‘’J’étais un joueur exceptionnel”
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Un 4x4 argenté aux jantes chromées déboule sur le parking de l’hôtel cinq étoiles Terrou-Bi, sur la corniche de Dakar. Stetson sur la tête et lunettes fumées, “Son excellence” salue le personnel, se pose sur un canapé, commande une bouteille de rosé. “Il paraît que vous m’avez cherché partout ? Me voilà.” El Hadji Diouf, en personne.
Pourquoi les gens t’appellent “Son Excellence” ?
(Rires.) Je viens d’être nommé ambassadeur itinérant et conseiller spécial du président (Macky Sall, ndlr). Je dois signer de gros contrats en Asie pour développer nos infrastructures sportives. Or il n’y a personnequi puisse vendre le Sénégal à l’étranger mieuxque moi… Tu ne peux pas parler des stars du Sénégal sans citer El Hadji Diouf ! Comme le dit un proverbe chinois : tu travailles pour te faireun nom, et ensuite ton nom travaille pour toi.
Tu t’entends bien avec les puissants de ce monde. À l’image de tes épopées nocturnes avec Saïf al-Islam Kadhafi…
Ce n’est pas parce que Saïf est en prison aujourd’hui (pour crimes contrel’humanité, ndlr) que je vais casser du sucre sur son dos, ou nier avoir passé des soirées avec lui à Londres. À l’époque, je ne me rendais pas compte de qui il était, il me faisait croire qu’il faisait beaucoup de bonnes choses pour son pays. Aujourd’hui, quand on voit ce qui est arrivé à la Libye, c’est désolant.
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‘’Je veux aider la jeunesse et apporter mon soutien à Macky Sall, un grand président, à l’écoute des Sénégalais. Le problème, c’est qu’il est entouré de parasites.’’
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La politique, ça pourrait t’intéresser?
Carrément. D’abord parce que je suis un combattant. Ensuite parce que j’aime mon pays comme pas possible. Je veux aider la jeunesse et apporter mon soutien à Macky Sall, un grand président, à l’écoute des Sénégalais. Le problème, c’est qu’il est entouré de parasites. Sa communication passe mal auprès de la population. Moi, je peux l’aider à arranger les choses. Quand le foot marche, ici, tout marche. La fédération sénégalaise a fait appel à moi pour le dernier match de qualification (du deuxième tour des éliminatoires de la Coupe du monde 2018, en zone Afrique, ndlr) contre Madagascar : j’ai donné quelques conseils, on a gagné 3-0. Du coup, les supporters croient que c’est grâce à El Hadji Diouf qu’on a gagné, alors qu’il faut féliciterle staff et les joueurs.
Ce retour avec la sélection, après ta suspension de cinq ans, c’est assez inattendu. En 2011, tu avais dénoncé les “magouilles” de la fédération, expliquant que “tout le système du football africain est corrompu”.
En 2011, j’ai dit ce qu’ils n’avaient pas envie d’entendre. Mais c’était la vérité. Nos résultats en sont la preuve. Aujourd’hui, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Comme en équipe de France, où vous avez donné les clés du camion à des gens qui connaissent la maison. Le plus important dans une vie, c’est l’expérience. Je sais comment les grands clubs fonctionnent. Je suis le plus grand sportif sénégalais de tous les temps. Qui a fait mieux que moi dans le sport sénégalais ? Qui ? En Afrique, il faut qu’on arrête avec notre manque d’organisation. Il n’y a que les joueurs africains qui parlent encore de primes en Coupe du monde. Il faut qu’on grandisse, on en est très loin du haut niveau. Être footballeur et africain, c’est encore un handicap.
C’est-à-dire ?
Lors de la présentation des matchs de Ligue des champions, dans les publicités ou sur les jaquettes des jeux vidéo, ce ne sont jamais les visages de joueurs africains qui sont affichés. Pourtant, Eto’o, Drogba, Yaya Touré font partie des meilleurs ! Yaya l’a dit : s’il était européen, il serait cité parmi les cinq meilleurs joueurs du monde.
Les joueurs africains sont victimes de racisme ?
