue au nom du peuple. Donc, celui-ci a le droit de savoir comment les procès se déroulent’’, a plaidé l’avocat. Aussi suggère-t-il aux chaînes de télévision locales de ‘’s’engouffrer dans cette brèche pour demander une autorisation de filmer’’.
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FATOU SY
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