Pourquoi le Conseil constitutionnel va se déclarer incompétent !

En attendant la décision des ‘’Sept Sages’’, des sources confient à ‘’EnQuête’’ que la haute juridiction va se déclarer incompétente, à propos du recours des députés de l’opposition dans le dossier relatif à la levée de l’immunité de leur collègue Ousmane Sonko. Elles donnent les raisons d’une incompétence plus que probable.
Que de confusion ! On serait tenté de le croire, à entendre certaines sources proches du Conseil constitutionnel. A les en croire, les experts, universitaires et hommes politiques sénégalais qui soutiennent que la saisine du Conseil constitutionnel, par des députés, peut suspendre une procédure judiciaire devant les juridictions de droit commun, ont tout faux. La haute juridiction, rapportent nos interlocuteurs, va déclarer que le vote d’une résolution par l’Assemblée nationale n’est pas susceptible de recours.
‘’Si le vote d’une résolution constitue une des voies d’affirmation du Parlement, lui permettant d’exercer une expression distincte de la procédure législative, il y a lieu de préciser que la résolution ne remplit pas les caractéristiques d’une loi au sens juridique du terme. Elle est donc insusceptible de recours devant le Conseil constitutionnel’’, ont-ils précisé. D’après les explications, les gens feraient une confusion qui découlerait d’une mauvaise interprétation des dispositions de la Constitution du 22 janvier 2001 modifiée et celles de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.
Avec le recours des députés de l’opposition, deux points essentiels vont être sur la table. D’abord, il y a la question du délai de recours. Sur ce point, la source rappelle que le Conseil peut être saisi d’un recours visant à déclarer une loi inconstitutionnelle, soit par le président de la République dans les six jours francs qui suivent la transmission à lui faite de la loi définitivement adoptée, soit par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, dans le même délai.
Dans le premier cas, il s’agit d’un délai d’attente pour le chef de l’Etat. Dans le deuxième, il s’agit d’un délai d’action.
En effet, renseigne la source, ‘’la saisine du Conseil constitutionnel par le président de la République dans les six jours francs qui suivent la transmission à lui faite de la loi définitivement adoptée prévue par l’article 74 de la Constitution, a pour seul but de permettre au Conseil constitutionnel de vérifier la conformité de la loi votée avant d’être promulguée. Il serait tout aussi incohérent que la promulgation précède le contrôle exercé par le Conseil… Il relève de la Constitution qu’une décision déclarant une loi inconstitutionnelle fait obstacle à sa promulgation’’. Et de préciser : ‘’La suspension dont il s’agit, ici, n’est pas celle de la procédure devant les juridictions en matière d’exception d’inconstitutionnalité, mais plutôt le délai de la promulgation qui est la formalité notariale dévolue à la loi. Selon Carré de Malberg, ‘la promulgation atteste successivement l’existence de la loi, son contenu et enfin la réunion des conditions qui sont exigées pour son entrée en fonction’’.
La question des délais de recours
Pour ce qui est du recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, les ‘’Sept Sages’’ vont devoir considérer que le délai de six jours accordé aux parlementaires est un délai d’action ayant une portée politique.
‘’En effet, accorder le droit de saisine du Conseil constitutionnel à un dixième des députés, est une sorte de consécration des droits de l'opposition parlementaire à agir devant le juge constitutionnel pour contester une loi adoptée par la majorité parlementaire. Depuis sa consécration, le recours des députés au Conseil constitutionnel a toujours été actionné par la seule opposition politique’’, rapportent nos sources.
Par ailleurs, relèvent-elles, le Conseil va aussi largement revenir sur son délai d’action pour mettre un terme à la spéculation. ‘’Conformément à la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel, celui-ci, en matière constitutionnelle, se prononce dans le délai d’un mois, à compter du dépôt du recours par voie d’action ou de la saisine par voie d’exception. Ce délai est ramené à huit jours francs, quand le gouvernement en déclare l’urgence ou s’il s’agit de statuer sur la recevabilité d’une proposition de loi ou d’un amendement parlementaire’’.
Au-delà des questions de délai, le Conseil devra aussi s’expliquer sur le recours. D’ores et déjà, nos sources affirment : ‘’Le Conseil constitutionnel est exclusivement compétent pour apprécier la conformité des lois et des engagements internationaux à la Constitution. Il ne peut statuer que sur des actes entrant dans son domaine de compétence.’’
Cela dit, la juridiction a toujours rappelé les actes susceptibles de recours devant elle. En matière de contrôle de constitutionnalité, informe-t-on, le Conseil exerce en grande partie un contrôle préventif. ‘’En effet, le contrôle préventif a lieu à un moment où l’acte soumis à l’examen du Conseil n’est pas encore définitif, où il n’a donc pas encore d’effet juridique. C’est, en d’autres mots, un contrôle qui permet d’éviter qu’un acte inconstitutionnel ne rentre dans l’ordre juridique. Il s’agit principalement de la loi, qui est une disposition normative et abstraite prise par une délibération du Parlement posant une règle juridique d’application obligatoire. Elle a un caractère général et impersonnel’’.
Distinguo entre loi et résolution
Selon le spécialiste, il faut donc bien distinguer loi et résolution, qui est un acte par lequel l’Assemblée nationale émet un avis sur une question déterminée. ‘’Le vote d’une résolution constitue une des voies d’affirmation du Parlement, lui permettant d’exercer une expression distincte de la procédure législative. La résolution, ne remplissant pas les caractéristiques d’une loi au sens juridique du terme, est insusceptible de recours devant le Conseil constitutionnel’’.
Mieux, affirme la source, le Conseil constitutionnel sénégalais a déjà considéré, dans sa décision n°9/C/2017 du 8 décembre 2017, ‘’qu’aucune disposition, ni de la Constitution ni de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 (…) ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur le recours par lequel les requérants lui ont déféré, non pas une loi, mais une "décision" (…) adoptée par l’Assemblée nationale (…) en application de son règlement intérieur : que, par suite, il y a lieu de se déclarer incompétent’’.
MOR AMAR