Pas de racisme, plutôt d’un manque d’exposition et d’intérêt. Combien d’Africains entraînent des grands clubs ? Aucun ! Pourtant, ils ontpassé leurs diplômes comme les autres. Mais ils finissent toujoursnuméro deux. C’est pour ça que je dis à mes jeunes frères qui rêvent de jouer pour la France et de s’y installer : “Réfléchissez bien ! Quand le football est fini en Europe, vous êtes tous pareils, vous ne valez plus rien. À l’aéroport, vous faites la queue comme tout le monde. Ici, non!” J’ai le passeport diplomatique, j’ai droit au salon d’honneur… Si je veux voir le président, je le vois demain. Mieux vaut être roi dans son pays qu’une merde ailleurs.
Que penses-tu de la sélection sénégalaise ?
L’équipe n’a plus le niveau de 2002, mais nous ne sommes pas les seuls concernés. D’une manièregénérale, il n’y a plus de grands joueurs. En1994, Romario avait des équipiers de classe mondiale, comme Cafu ou Taffarel. Mêmele grand Ronaldo a commencé en coupe dumonde sur le banc, sans jouer une minute.Maintenant, le monde ne parle que de Ronaldo, Messi, Messi, Ronaldo… C’est trop peu! Quand je remporte mes deux Ballons d’or africains, jesuis en concurrence avec Okocha, Kanu, Eto’o, Mboma, Kuffour, Drogba, McCarthy… L’équipe de France, c’est pareil. J’aime bien Paul Pogba, mais si c’est lui le meilleur joueur français, c’est qu’il y a un problème. Le meilleur en ce moment, c’est Karim Benzema. Mais il n’est pas respecté comme il se doit… À certains moments, on a mis Olivier Giroud devant lui ! Ce n’est pas comme ça qu’il faut traiter son meilleur joueur, il faut le respecter. Il ne faut pas le gérer de la même façon que les autres.
Tu as toujours exigé un traitement de faveur au cours de ta carrière ?
Je ne l’ai pas exigé, je l’ai eu. Parce que j’étais le meilleur. On ne traite pas le meilleur joueur comme on gère les plus mauvais. Chaque chose a son prix. Moi, j’étais un joueur exceptionnel.
Qu’est-ce qui te rendait si exceptionnel ?
Lacréation. C’est ce qui est rare, l’apanage de ce qu’on appelle les phénomènes. Le football, c’est de l’art. Je garde ça en tête même quand je fais un petit match entre amis. Les autres joueurs s’arrêtent tous pour me regarder parce que je donne du plaisir. Le grand joueur, c’est celui qui joue en pensant au public, qui fait le show, qui faitse lever les gens. Entrer sur le terrain, faire une passe quepersonne n’a vue, se lancerdans un tour d’honneur sousles applaudissements… Puisvoir qu’à la sortie du stade monmaillot est trois fois plus cherque les autres.
Le match contre l’équipe de France aumondial 2002, c’est ton chef-d’œuvre ?
Récemment, un vieux est venu me voir, il m’a dit qu’il avait pris plus de plaisir devant ce match que le jour de l’Indépendance ! (Rires.) Tu peux demander à n’importe qui quelle est ma plus belle action, tous vont te parler de mon déboulé contre la France. Le moment où je prends la balle sur le côté, j’élimine Leboeuf tranquille et je centre pour Papa Bouba Diop qui marque en deux temps (il appelle quelques serveurs pour confirmer ses dires). Depuis, le 31 mai est férié au Sénégal. À l’époque, le président avait déclaré trois jours de fête nationale ! Personne ne travaillait, mais les gens étaient quand même payés, c’était incroyable (rires). Donc c’est le plus beau, oui. Mais d’un point de vue technique, notre meilleur match reste le huitième contre la Suède. On estmenés 1-0 et on gagne 2-1 grâce à un doubléd’Henri Camara. Ibrahimovic s’en souvient bien. Pour qu’il écrive dans son livre qu’El Hadji Diouf est un phénomène, c’est que c’est la vérité. Il dit ce qu’il pense, ce mec.
