Publié le 10 Feb 2025 - 09:51
CONFIGURATION DE LA CLASSE POLITIQUE  

Une opposition divisée en mal de "Projet" fédérateur

 

Au Sénégal, le parti Pastef, porté par la popularité de Sonko et Diomaye, semble naviguer sans opposition significative depuis son arrivée au pouvoir, malgré quelques critiques isolées. L'opposition, minée par des divisions internes et des querelles d'ego, peine à se constituer en un contrepoids crédible. Malgré la récente formation du Front pour la défense de la démocratie, conduite par Khalifa Sall, elle peine à se réinventer et à proposer une alternative cohérente face à un régime Pastef en pleine ascension. Son histoire récente, marquée par des scissions et des difficultés de leadership, ajoute à la complexité de la situation.

 

Depuis neuf mois, le parti Pastef déroule librement son programme et ses réformes politiques sans véritables écueils. Malgré des critiques de l’opposition relatives à certains objets politiques, Sonko et Diomaye ne ressentent pas le poids d’une véritable opposition. Cette absence de forces de résistance face au régime s'explique par plusieurs facteurs.

Si la politique se définit comme un rapport de forces entre des entités distinctes, il n’en demeure pas moins que l’opposition, qui s’efforce de former un bloc pour faire face à la majorité présidentielle, semble dos au mur.

L’histoire récente de l’opposition sénégalaise est marquée par des alliances éphémères et des retournements spectaculaires. Les ennemis d’hier sont devenus des alliés de circonstance, sans pour autant surmonter leurs divergences profondes.

L’opposition peine à construire une cohésion durable, butant sur son sempiternel problème d’ego. Désunie et fragmentée, elle s’essaie à la formation d’un bloc qui pose plus de problèmes qu'il n'apporte de solutions. La majorité de ses actions est guidée par des logiques électorales plutôt que par une vision à long terme.

Pourtant, il y a deux jours, le Front pour la défense de la démocratie a été porté sur les fonts baptismaux. Selon le quotidien ‘’Les Échos’’, qui donne l'information, il regroupe ‘’beaucoup de partis politiques et de mouvements’’ de l'opposition sénégalaise. Ce nouvel organe entend ‘’faire face’’ au tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko. Les adhérents ont unanimement porté leur choix sur Khalifa Sall, leader de Taxawu Sénégal, comme coordonnateur. L'ancien candidat malheureux à la Présidentielle du 24 mars dernier a été ovationné par les membres lors de son installation. Toutefois, l'ancien régime était plus propice à incarner ce rôle d’opposition, ayant été détrôné par Pastef et devenant le deuxième parti après les élections. BBY devait naturellement occuper cette place, mais la scission entre Amadou Ba et Macky Sall a miné tout espoir de jouer ce rôle prépondérant. Dans la foulée, Macky Sall a annoncé la dissolution de l’une des plus grandes coalitions de l’histoire politique du Sénégal. Le dernier scrutin législatif de novembre a illustré ce hiatus entre les anciens frères APR. La rupture est consommée. Aux dernières heures, ils (Takku Wallu et Jamm Ak Jarin) ont tenté de former une intercoalition qui n'a eu aucun effet escompté dans la joute électorale.

Les divisions internes et les querelles fratricides ont accentué la désorganisation de l'opposition. Cette fragmentation de l'ancien régime est également accentuée par les poursuites judiciaires visant plusieurs figures comme Farba Ngom et Lat Diop, et par les accusations de détournement de deniers publics portées par le régime actuel.

Taxawu Sénégal : un mouvement en perte de vitesse

Le mouvement politique Taxawu Sénégal, dirigé par Khalifa Sall, traverse une période d’incertitude. Autrefois figure emblématique du paysage politique sénégalais, Khalifa Sall voit son influence s’éroder, tandis que son lieutenant, Barthélemy Dias, subit lui aussi des revers (sa destitution à la mairie de Dakar et à l’assemblée nationale). L'avenir de Taxawu Sénégal est ainsi incertain.

Ce mouvement, qui a joué un rôle essentiel dans l'adversité face à Macky Sall de 2014 à 2024, est aujourd'hui empêtré dans une division profonde. L'ex-député Abba Mbaye a publiquement critiqué Khalifa Sall et Barthélemy Dias, dénonçant une gestion opaque des investitures lors des Législatives.

Par ailleurs, le PDS, malgré sa capacité de résistance face à Macky Sall de 2012 à 2024, semble aujourd'hui volatil. Sa coalition avec l'ancien régime, Takku Wallu, a remis en cause ses anciens combats. Le leadership de Karim Wade, exilé à 7 000 km de Dakar, est contesté. Tandis qu’Abdoulaye Wade, âgé de 98 ans, a pris du recul. Ce qui a plongé le PDS dans une crise de leadership, avec des organes de décision qui ne se réunissent plus depuis 2019.

Pape Saër Guèye, secrétaire général national adjoint chargé de la diaspora, dénonce cette situation, appelant à préserver le patrimoine du parti.

D’autres figures de l’opposition, comme Thierno Alassane Sall et Abdoul Mbaye, peinent à incarner une alternative crédible. TAS, bien que disposant d’une large tribune médiatique, manque de popularité et de représentativité au niveau national. Abdoul Mbaye, quant à lui, a du mal à établir une base politique solide. Boubacar Kamara et Déthié Fall, qui semblaient initialement incarner une opposition forte, ont rapidement rejoint Pastef, prouvant ainsi que leurs divergences avec le régime actuel étaient mineures.

