Publié le 11 Jan 2015 - 23:07
INTERVIEW-MOHAMED TALBI

"L'islam est né laïc" 

 

L'auteur tunisien de "Ma religion c'est la liberté" n'en démord pas : le Coran est porteur de modernité et de rationalité, mais son message a été altéré par les hadiths et la charia. Rencontre avec le doyen de la pensée critique musulmane, Mohamed Talbi. Une interview parue dans "Jeune Afrique" n° 2793 (20-27 juillet 2014.

 

Vous avez toujours dit que votre seule référence était le Coran.

Oui. Je ne crois qu'au Coran et pas à la charia. Je ne retiens comme hadith vrai que celui qui concorde avec le Coran. Par exemple, ce hadith : "Le musulman est celui qui ne porte aucun préjudice aux autres ni par sa langue ni par sa main." C'est un propos qui définit exactement le Prophète, homme pacifique s'il en est. Et qui est en parfaite adéquation avec le Livre, lequel dit, en quelque sorte : "Foutez-vous la paix mutuellement." Autre exemple, on a rapporté au Prophète cette histoire : "Nous avons vu unetelle fricoter avec un homme." Et le Prophète de répondre : "Pourquoi ne l'avez-vous pas couverte de votre manteau ?" Là, j'achète.

C'est un hadith qui converge avec l'islam tel que je le conçois : porté sur la confiance mutuelle et le respect de l'autre. Pour le reste, je dis que seul le Coran oblige. La charia est œuvre humaine. Il faut lutter contre elle par la critique, la rénovation de la pensée, la revendication des droits de l'homme et la laïcité.

La laïcité ?

Oui. L'islam est né laïc. "Nulle contrainte en matière de religion." Le Coran est le seul livre sacré qui dise cette phrase, si claire, si laïque. Chacun pratique la religion qu'il veut. L'État n'a pas à s'immiscer dans les affaires religieuses. Il a une seule fonction : créer une atmosphère de paix pour tous. Or qu'ont fait les États islamiques ? Ils ont exercé la contrainte religieuse. Et le Coran dit non aux États islamiques.

Du temps du Prophète, il y avait des juifs et des chrétiens. Mohammed n'y voyait pas d'inconvénient. On ne l'a jamais vu courir dans les rues armé d'un gourdin, demandant "qui est chrétien ?" pour asséner des coups. C'est le conservatisme arabe qui a triomphé en la matière, et on a attribué cette dérive à l'islam. L'islam est venu apporter la modernité et la rationalité. Le Coran, c'est l'appel à la raison, donc à la laïcité.

Nous avons pour nous le Coran, les islamistes ont pour eux une charia de fabrication humaine. Nous avons un texte fondateur de l'islam, ils ont une série de commentaires rédigés au IIe siècle de l'hégire (VIIIe siècle ap. J.-C.). Jusque-là, les musulmans avaient vécu sans charia et s'en portaient très bien. Leur malheur a commencé à partir du moment où ils ont élaboré une loi islamique au profit de despotes désireux avant tout de commander et de pouvoir tuer légalement. La charia n'est rien d'autre que cela.

Se référer au Coran veut-il dire observer toutes ses recommandations et obligations sans possibilité de les faire évoluer ?

Pas du tout. Le Prophète lui-même avait modifié certaines dispositions durant les vingt premières années, en disant "celle-ci est bonne" ou bien "aujourd'hui, je vous donne une meilleure recommandation". La lecture du Coran doit être vectorielle. D'ailleurs, le mot "charia" n'existait pas à l'époque. On utilisait le mot "hidaya", "orientation". Et l'orientation est dynamique par définition. Il est dit : "Le Coran oriente vers ce qui est le plus droit." Dans la vie humaine, l'orientation est toujours à parfaire et il faut tenter d'aller vers le plus droit, selon son époque et son temps.

Il faut actualiser certaines lois coraniques. C'est dans l'esprit du Livre que de corriger ce qui est perfectible.

Peut-on, par exemple, revenir sur la loi coranique concernant l'héritage ?

Bien sûr. Il faut l'actualiser. C'est dans l'esprit du Coran que de corriger ce qui est perfectible. Il nous dit sans cesse d'aller plus loin. La société doit légiférer pour plus de justice en matière de droits de l'homme et de la femme. La loi doit être constamment adaptée à chaque lieu et à chaque époque. Ce qui est bon aujourd'hui ne le sera pas forcément demain.