Tu dis souvent que tout cela a été possible grâce à votre sélectionneur de l’époque, Bruno Metsu…
J’avais une relation très forte avec lui. Je l’ai connu quand il est venu me rencontrer dans le lougne des joueurs lensois après unmatch contre Sedan. Il venait d’être nommé sélectionneur et ses premières paroles m’ont touché : “Tu es le plus talentueux de ta génération, tu vas m’emmener loin. Je veux faire de toi mon homme de base. Tous les deux, on va faire de grandes choses.” Il savait comment s’y prendre.
Il faut s’y prendre comment avec toi ?
Je ne veux pas qu’on me fasse des bisous ou qu’on me traite comme un bébé. La seule chose que j’exige, c’est le respect. Si je fais quelque chose de bien, tu me le dis; si je fais quelque chose de mal, tu me le dis. Bruno s’est occupé de moi comme un père. C’est pour ça que j’ai décidé d’adopter son fils à sa mort. Je l’emmène parfois en vacances, il m’appelle “papa”. Son père lui manque.
‘’Plus jeune, je n’ai pas connu mon père. C’est son absence qui a forgé mon caractère et m’a donné l’envie de briller et de devenir quelqu’un. Juste pour lui faire payer.’’
C’est quelque chose dont tu as souffert toi aussi…
Plus jeune, je n’ai pas connu mon père. Il s’appelait Boubacar Diallo. Il a été trois fois meilleur buteur du Sénégal, il a porté le maillot des Lions de la Teranga. Il est parti en Europe pour faire carrière en nous abandonnant, ma mère et moi. Il a refait sa vie au Portugal, puis en France. C’était très dur de vivre sans lui. Petit, je n’avais jamais de cadeaux, pas de gâteaux d’anniversaire. Seulement beaucoup de rancœur. Mais au fond, c’est son absence qui a forgé mon caractère et m’a donné l’envie de briller et de devenir quelqu’un. Juste pour lui faire payer.
Tu ne lui en veux plus, aujourd’hui ?
On s’est réconciliés. C’est important de pardonner. Je me souviens du moment où, à Lens, mon téléphone a sonné. Il m’a dit qu’il avait envie de me voir. J’étais très énervé contre lui plus jeune, il a falluque je mûrisse pour relativiser. Quand je me suis marié, par exemple, j’ai réalisé qu’on ne pouvait pas avoir une femme sans se prendre la tête. Quand tu connais les prises de bec conjugales, tu sais que les femmes peuvent dire des choses qui te donnent envie de partir. J’ai réalisé que peut-être tout n’était pas de sa faute. Désormais, ma mère appelle mon père régulièrement, ils sont devenus meilleurs potes.
Quand as-tu réalisé que tu marcherais sur ses traces ?
J’ai toujours su que j’étais le meilleur, que j’allais réussir. Petit, je regardais la Coupe du monde à Saint-Louis avec mes potes. Je leur disais : “Venez, on va jouer au foot.” Ils me répondaient : “T’es fou Ousseynou (son troisième prénom, ndlr), regarde le match plutôt.” Et j’annonçais : “Ne vous inquiétez pas, je la jouerai un jour.”
En 1995, après avoir été refusé à Lens à cause de raisons administratives, tu entres au centre de formation de Sochaux.
On avait une superbe génération de jeunes avec Pierre-Alain Frau et Camel Meriem… En Gambardella, on claquait cinq ou six buts contre le PSG. On tapait Auxerre. Il n’y avait que Lyon avec Malbranque et Bordeaux avec Feindouno qui nous résistaient. Le président Gilles Daget m’aimait beaucoup mais le coach des pros, Faruk Hadzibegic, ne pouvait pas m’encadrer à cause de mon arrogance. Le fait que je sois de loin le meilleur, et que je le dise, l’énervait. Lors d’un de mes premiers entraînements, je me suis battu avec Bernard Maraval. Il m’avait posé un gros tacle, il voulait me péter la jambe. Je me suis relevé, je lui ai dit: “Qu’est-ce que tu fous Bernard ? Tu ne sais pas que je suis destiné à jouer dans les plus grands clubs ? Si tu me casses la jambe, je te tue.” Ce genre de réplique, ça faisait péter des câbles à Faruk, mais Daget m’a protégé, il savait que j’étais la perle rare.
Tu pars ensuite pour Rennes, où ton passage est surtout marqué par un accident de voiture.
