Publié le 27 Aug 2022 - 21:54
IBOU DRAMÉ SYLLA (POÈTE, PHILOSOPHE)

“Les productions des jeunes écrivains laissent à désirer’’

 

L’éminent poète Ibou Dramé Sylla a tiré à boulets rouges sur ses jeunes pairs écrivains. Dans un entretien accordé à ‘’EnQuête’’, il a indiqué que la plupart de productions littéraires laissent à désirer. Même s’il note que certains écrivains de sa génération sortent du lot, il estime qu’ils n’arrivent pas à la cheville des anciens. Par ailleurs, le professeur et docteur en philosophie - spécialité philosophie africaine - évoque souvent la mort. Il nous en parle dans cette interview. Il a parlé également de sa production livresque et des questions liées à l’enseignement. Il a livré une recette pour inciter les jeunes à lire.

 

Vous êtes philosophe. Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture de poèmes ?

Je suis philosophe avant même d’arriver en classe, parce que j’aime vraiment agiter des questions depuis ma tendre enfance. J’avais beaucoup lu, mais par concours de circonstances. À l’école élémentaire déjà, ma défunte maman  m’a même une fois frappé jusqu’à me blesser à la tête, parce que je n’arrivais pas à lire le titre de la visite de l’inspecteur dans ‘’Sidi et Rama’’. Et le lendemain, elle avait prévu de me frapper encore. Il a fallu l’intervention de ma grand-mère pour qu’elle m’accorde le pardon.  Au-delà de ça, j’ai rencontré un professeur au collège, le défunt Malamine Camara, journaliste de son état. Il m’a beaucoup aidé dans la lecture. En lisant, à un moment donné, je me suis mis à écrire sur des bouts de papier. J’avais entretenu d’abord un journal intime. Avec le temps, j’ai commencé ensuite à écrire des poèmes. Je le faisais souvent quand j’avais un vide. Ce fut le cas quand j’ai perdu ma maman.

Donc, mes premiers textes poétiques remontent entre la classe de 5e et celle de 4e. Au lieu d’aller aux soirées dansantes, j’étais là à lire. Et parfois,  j’accompagnais mes amis, mais avec un livre dans la poche. Une fois là-bas, je ne dansais pas, parce que je suis nul. Je lisais. 

Parlez-nous de votre bibliographie.

J’ai publié deux livres. Le premier est un recueil de poèmes titré ‘’Les merveilles de Ndao Jaalo’’ (2018). Il évoque le thème de la mère protectrice et du bien-aimé. Le deuxième livre, sorti en 2021, s’intitule ‘’Méditations aurorales’’. J’y  parle de la femme à l’âge jeune. C’est souvent sous l’angle de l’amour et de la beauté qui a exploité. Il y aussi la description des actes héroïques posés par les femmes, surtout celles qui comptent pour nous. Ici, j’ai été plus libre, parce qu’il a aussi été question d’évoquer la liberté, la joie, la paix, la mort, la lecture, le livre même. Ce livre a été publié après la soutenance de ma thèse qui a eu lieu en décembre 2020. J’ai aussi d’autres projets en cours.

Au-delà des écrits personnels, j’ai participé à l'écriture de deux autres livres collectifs. Il s’agit de ‘’Note et soupir’’ réalisé avec Joseph Corréa - un ami qui vit en France - et  d’‘’Amadou Tidiane Bâ à jamais dans les cœurs’’, pour rendre hommage à un ami qui est décédé. 

Qu’est-ce que le livre peut apporter à celui qui en fait un usage ?

Ce que le livre peut apporter, au-delà même du voyage dans l’espace, c’est, comme dirait René Descartes, de dialoguer avec les esprits éminents du passé. Mais la lecture permet aussi à l’homme d’élargir sa vue sur la situation que la personne est en train de vivre. Donc, un lecteur est toujours quelqu’un qui a un capital intellectuel ou même culturel qui pourra vraiment lui permettre d’appréhender sa propre situation  et celle de ses contemporains, mais aussi avoir la possibilité d’anticiper parfois sur beaucoup de choses. 

Qu’est-ce qu’il faut faire pour inciter les jeunes à aller dans les bibliothèques ?

Le monde est en train de subir des mutations profondes. Celles-ci affectent le comportement des gens. Aujourd’hui, les gens sont plus à l’aise avec leur téléphone portable. Il y a d’abord le livre, la radio, la télévision, puis le téléphone portable a fait irruption. Au lieu de se concentrer, les jeunes préfèrent se connecter, faire le tour des pages people parfois, et glaner des faits divers.  Je le dis à mes élèves. Il est rare de voir un élève prendre un livre, se concentrer pendant dix minutes sur la lecture. Il sera toujours diverti par un bruit, par une notification sur son smartphone. Maintenant, pour amener les gens vers les bibliothèques, il faut une politique de sensibilisation, mais aussi d’émulation saine. C’est-à-dire, quand on mettra des prix au niveau des bibliothèques, on aura des jeunes qui s’orientent vers la lecture. On voit que des gens organisent des séances de danse où des récompenses sont données aux jeunes, alors que les bibliothèques sont là. Tout peuple qui veut assurer sa survie, en misant sur la jeunesse, doit vraiment misé sur le capital cognitif, c’est-à-dire sur la matière grise de cette jeunesse-là pour que la perpétuation du patrimoine culturel puisse être assurée et préservée.

