À 40 ans, Aïssatou Dia n'a jamais mis les pieds à Dakar
Le Fouta est un monde à part, de par sa culture et ses habitudes de tous les jours. Lors de la caravane de sensibilisation sur le paludisme initiée par le lutteur Modou Lô, EnQuête a rencontré des femmes, qui n'ont jamais mis les pieds à Dakar. Récit.
Il nous a fallu chercher une traductrice pour pouvoir communiquer avec la dame Aïssatou Dia, habitante de Guédé Chantier. La quarantaine bien sonnée, mariée et 6 enfants, la dame n'a jamais mis les pieds à Dakar. Elle en entend parler chaque jour, par quelques proches, mais n'y est jamais allée et ne souhaite pas s'y rendre. Pourquoi ? ''À Dakar il n'y a pas de valeur, pas d'éducation et les filles s'habillent n'importe comment. Je n'y suis jamais allée et mes filles n'y mettront jamais les pieds. Je ne veux pas les perdre''. Aïssatou ne comprend pas qu'une fille puisse porter des pantalons ou s'habiller sexy et exposer ses formes aux yeux des autres. À 14 ans, elle a été mariée à un de ses parents. Son mari s'occupe du bétail et elle est chargé de vendre le lait caillé tiré de ce bétail. Elle n'a jamais fréquenté l'école, ses quatre filles non plus. Elles l'aident dans la vente du lait caillé et dans les travaux ménagers, en attendant de trouver des époux.
L'évolution et le progrès n'ont pas de prise sur la dame d'une beauté insolente, malgré ses quarante ans. Teint clair, traits fins, Aïssatou est plus que conservatrice. Le monde évolue, mais elle n'en a cure. Habillée d'un boubou wax, un foulard bien noué sur la tête, les lèvres tatouées, elle impressionne par son sourire chaleureux et accueillant. D'ailleurs, cette question qu'elle pose le plus naturellement du monde vaut tous les discours. ''Vous venez du Sénégal, comment vont-ils ?'', demande-t-elle, comme si le Fouta ne faisait pas partie du Sénégal.
Ces femmes ne se sentent pas sénégalaises et ne veulent pas non plus prendre le train en marche. Aissatou Dia n'est pas la seule femme dans cette situation, renseigne notre traductrice émancipée, devant notre incrédulité. Elles sont des milliers de femmes dans le Fouta à n'avoir jamais dépassé les frontières de Podor, Matam, Saint-Louis, poursuit-elle. Certaines d'entre-elles n'ont jamais mis les pieds dans une maternité. Elles préfèrent accoucher à la maison, aidées par de vieilles femmes expérimentées. Elles voient d'un mauvais œil le fait d'accoucher dans une maternité. Toutefois, une vaste campagne de sensibilisation menée par des structures, essaie de les inciter à changer au moins cette conception, à faire des visites prénatales et à vacciner leurs enfants.
Lors de cette tournée, les femmes journalistes venues couvrir la campagne de sensibilisation de Modou Lô, étaient souvent le centre de discussions et de regards. Les femmes du terroir étant outrées par ces filles habillées en jeans et baskets, tout le contraire des jeunes filles de leur âge. N'ayant jamais arboré un tel accoutrement, elles étaient en admiration, de même que les jeunes hommes. Les jeunes filles n'ont pas hésité à se rapprocher des femmes journalistes pour se lier d'amitié avec elles, mais la barrière de la langue n'a pas facilité les choses.
KHADY FAYE
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