Et la lapidation ?

Elle n'existe pas dans le Coran. Elle fait partie de la tradition juive. Aucun verset n'en parle. La lapidation est une "perle" de la charia. L'appliquer est une aberration. Ce serait comme si un juge légiférait selon une loi en disant qu'elle n'existe pas dans le code mais qu'elle est toujours valable.

La polygamie ?

Le Coran ne l'a pas inventée. Loin de là. Il l'a trouvée, et elle était illimitée. Elle était en usage surtout en Afrique. À tel point que même l'Église a permis aux Subsahariens de multiplier les épouses. Idem en Perse et en Inde. Le Coran a limité et conditionné la polygamie. Et notre Bourguiba a très bien vu les choses en l'interdisant. En effet, comment être juste avec trois ou quatre femmes, comme le recommande le Coran ?

Peut-on avoir un regard critique sur l'islam, d'une manière générale ?

Oui. C'est ce que nous faisons. Cependant, le regard qui prétend que le Coran n'est pas vrai, ou qu'il n'est pas authentique, n'est pas admissible. À partir du moment où l'on déclare l'irrecevabilité de la révélation, on cesse d'être musulman. Parce que l'islam commence par cette phrase : "Ceci est le Livre qui ne souffre aucun doute." Le musulman est celui qui ne doute pas du Livre.

Le musulman croit que le Coran est la parole de Dieu. Vous pouvez être en désaccord, dire que ce texte est écrit, fait de fragments, a été forgé au cours de l'Histoire, etc. Vous êtes libre de quitter l'islam. Je recommande même à qui se sent mal à l'aise dans cette religion ou doute de la révélation de ne pas être musulman. Celui qui ne trouve pas ses repères en islam, qu'il en sorte !

Mais il risque la mort pour apostasie...

Comme la lapidation, l'apostasie n'existe pas dans le Coran. Elle a été créée par la charia pour permettre aux tyrans de sévir et d'assassiner. Durant l'époque des califes, on pouvait être ce qu'on voulait, à condition de ne pas se rebeller contre le souverain. Mais à partir du moment où l'on se rebelle, on peut vous trouver n'importe quel prétexte pour vous tuer.

Peut-on être musulman et ne pas pratiquer ?

Non. Si on rejette la pratique, on rejette le Coran et on n'est donc plus musulman. Dieu dit : "Cette communauté qui est la vôtre est une et je suis votre Seigneur. Adorez-moi !" Les obligations religieuses font partie de la foi. Si l'on ne pratique pas par omission ou par faiblesse, cela veut dire qu'on croit encore aux obligations. Cette désobéissance est censée être provisoire. Cependant, si l'on ne pratique pas par principe, il s'agit d'un rejet. L'islam est foi et pratique. Quitter la pratique, c'est quitter la foi.

Il y a ceux qui confondent rituel et foi.

À l'inverse, tout musulman qui prie par contrainte ne prie pas. Une pratique réduite à un rituel sans spiritualité n'est pas l'islam. Ce sont des gestes sans valeur.

Ce qui se passe actuellement dans le monde musulman ne vous rend-il pas pessimiste ?

Si je n'étais pas confiant dans l'avenir de l'islam, est-ce que j'aurais pris la plume pour écrire ? On n'écrit pas quand on est pessimiste. Je soutiens que l'islam est fatalement condamné à revenir à sa pureté originelle.

Vous parlez beaucoup de liberté...

Tout ce qui tue la liberté tue l'homme. Dans le monde ontologique, l'homme était un projet et Dieu lui a demandé : "Qu'est-ce que tu veux ? Être libre ou contraint ?" L'homme a répondu : "Je veux toucher l'arbre. L'arbre interdit." Car il faut avoir la possibilité réelle de désobéir, de nier Dieu. L'histoire de la tentation de l'arbre dans le Coran, c'est le moment crucial du choix.

L'homme a voulu être libre et, pour être libre, il lui faut nécessairement désobéir à Dieu. Sinon, il ne possède pas de preuve de sa liberté. Ce sont ces risques et ces possibilités de désobéissance qui ont fait que je suis devenu croyant.

 (Jeuneafrique.com)

NB : Certaines parties de l’interview ont été coupées

 

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