Les histoires d’un parti rebelle
Ce parti politique était peut-être condamné à être comme un de ses fondateurs principaux. Le Jëf Jël a été en effet comme Talla Sylla : imaginatif, turbulent, instable, avec ses départs, démissions, combinaisons, putsch... Un cocktail explosif qui finit comme du Molotov.
Si la politique a la vertu de «maintenir l’équilibre social», elle est aussi source de crise. Et quand les ambitions politiques au sein d’un parti s’entrechoquent, les dégâts se font compter. A l’Alliance Jëf Jël (AJJ), on en compte malheureusement, ces dégâts. Car, depuis plusieurs mois, ce parti est en proie à une querelle de leadership qui semble avoir atteint son paroxysme avec l’élection de Pape Ameth Keïta, comme nouveau président de l’AJJ. C'était ce week-end lors du congrès extraordinaire tenu à Thiès.
Convoqué par une frange du parti conduite par Ndiaga Sylla, ce congrès a décidé de débarquer Yoro Ba, «président sortant» de l’alliance et à couteaux tirés avec Talla Sylla, démissionnaire du parti. Keïta a désormais comme 1er vice-président chargé de la vie politique, Ndiaga Sylla, non moins frangin de Talla Sylla. Ce qui est loin de faire abdiquer Yoro Ba, qui promet de saisir le ministre de l’Intérieur aux fins d'annuler le processus arrivé à terme dans la capitale du Rail. «C’est tout sauf un congrès, dit l’adjoint au maire de Dakar joint par EnQuête. On ne peut pas tenir un congrès sans PV (procès-verbal) des assemblées générales». Mais pour Ndiaga Sylla, un tel argument «montre qu’il (Yoro Ba) ne maîtrise même pas les procédures du parti.» Du reste, ajoute-t-il, cette «question-là est derrière maintenant».
Cet épisode vient s’ajouter en effet aux nombreuses péripéties qui ont jalonné l’histoire de ce parti. Né en 1998 et officiellement reconnu en 2000, l’Alliance Jëf Jël a perdu en cours de chemin plusieurs de ses responsables fondateurs et non des moindres. Premier à s’être séparé de Talla Sylla, Moussa Tine. Ancien numéro 2 du parti, il avait d’abord démissionné de son poste au lendemain des élections législatives de 2007. Il voulait redevenir «simple militant». Mais c'était peut-être un moyen de préparer son départ car Tine délaisse définitivement le navire en avril 2007 pour créer son propre parti : l’Alliance démocratique Penco (ADP), avec ses partisans.
La raison ? Il l'expliquera lui-même. «Il arrive, dans la vie, qu'une situation justifie qu’il vaille mieux se séparer que de rester ensemble. Nous avions fait du chemin avec l’Alliance Jëf Jël (…) Mais nous étions arrivés à un moment où nous avons pensé faire quelque chose par rapport à la démarche.» Il n'en dira pas davantage.
Mais des sources dignes de foi expliquent cette démission par les attaques dont faisait l’objet Moussa Tine à l’interne. «Lors du Conseil national de 2007, des proches s’en sont pris vertement à lui, souffle-t-on. On lui a reproché de ne pas être présent et actif sur le terrain. Alors, il a démissionné séance tenante de son poste de vice-président». Auparavant, Moussa Tine avait remplacé Talla Sylla à son poste de député à l’Assemblée nationale. Une démission qui, selon certains observateurs, répondait à une logique de «rotation» arrêtée au sein du parti. Elu une deuxième fois député, Talla Sylla cédera à nouveau sa place à Mously Diakhaté, alors patronne des femmes du parti, annonçant en même temps son retrait de la vie politique pour des «raisons de santé».
Pendant ce temps, Benoît Sambou, lui, prépare minutieusement son départ. Frustré par l’«injustice» dont il se dit victime dans l'Alliance, il quitte ses charges et gèle ses activités. «Benoît est un homme qui ne se laisse pas faire, confie une source. Il croit à la méritocratie. Quand certaines personnes à l'interne ont constaté qu’il était en train de ravir la vedette à Talla, elles ont voulu réduire ses pouvoirs. Il est alors passé de porte-parole en simple chargé de communication». Un mal pour un bien ? En tout cas, un ex-futur ministre de la Jeunesse quitte l'Alliance Jëf Jël en 2008 et dépose ses baluchons dans une autre alliance, pour la République, celle-là, qui venait d'être mise en route par un ex-futur président de la République ! Un certain Macky Sall.
Si la démission de Mamadou Thiam de son poste de secrétaire national à l’Information et à la Communication en 2007 est passée inaperçue, celle de sa camarade Mously Diakhaté surprendra plus d’un. C'est que la fringante égérie du parti a toujours défendu son mentor en toutes circonstances. C'est peut-être l’investiture de Sylla par l’AJJ à la présidentielle de 2012 qui a cassé le charme entre les deux. En quittant sa formation politique, Mously Diakhaté lance le mouvement citoyen And jappo jëf ci jamm (A3J) en janvier 2012 et se range derrière la candidature de Macky Sall.
Talla Sylla, qui a entre-temps mis sur orbite le mouvement dénommé «Wàllu» (Secours) renoncera à se présenter à la présidentielle et soutient le Pr. Ibrahima Fall, leader de Taxaw Temm... La débâcle de son candidat l'affaiblit plus ou moins, mais il se lance dans les législatives. Sans succès. Il avait déjà perdu une bonne partie de son électorat... en dépit de son alliance avec Amadou Doudou Sarr.
DAOUDA GBAYA