‘’On s’est battu sur cette série, afin…’’
Franco-Congolais et créateur de la série ‘’Sakho et Mangane’’, Jean-Luc Herbulot est également le réalisateur des épisodes… Il était à l’avant-première de la nouvelle série évènement qui passe sur Canal+ à partir du 25 mars. Il est revenu, avec ‘’EnQuête’’, sur les difficultés liées au tournage, sur ce qui l’a poussé à faire cette série policière au contenu premium, entre autres.
Comment est née cette série ?
Je parlerai plutôt de la création de la série de manière globale. Ce qui est intéressant sur une série - je m'en suis rendu compte sur ‘’Sakho et Mangane’’, parce que c'est la première fois que j’étais créateur d’une série - c’est que quand tu es réalisateur en télé, tu es plutôt un technicien. Cela veut dire que tu as déjà un scénario qui est prêt. Tout est prêt, tu viens, tu tournes et tu dois rester dans la lignée de ce qui a été déjà fait. Sur ‘’Sakho et Mangane’’, le fait de créer une série revient à être réalisateur au cinéma. Cela veut dire que tu contrôles tous les aspects artistiques et techniques de A à Z. La grosse difficulté était là, en fait. Cela a été de mettre en place les codes, qu’ils soient vestimentaires, visuels ou narratifs, pour que tout tienne et tienne en haleine les spectateurs pendant 8 épisodes. Donc, cela a été le gros défi. Je ne l’avais jamais fait. Hormis cela, la réalisation en elle-même était assez simple. La grosse difficulté était de mettre tout le monde au même diapason. On avait des attentes de la chaine et de nous-mêmes qui étaient d’un niveau assez élevé. Il a fallu que les gens comprennent assez vite qu’on n’était pas là pour rigoler.
Mais comment est née l’histoire qui y est racontée ?
L’histoire était déjà en place, quand je suis arrivé, parce que c’est une série qu’il développait depuis 2 ou 3 ans. J’ai coécrit quelques épisodes, notamment le dernier. Je l’ai fait avec un des scénaristes. On l’a écrit à deux avec l’aval de la chaine, parce que je suis aussi scénariste. Les histoires étaient déjà en place, donc. Il y avait beaucoup d’histoires que ce vous verrez dans la série. Il y a 8 épisodes. On avait suffisamment d’histoires pour douze épisodes. Mon travail était de choisir ceux qui étaient faisables. Ensuite, d’y mettre des couleurs. C’était des épisodes qui dataient d’il y a trois ans, donc de les remettre au goût de jour et de mettre aussi ma patte dedans en termes de réalisateur. Comme je suis un gros déconneur, il fallait aussi rendre Mangane un peu plus fou. L’idée qu’il soit blond et un peu plus fou vient de moi. Il y a plein de petits détails comme ça que j’ai ajoutés. Pour les gens qui ont déjà vu ce que je faisais avant, il y a mon côté punk que j’ai voulu rajouter à ‘’Sakho et Mangane’’.
Parlant de ce vous avez déjà fait, la série que vous avez coréalisée, ‘’Dealer’’, est vue par certains critiques comme une réinvention de la manière de faire des films en France. Avec ‘’Sakho et Mangane’’, est-ce qu’il y avait ce défi de faire des choses différentes de ce qui se fait en Afrique ?
Je me donne des défis. C’est un peu ma maladie. J’ai du mal à arriver sur un projet sans me lancer des défis. De la manière dont on a présenté ‘’Sakho et Mangane’’ au début, qui était un peu plus comique, ne m’intéressait pas beaucoup. Rencontrer Cécile de chez Canal+ et Alexandre, le producteur, m’a un peu soulagé. J’ai réussi à les convaincre d'aller vers quelque chose de plus à la fois fou, mais à la fois plus sérieux. En plus, j'étais l'Africain de la bande, je suis celui qui a grandi en Afrique. Je leur ai dit moi, en tant qu’Africain, j'en ai marre, clairement, de voir des gens qui, parce qu'ils ne sont pas capables de faire les choses proprement, tournent cela en comédie. Ça me fatigue.
On est capable de faire des policiers sérieux, en Afrique. On est capable de monter des scènes d'actions sérieuses. Faisons-le, parce qu’on en est au moment où on a de l'autre côté, l'Afrique anglophone qui commence à grimper. Nous les francophones sommes toujours comme des cons à rester dans l’humour bas de gamme, basique. Ce sont des choses que je ne regarde pas. Elles me fatiguent, même si j’adore la comédie. Je me dis que la plupart des gens qui font de la comédie ont tendance à se dire : je fais de la comédie, parce que je n’ai pas les moyens d’être sérieux.