J’étais avec des amis, on est allés en boîte, on déconnait, et derrière, il s’est passé ce qu’il s’est passé. Une bêtise comme en font tous les jeunes. En voyant la bagnole complètement pliée, tu pouvais parier que tout le monde était mort. Avec le recul, je remercie le bon Dieu. Et je demande pardon aux gens que j’ai blessés. C’est vraiment un miracle qu’on s’en soit sortis. Après ça, Rennes m’a lâché. Mes agents ont trouvé une solution à Toulouse, en prêt. J’y vais, je passe les tests, il ne reste plus qu’à signer.Et là, mon téléphone sonne (il prend un accent mafioso): “Allô El Hadji, c’est Rolland Courbis. Qu’est-ce que tu fous à Toulouse, tu es fada ou quoi ? Viens à Lens, je ferai de toi le meilleur joueur de ta génération. En revanche, si tu viens, faut pas me casser les couilles. Si tu me casses pas les couilles, je te casserai pas les couilles. Tu fais ce que tu veux en dehors, mais donne-moi mes résultats sur le terrain.” À Lens, Rolland s’est occupé de moi comme un père. Sa mère aussi était super sympa.
C’est à Lens que ton talent éclate…
On avait une belle équipe : Daniel Moreira, Lamine Sakho, Valérien Ismaël, Jean-Guy Wallemme, Éric Sikora, Pape Sarr, Stéphane Pédron. Ce n’étaient pas des artistes, mais c’étaient des guerriers. Et moi, comme d’hab’, je faisais la différence devant. La deuxième année, on a fait une saison extraordinaire. En championnat, on mène du début à la fin devant Lyon, et je suis persuadé qu’on perd le championnat à cause de la CAN. Quand je pars à la Coupe d’Afrique, on a neuf points d’avance. Quand je reviens, on n’en a plus que trois. On savait tous qu’il nous fallait davantage de marge avant d’affronter Lyon à Gerland. On perd 3-1 et le titre s’envole.
C’est un grand regret, ce titre de champion raté ?
Un peu. Mais mon vrai regret, ce n’est pas la Ligue 1, la Ligue des champions ou la coupe du monde, c’est la coupe d’Afrique 2002 avec le Sénégal. On avait la meilleure équipe, mais on perd en finale contre le Cameroun (0-0, 2 tab 3, dont une tentative ratée de Diouf, ndlr). C’est une déception de ne rien avoir gagné avec mon pays. Je relativise, j’ai quand même fait une superbe carrière. Tout le monde peut gagner une coupe du monde.
Ah bon ?
Beaucoup de joueurs l’ont gagnée en restant sur le banc. Stéphane Guivarc’h, il l’a bien gagnée. Est-ce qu’il est meilleur que moi ? Zlatan est un très grand joueur mais il ne gagnera peut-être jamais de Ligue des champions. Ce ne sont pas les titres collectifs qui font les grands joueurs. Les meilleurs, on les reconnaît à leurs récompenses individuelles. Guivarc’h est champion du monde, mais est-ce qu’il peut gagner le Ballon d’or ? Même le Ballon d’or africain, il ne pourrait pas. Alors que moi, je suis le double Ballon d’or africain le plus méritant. Parce que je les ai gagnés sans jouer dans un grand club.
Ça a dû te faire plaisir quand, en 2004, Pelé te cite dans sa liste des 125 meilleurs joueurs encore vivants…
J’ai aussi été nommé dans les dix meilleurs joueurs de la Coupe du monde 2002. Certains ont joué trois Coupes du monde, personne ne s’en souvient. Moi, je n’en ai joué qu’une, tout le monde s’en rappelle. C’est ça, l’art. Marquer contre Osasuna, c’est facile. Marquer son époque, l’histoire de son continent et du monde, c’est plus difficile.
Après cette Coupe du monde… (Il coupe.)
Je pouvais signer où je voulais, dans tous les plus grands clubs, mais j’ai choisi Liverpool pour Gérard Houllier. Il me disait des trucs du genre : “Fais-moi confiance, je vais bien m’occuper de toi” ou “Je vais te faire jouer à ton vrai poste”. Il a posé 18 millions sur la table, mais j’ai été très déçu parce qu’il m’a menti. Tout ce qu’il m’avait promis, je ne l’ai jamais eu.