Ibou Dramé Sylla, en tant que poète, comment jugez-vous les jeunes écrivains ?

Je me place dans la catégorie des jeunes. Nous enregistrons beaucoup de productions, mais certaines laissent à désirer. Il faut le dire pour s’en désoler. Mais si beaucoup de livres n’accrochent pas, il y en a d'autres qui sortent du lot de manière extraordinaire. Il y a, par exemple, ceux de Mohamed Mbougar Sarr, Diary Sow, Diénaba Sarr - qui a la plume de Mariam Ba - et notre regretté Aminata Sophie Dièye, connue sous le nom de Ndèye Takhawalou à travers ses chroniques. Cette dernière est peut-être dans la classe de nos aînés, mais elle est un bel exemple pour cette jeune génération qui doit d’abord comprendre qu’avant de produire, il faut lire avant de donner, il faut d’abord recevoir. Il faut aller dans les bibliothèques et librairies, se cultiver pour pouvoir aller vers l’écriture. 

Mais est-ce que les jeunes talents arrivent au niveau des anciens ?

En toute vérité, nous n’arrivons même pas à la cheville de Cheikh Anta Diop, de Léopold Sédar Senghor ou Mariama Ba ou de Cheikh Hamidou Kane. Parce que, comme je l’ai dit, ils sont nombreux les livres qui ne captent même pas. C’est-à-dire, ce que les critiques littéraires appellent les pactes d’alliance où le contrat entre le lecteur et l’écrivain est souvent faussé depuis le début. Prenons l’exemple d’’Une si longue lettre’’ de Mariama Ba ; l’intitulé seulement donne envie d’aller jusqu’au bout. ‘’L’aventure ambiguë’’ aussi, en décrivant ne serait-ce que la vie de Samba Diallo qui a été frappé par Maître Thierno, non pas parce qu’il n’avait pas maitrisé la sourate qu’il devrait réciter ce jour-là, mais parce qu’il avait mal prononcé un mot, attire l’attention. Ce qui fait qu’on s’engage vraiment à le lire. Aujourd’hui, dans certains livres, on ne comprend même pas où l’auteur veut conduire le lecteur.

L’enseignement de la littérature est plus prisé que celui technique. Ce qui amène beaucoup de responsables à faire la promotion de l’enseignement technique. Mais la technique devrait être plus importante ?

Un contact a partagé cette idée en faisant un post sur Facebook. Il conseillait aux nouveaux bacheliers de s’orienter vers l'entrepreneuriat plutôt que de faire anthropologie, philosophie et histoire. Je n’avais pas l’habitude de commenter les post, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Il ne faut pas penser que la philosophie, l’anthropologie ou l’histoire conduit irréversiblement vers l’échec. Un bon historien, un bon philosophe ou sociologue  s’en sortira toujours. Il y a des débouchés aussi bien dans l’enseignement qu’ailleurs. Mais malheureusement, on pense que le destin de quelqu’un qui fait histoire à l’université, c’est être dans les salles de classe dans les zones reculées. Alors qu’on peut être historien ou sociologue et travailler dans les organismes internationaux comme l’Unesco, les Nations Unies. Dernièrement, le département de Philo, par le biais de son club, avait organisé une activité ‘’Qui sont ces philosophes qui ne sont pas dans les classes’’. Pour montrer que le background culturel (dans les Lettres et Humanité) aide à être très à l’aise dans un monde professionnel où la technologie est mise en avant.

Qu’est-ce qui explique le manque de professeurs de philosophie ?

Avec l’avènement d’Abdoulaye Wade, il y a eu beaucoup de collèges et lycées de proximité, alors que du temps de Senghor et même de Diouf, les lycées étaient dans les grandes villes. Et là, il n’y avait pas de problème de profs de philo. Aujourd’hui aussi, dans tout le pays, nous sommes quelque 17 millions de Sénégalais, mais il n’y a qu’un seul département de Philosophie. On peut compter du bout des doigts ceux qui vont faire leurs études ailleurs et revenir servir au Sénégal.

Quels sont vos projets dans le long et court terme ?

Je suis dans un projet avec un ami sur un livre parlant encore de la mort sur un mode épistolaire. L’état d’exécution du projet est de 95 %. J’ai déjà fait une réflexion sur ce sujet. Ma thèse de doctorat porte sur la question de la mort en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, les populations ont une certaine perception de la mort. Il y a surtout la banalisation même du fait de mourir. Je viens de terminer l’ouvrage de Léon Tolstoï, ‘’La mort d’Ivan Ilitch’’. J’ai l’impression qu’il écrit à notre société actuelle. Un agent judiciaire décède, avant qu’on l'enterre, on pense à le remplacer. C’est des promotions au niveau de l’institution judiciaire. Comme qui dirait : les hommes meurent, les institutions demeurent. Mais quand même, par respect pour la mémoire de la personne, on doit vraiment observer le deuil avant de penser à aller jouer au billard, etc.

Aujourd’hui, malheureusement, au Sénégal et partout dans le monde, la même réalité est là. Dans mes projets, je prévois un livre sur la mort. Je pense aussi à me lancer dans le roman. J'ai commencé une nouvelle depuis 2014.  Je pense à mieux l'étoffer et en faire un roman. Je ne sais pas si je vais réussir, en tant que philosophe de formation, à être à l'aise dans la création romanesque. 

BABACAR SY SEYE

 

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