Pendant ce temps, Bougane Guèye Dany, figure atypique de l’opposition sénégalaise, s’est imposé un temps dans le paysage politico-médiatique grâce à son puissant groupe de presse. Son engagement politique, d’abord perçu comme une alternative crédible, s’est toutefois heurté à la réalité des urnes. Lors des législatives, son camp n’a obtenu que trois sièges de députés, une contre-performance d’autant plus marquante qu’il était investi en 11e position.

Malgré un bref passage en prison, il n’a pas su capitaliser sur cet épisode pour renforcer sa popularité. Ses nombreuses sorties médiatiques, ponctuées de révélations parfois hasardeuses et peu étayées, ont souvent desservi son image, le réduisant progressivement à une figure secondaire de l’opposition. À force de surenchère et de discours jugés inconsistants, le leader du mouvement Gueux sa Bopp s’est retrouvé en décalage avec une scène politique de plus en plus polarisée, où la crédibilité et la constance jouent un rôle déterminant.

Le régime Pastef : une légitimité incontestable

Affronter le nouveau régime incarné par Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko requiert du cran. Ces derniers jouissent d’une légitimité incontestable, ayant recueilli près de 55 % des suffrages. Aimés par les masses populaires, ils bénéficient d'une assise politique forte sur l’ensemble du territoire. Il est extrêmement difficile pour des forces de contrepouvoir de les discréditer aux yeux de l'opinion, d'autant plus qu'ils n'ont pas encore commis d'erreurs majeures.

Lors des dernières Législatives, une large coalition d'opposition a vu le jour, incluant l'APR et Rewmi. Nommée Bloc des libéraux et démocrates (BLD)-Takku, cette plateforme était composée de 40 membres, principalement des partis issus du PDS. Malgré cette unité apparente, Pastef a dominé le scrutin, battant ses adversaires à plate couture.

Ainsi, l’opposition sénégalaise semble à la croisée des chemins. Entre luttes d'ego, absence de projet structurant et division interne, elle peine à constituer un véritable contrepoids face à un régime qui déroule, pour l'instant, son programme sans entraves significatives. Elle est aujourd’hui confrontée à un défi de taille : se réinventer pour incarner une alternative crédible face à un régime Pastef en pleine ascension.

Pour y parvenir, elle devra surmonter ses divisions internes, proposer un projet de société cohérent et retrouver une légitimité auprès de l’électorat.

L’opposition sénégalaise paraît prisonnière d’une logique électoraliste à court terme. La majorité de ses actions sont guidées par des considérations tactiques plutôt que par une vision à long terme pour le pays. Cette absence de projet de société cohérent contraste avec la dynamique du Pastef, qui a su capitaliser sur les aspirations populaires pour imposer son programme.

La création du Front pour la défense de la démocratie est un premier pas, mais il reste à voir si cette initiative pourra fédérer les différentes mouvances de l’opposition et leur permettre de retrouver une place centrale dans le paysage politique sénégalais.

En attendant, le Pastef continue de dérouler son programme, profitant de l’absence d’un contrepouvoir fort pour consolider son emprise sur le pays.

DE L’INDÉPENDANCE  À NOS JOURS

Les multiples dynamiques de l’opposition

Depuis l’indépendance, l’opposition sénégalaise a connu plusieurs dynamiques, oscillant entre cooptation et confrontation avec le pouvoir en place. Léopold Sédar Senghor a longtemps régné sans véritable adversité sous le régime du parti unique, avant qu’Abdoulaye Wade ne vienne bouleverser cet équilibre en 1974, avec la création du Parti démocratique sénégalais (PDS), première formation d’opposition reconnue. Ce n’est toutefois qu’en 1981, après la démission de Senghor et l’accession d’Abdou Diouf à la présidence, que le pluralisme politique s’est réellement installé.

L’opposition du PDS sous Diouf a été marquée par une stratégie ambivalente : tantôt intégrée au gouvernement, tantôt en rupture totale. Cette dynamique a paradoxalement renforcé la bipolarisation du paysage politique, préparant ainsi la victoire de Wade en 2000, porté par une coalition regroupant toute l’opposition contre le Parti socialiste au pouvoir depuis 40 ans.

Les libéraux ont ensuite bénéficié d’une période de relative stabilité, face à un Parti socialiste affaibli par sa défaite.

Toutefois, dès 2009, la coalition Benno Siggil Senegaal a annoncé les premiers signes d’une alternance, affaiblissant Wade à la veille de la Présidentielle de 2012. Dans l’intervalle, Idrissa Seck, longtemps pressenti comme l’héritier naturel du wadisme, a tenté d’imposer son leadership, mais a souffert d’un positionnement erratique.

 Macky Sall, quant à lui, a su tirer profit de la dispersion des ambitions, notamment celles de Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng, pour s’imposer en 2012 contre Wade et devenir le quatrième président du Sénégal.

Son premier mandat a été marqué par une opposition incarnée principalement par Idrissa Seck et Khalifa Sall, ce dernier ayant affirmé ses ambitions dès les élections locales de 2014, où il a infligé un premier revers au régime. Mais, à l’instar de Karim Wade, Khalifa Sall a été écarté de la Présidentielle de 2019 après une condamnation judiciaire.

Douze ans plus tard, l’histoire s’est répétée sous une autre forme : Ousmane Sonko, poursuivi en justice et empêché de se présenter, a réussi à imposer Bassirou Diomaye Faye comme candidat de substitution, signant ainsi une victoire retentissante en 2024.

AMADOU CAMARA GUEYE

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