C’est-à-dire ?
Le premier match amical, contre Southampton, il me fait jouer attaquant, je claque un doublé. Mais le deuxième, il me fait jouer derrière l’attaquant. Et le troisième, il me met sur le banc. Je suis allé le voir : “Gérard, si c’est pour me foutre sur le banc, ne compte pas sur moi. Je ne suis pas le genre de joueur qu’on met sur le banc.” C’était tendu. Mais je ne suis pas le seul joueur qu’il ait arnaqué. Bernard Diomède est resté des années au club, il était champion du monde et il n’a même pas joué dix matchs (cinq matchs en trois saisons, ndlr)… Il n’a pas tenu sa parole. Dans ces cas-là, j’entre en guerre. Lors de ma deuxième saison, je n’allais plus à l’entraînement, je restais à Londres. Il m’appelait, je ne répondais pas. La vie, c’est un combat. Contre moi, tu n’en sors pas gagnant.
C’est à partir de là que tu forges ta mauvaise réputation…
Ouais. Avec le club, ça clashait pas mal à cause de la CAN. Les grands clubs ne supportent pas cette compétition. Ils te demandent de ne pas y aller, de dire que tu es blessé, pour ne pas payer un mois de salaire blanc. Mais comme j’ai la tête dure et que j’aime mon pays, j’y allais quand même. À mon retour, quand je ratais l’avion, les journaux me donnaient la réputation de bad boy, ils m’accusaient de faire ci, de faire ça. Je n’ai jamais compris pourquoi. C’est parce que j’ai des tatouages ? Parce que je suis ami avec des rappeurs comme Akon ? Parce que j’aime les grosses voitures et les diamants ? Parce que je suis jeune et riche ?
Plutôt pour tes amendes pour conduite en état d’ivresse, les accusations d’insultes racistes envers un ramasseur de balle, tes crachats répétés sur des fans adverses (West Ham, Middlesbrough et Celtic Glasgow, ndlr) et plusieurs cartons jaunes et rouges.
Cracher, c’est quelque chose que j’ai regretté puisque même ma fille m’a demandé pourquoi je l’avais fait. Aujourd’hui, je suis plus mûr, si ça se repassait, je mettrais peut-être des coups de poing.
Tu ne regrettes pas alors ?
Je demande pardon aux gens que j’ai blessés, mais ce n’est pas parce que je crache sur quelqu’un que je suis un bandit. Quand je construis des hôpitaux avec ma fondation, tout le monde s’en fout. Il y a des joueurs qui ont fait bien pire que moi, qui ont couché avec la femme de leur frère ou celle d’un coéquipier et qui sont encore en Premier League.
Ce comportement t’a valu pas mal d’inimitiés en Angleterre. Ton ancien coéquipier, Jamie Carragher, a affirmé que tu étais le pire attaquant de l’histoire de Liverpool…
La différence entre Jamie et moi, c’est que je suis un joueur de classe mondiale, et lui une merde. Le genre de merde qui va pondre un livre dans lequel je serai encore cité. Moi, dans mon livre, il n’aura pas droit à une phrase : c’est un putain de loser.
Steven Gerrard t’attaque aussi dans son autobiographie. Tu lui as répondu : “Quand je sors de mon pays, on me vénère. Partout où il va à l’extérieur de Liverpool, il est détesté.” Tu crois vraiment à ce que tu dis ?
Et lui, quand il dit qu’El Hadji Diouf n’est pas un très bon joueur, il croit vraiment à ce qu’il dit ? J’ai porté la sélection nationale pendant des années, quatorze millions d’habitants sur mes épaules. Quand on gagnait, c’était grâce à moi, quand on perdait, c’était ma faute. Ce que je représente pour le Sénégal, il n’en représentera jamais le centième pour l’Angleterre. Il n’a jamais rien fait en Coupe du monde ou à l’Euro. Quand je suis arrivé à Liverpool, comme je faisais ce que je voulais, il trouvait que je ne respectais pas le club. Mais lui, il a carrément tué son équipe en glissant contre Chelsea. Si Liverpool n’ajamais gagné la Premier League, ce n’est pas un hasard. What goes around, comes around.
