Inde et Chine, prêts à casser des briques ?
À chaque mercato, la même rengaine : la bataille pour les meilleurs joueurs par le haut du panier européen et, ici ou là, une surprise. Ici, un trentenaire partant en retraite anticipée et exotique ; là, un jeune préférant la valise de billets à la progression sportive. Ces dernières années, les tentations venues d'Orient ont été grandes. Et cet été ?
‘’Avec le ralentissement de l'économie et la surchauffe du marché immobilier, les investissements (chinois, ndlr) dans le football vont très certainement diminuer.’’ En 2010, Goldman Sachs fait preuve d'un flair plus aiguisé lorsqu'il s'agit de spéculer sur l'effondrement des subprimes qu'elle a elle-même refourgués à ses clients que pour prévoir le futur du football chinois. Six ans après le rapport The World Cup and Economics 2010, le 30 juin 2016, le plafond est percé : le Shanghai SIPG pose près de soixante millions d'euros sur la table pour récupérer Hulk, ses gros cuissots et ses vingt-neuf printemps. Le Zénith compte les billets et laisse filer sa star, sourire en coin. Un mois et demi plus tard, et 5 000 kilomètres plus à l'ouest, c'est au tour des Kerala Blasters de lâcher une bombe : Cédric Hengbart rempile pour une nouvelle saison d'ISL. Mouais. Clairement, les deux géants aux pieds carrés ne boxent pas dans la même catégorie. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont pas les mêmes armes.
L'incroyable Hulk vs la légende de Zokora
328 millions d'euros. L'hiver dernier, la Chine explose les compteurs du mercato, dépassant même de 80 millions la richissime Premier League au classement des championnats les plus dépensiers du mercato hivernal. Alex Teixeira pour cinquante millions d'euros, Jackson Martínez pour 42 ou Gervinho pour 18 millions, les chiffres volent plus haut que les rêves. Cet été, moins, mis à part Hulk. Les blases principaux ? Graziano Pellé et Papiss Cissé. Et encore un Martinez, mais il ne se prénomme que Roger et n'a pas encore connu l'Europe, malgré la drague d'Aulas et des débuts encourageants avec sa sélection colombienne lors de la Copa América Centenario cet été.
Sinon, il y a Anthony Ujah, Alan Kardec, Malick Evouna, Eran Zahavi, Geuvânio, Hong Jeong-ho, et c'est tout. La raison de cette accalmie relative est simple, puisque la ‘’période d'enregistrement ’’ estivale, ouverte de mi-juin à mi-juillet, n'est qu'un mercato de mi-saison pour la Chine. À l'hiver les grandes manœuvres, à l'été les ajustements. Il n'empêche : terminé Anelka ou Drogba venus palper avant de passer à la retraite. Désormais, de bons joueurs dans la force de l'âge peuvent signer en Chine. Un cap auquel n'est pas encore parvenu l'Inde.
Pour la troisième saison de sa bien nommée Hero Indian Super League, les guests du sous-continent sont décevants. Si l'inauguration en 2014 avait ramené quelques beaux noms – Del Piero, Pirès, Trezeguet, Ljungberg, Capdevila... – en 2016, c'est plus poussif. Il y a bien Eidur Guðjohnsen, star nationale de la sensation fraîcheur de l'Euro, au FC Pune City, mais il vient de Molde. Ou Florent Malouda, de retour au Delhi Dynamos après une pige en Égypte. Il y a aussi Diego Forlán au Mumbai City FC, dont les retrouvailles avec Peñarol ont tourné court, John Arne Riise, retraité depuis deux mois au moment de signer avec le Chennai FC, et Didier Zokora, qui fait des infidélités à son Pune City pour filer au North East United FC de Guwahati. Sans oublier Hengbart, donc. Pour le reste, une flopée de seconds couteaux émoussés : Dudu Omagbemi, attaquant nigérian venu du FC Haka en deuxième division finlandaise ; la ‘’légende de Flamengo’’ Leo Moura ; ou ‘’General Kadio’’ , cet Ivoirien passé par l'Arménie, le Kazakhstan et la Finlande avant d'atterrir au Kerala Blasters.
‘’Dictature démocratique populaire’’ et économie de marché
Le football chinois aurait donc passé une vitesse que la Tata Nano est incapable d'atteindre. Tout simplement parce qu'il y a ‘’une différence fondamentale entre l'Inde et la Chine’’, relève Stéphane Audry, fondateur du cabinet de conseil en marketing sportif à consonance indienne Mediaghat : ‘’L'Inde est une démocratie ! Il y a 750 millions de votants et un système fédéral qui empêche toute centralisation.’’ Traduction ? Quand le président chinois Xi Jinping, fan de foot, dévoile un plan en cinquante points pour faire de son pays une superpuissance du ballon rond, les acteurs économiques du pays, intimement liés au régime, suivent et financent le projet du boss. Un projet qui dépasse largement le simple achat de joueurs, pour s'aventurer dans les acquisitions de clubs européens (Inter, Nice, Sochaux, Aston Villa, Espanyol...), dans le sponsoring de championnats (la Liga 2 portugaise), ou encore la création de 50 000 écoles de football dans ce qui est devenu le ‘’berceau de la forme la plus ancienne de football’’. Oui, le plan chinois prévoit aussi une petite relecture historique.
Pendant ce temps-là, l'Inde doit composer avec les fonds privés, donc forcément plus limités. Alors IMG, Reliance et Star TV, les initiateurs du projet ISL, proposent une ‘’approche bollywoodienne, quelque chose plus proche de l'entertainment que du sport’’ pour Stéphane Audry. Si la formule proposée connaît un certain succès – 27 000 spectateurs de moyenne dans les stades –, elle apparaît aussi hors sol, déconnectée de la base, quand la Chine peut mettre le paquet pour faire évoluer toutes les strates de son football. Pourtant, cette saison pourrait bien amorcer un tournant important dans le football indien. Elle devrait en effet être la dernière à voir coexister l'Indian Super League et la traditionnelle I-League côte à côte.
En octobre 2017, l'Inde accueillera la Coupe du monde U17, puis l'organisation des compétitions domestiques sera pyramidale, avec système de promotions et relégations pour les deuxième et troisème divisions – en attendant l'ouverture de l'ISL au plus haut de la hiérarchie du football indien. L'objectif : un développement du football de la base au sommet de la pyramide, pour trouver ‘’les cinquante Dhorasoo et le Zidane statistiquement présents en Inde’’, selon les calculs de Stéphane Audry. Alors, enfin, l'Inde et la Chine connaîtront dans le football le destin prédit aux BRIC (pour Brésil, Russie, Inde, Chine) lors de l'apparition de l'acronyme des puissances de demain. C'était en 2001. L'inventeur de la formule ? Jim O'Neill, économiste à la Goldman Sachs.
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