Avec six buts en 80 matchs, dont une saison vierge de buts, ton passage sur les bords de la Mersey reste un échec, non?
C’était mitigé, mais ça ne m’a pas empêché de rebondir à Bolton, dans un plus petit club, et de taper Liverpool quand je jouais contre eux.
À la base, les supporters de Bolton ne te voulaient pas et te sifflaient.
Où je suis passé, j’ai été sifflé. J’ai demandé au coach de me laisser quelques matchs, et je les ai retournés. Sentir l’adversité, ça m’a toujours motivé. Je me souviens d’un jour où le Sun m’a assassiné publiquement en sortant des photos de moi en boîte la veille d’un match. Sam Allardyce m’appelle : “Tu ne joues pas le prochain match.” Finalement je joue, je marque deux buts et je fais une passe décisive. Dans le vestiaire, il me dit : “Maintenant, tu sors et je paye l’alcool.”
Et quand Neil Warnock, l’entraîneur de QPR, dit de toi en 2011 que tu es “pire qu’un rat d’égout”, après que tu eus insulté son joueur Jamie Mackie qui venait de se fracturer le tibia, tu le vis comment?
Ça, en revanche, c’est des conneries de merde. Tu crois que je vais insulter un joueur qui vient de se casser la jambe ? Au moment de la blessure de Mackie, un de ses coéquipiers est venu me demander pourquoi je ne mettais pas la balle en touche. Je me suis pris la tête avec lui, je l’ai insulté, et comme je suis une cible facile, le type a balancé n’importe quoi à la presse, qui s’est empressée de relayer l’info. Quant à Warnock, à l’époque, j’avais répondu : “Warnock, qui le connaît ? En Afrique, on croit que c’est une marque de ketchup ou de moutarde” (rires). Maintenant, c’est l’un de mes meilleurs amis. Quand j’ai signé à Leeds, en 2012, j’ai découvert sa personnalité. Un soir, alors qu’on rigolait ensemble, il m’a avoué que même sa femme lui avait conseillé de ne pas me prendre. On partait de loin tous les deux, mais qu’est-ce qu’il m’a kiffé… Et les fans de Leeds, qu’est-ce qu’ils m’ont kiffé aussi !
Avant de partir à Leeds, tu fais un détour par les Glasgow Rangers. Encore une belle épopée…
Carrément. Surtout que je pars en Écosse en sachant que la moitié de la ville veut me couper la tête à cause de l’épisode du crachat. Je peux me prendre une balle n’importe quand… Le dernier jour du mercato, je me pose en hélicoptère sur le terrain d’entraînement des Rangers à 18 heures. J’avais jusqu’à minuit pour signer. Officiellement, personne n’était au courant de ma venue. Quand je suis sorti de Murray Park, il y avait cinq cents supporters qui chantaient comme des fous : “He spits ! He dances ! He scores ! El Hadji Diouuuf, El Hadji Diouuuuuf…” Glasgow, c’est plus que du foot, c’est une guerre de religion entre protestants et catholiques. À la première conférence de presse, un journaliste m’a demandé : “Vous savez qu’ici, le football, c’est affaire de Dieu?” J’ai répondu : “Je suis au courant. À partir d’aujourd’hui, je suis musulman protestant.”
Cela n’a pas dû plaire à l’autre moitié de la ville…
Ouais. À l’époque, j’avais un appart à Glasgow, que j’utilisais seulement pour les veilles de match. Les mecs m’ont carrément envoyé une bombe à domicile ! Après ça, toutes les lettres qui étaient postées chez moi étaient filtrées, la police a fait des réunions avec ma famille. Par précaution, j’ai laissé ma femme et mes enfants à Manchester. Je faisais quatre heures de voiture tous les jours pour venir à l’entraînement. À part ça, j’ai kiffé cette ville. C’était le summum du foot. Chaque déplacement, c’était quinze mille supporters au minimum. Liverpool, c’était extraordinaire, Leeds, magnifique, Lens vraiment bien, mais la meilleure ambiance, c’était Glasgow. J’y ai passé de sacrées soirées.
À Bolton, tu es associé en attaque à Nicolas Anelka. Une personnalité avec qui tu dois avoir pas mal de points communs, non ?
Nicolas, c’est une crème. Quelle gentillesse ! Et quelle timidité ! Quand je vois comment les journaux français l’ont tué… C’était une cible facile. Comme moi, il a dit pas mal de choses à des entraîneurs qui ont été sorties des vestiaires par des abrutis. Le linge sale doit se laver dans le vestiaire. Ce n’est pas un hasard si on s’entend bien. Il n’y a que les bonnes montres qui affichent la même heure.
Un coéquipier avec qui tu n’avais pas beaucoup de points communs, c’est Anton Ferdinand, que tu croises à Sunderland en 2008 et avec qui tu te bats à l’entraînement.
On ne s’est pas bagarrés, je l’ai corrigé, avant qu’on soit séparés. Je lui ai dit : “Viens, on va dans la salle de gym, je te punis.” Il n’a pas voulu. Je lui ai dit : “Tu fais tout comme ton frère : tu marches comme lui, tu manges comme lui, écris ta propre histoire.” Forcément, c’était compliqué au niveau de l’ambiance. J’ai passé six mois merdiques. On n’avait pas d’équipe. Il y avait des petits branleurs dans le groupe qui croyaient être les meilleurs alors qu’ils étaient nuls à chier. Anton Ferdinand, c’était le branleur numéro un.
En avril 2012, vous vous retrouvez tous les deux dans une boîte à Manchester, et ça dégénère…
À l’époque, je jouais à Doncaster, j’avais oublié l’embrouille avec Anton, j’étais passé à autre chose. D’abord, parce que Rio, c’était mon gars. On se voyait à Singapour, on sortait ensemble. Mais ce soir-là, après être allé au restaurant avec ma femme Valérie, je sors en boîte. Et qui je croise au Circle Bar ? Son petit frère. Il était avec neuf de ses potes. Je ne l’ai pas calculé. Ça a dû l’énerver, il est venu me tester. Je suis un homme, je sais me défendre. S’il y a un fou qui vient faire le fou, je vais lui montrer que je suis plus fou que lui. J’ai demandé à ma femme de sortir. Le premier de ses potes qui s’est approché un peu trop près de moi est reparti en courant. Vu que j’étais en train de boire du champagne, j’ai cassé mon verre et je les ai attaqués. J’en ai touché un à la gorge, le gars pissait le sang, il y en avait partout. En voyant ce que je lui ai mis, Anton a fui. Je suis resté, j’ai attendu la police. Ils ont regardé les caméras de surveillance, ils ont vu que je m’étais fait embrouiller à un contre neuf. J’en suis sorti indemne, avec une journée de garde à vue. Depuis, la boîte ne sert plus que des verres en plastique.
En parlant de boîtes de nuit, à quoi ressemble une fête avec toi et Akon ?
Akon, c’est mon pote, quelqu’un qui a la tête sur les épaules, qui est très timide aussi. Il n’est pas fou comme 50 Cent. Il fait sa vie, il est très généreux et il fait beaucoup pour le Sénégal. Comme moi, il a été nommé ambassadeur itinérant. Quand il est à Dakar, on passe de bonnes soirées, mais pas trop car on est tous les deux mariés.
Tu n’as pas de problèmes avec les femmes ?
Je suis marié depuis vingt ans et toujours avec ma femme, Valérie. Alors non, je n’ai pas problèmes avec les femmes. Ce sont les femmes qui ont un problème avec moi. Mais c’est normal, je suis beau gosse. Je suis un golden boy, je n’ai pas besoin d’habits pour être beau. C’est ça, la différence avec Pharrell Williams.
Quelle trace penses-tu laisser à la postérité?
Même si ma carrière se termine, El Hadji Diouf n’a pas fini de faire parler de lui. Or, ce qui compte le plus dans la vie d’une personne, c’est sa fin. Après le El Hadji Diouf footballeur, vous allez découvrir le El-Hadji Diouf businessman et politicien ! À Saint-Louis, tout le monde m’attend, ils veulent que je devienne maire. Avec mon portefeuille et mes connaissances, je vais en faire une des plus belles villes d’Afrique. Je vais changer les choses pour mon pays. Football ou politique : tout ce que je fais, c’est incroyable.
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