N’est-ce pas lié au fait qu’il y a ce cliché qui fait croire que le public africain aime l’humour ?
Oui, et je ne sais pas qui a installé ce cliché en fait et c’est cela qui me désole. Nous, comme les Asiatiques ou les Européens, consommons la même chose. Tout le monde consomme Netflix. Tout le monde connaît Netflix. Nous consommons les mêmes séries. Aujourd’hui, sur les forums, en lisant les avis, on ne sait qui est qui. Les gens ont des pseudos et on ne sait pas de quels pays ils viennent. Cela veut dire que les gens regardent tout ce qui se passe au niveau mondial, grâce à plein de plateformes. Aujourd’hui, vous avez deux ou trois grands cinémas à Dakar. Nous au Congo, nous n’avons pas ça. Donc, le Sénégalais est abreuvé, toutes les semaines, de films américains, d’’’Avengers’’, de ‘’Black Panther’’, etc. Ils sont éduqués à ça en fait.
Ce n’est pas la peine de continuer à faire semblant de dire que l’Afrique ne connaît pas ou ne va pas comprendre. Ce sont des bêtises. Je n’arrive pas à les accepter. On s’est battu sur cette série afin qu’elle se hisse aux standards de ce qui se passe dans le monde. C’est une première saison, un premier jet, un premier essai avec des choses réussies et d’autres que moi je considère moins réussies. C’est le jeu aussi. Mais j’espère au moins que ce qui a été posé là va rendre fier l’Africain, de manière générale, et qu’il va se dire que là ça se passe à Dakar et non à Los Angeles ou à Miami. Que ces comédiens sont sénégalais, parlent français et des fois même wolof. Il y a des comédiens ivoiriens et congolais qui eux aussi ramènent leurs couleurs. Moi, je suis fier de me dire qu’il y a des séries comme ça qui peuvent exister comme Alex Ogou a essayé avec ‘’Invisibles’’, par exemple.
Dans une interview avec Bbc, vous dites : ‘’Nous devons raconter les réalités africaines.’’ A quelles réalités faites-vous exactement allusion ?
Pour moi, c’est créer des héros. Les réalités africaines aujourd’hui, malheureusement, c’est mon opinion, c’est qu’on est un peu la risée du monde sur quasiment tous les domaines. Qu’on se le dise, que ce soit la fiction, on ne nous prend pas au sérieux ; que ce soit des choses concrètes, on ne nous prend pas au sérieux ; que ce soit qu’on sorte des bouquins qui parlent de nos histoires, on ne prend pas au sérieux ; quand on nous tue, on ne nous prend pas au sérieux. Voilà où on en est donc. C'est une responsabilité que d'avoir les capacités ou d'avoir les moyens de créer des choses comme ça et qu’elles soient diffusées à cette échelle-là. C’est une responsabilité. Il y a beaucoup de gens qui nous disent : on a la chance, etc. Oui, on a de la chance, mais il y a une part de travail. Avant tout, c’est une responsabilité et en tant qu'Africain, ma responsabilité, quand vous prenez une caméra, vous êtes en train de donner un point de vue. On ne parle pas forcément de politique, mais en tout cas vous donner un point de vue. C’est essentiel pour moi de donner mon point de vue africain, quand on crée quelque chose comme ça, quand Canal+ nous donne les moyens de le faire.
Etait-ce difficile de tourner à Dakar ?
Oui et non. Oui, parce que tous les tournages sont difficiles. Oui, parce que c’est une série de 8 épisodes de 52 minutes, donc c’est comme si vous faisiez huit longs métrages en moins d’un an. C’est ce qui s’est passé, parce qu’on a tourné en sept ou huit mois, je crois. Alors qu’un long métrage normal prend douze mois de tournage. Vous voyez les épisodes sous des formats 52 minutes à la télé, mais au montage, ils font 1 h 1 h 10 ou 1 h 20 minutes. L’autre difficulté était de mettre tout le monde au même diapason et qu’ils comprennent tous qu’on est venu faire de la qualité. Donc, eux-mêmes doivent se battre pour donner le meilleur. Pas difficile, d’un autre côté, parce que Dakar est une ville très cinématographique. Les gens sont très accueillants.
Le métissage de cultures qu’on a à Dakar fait que, dès que je veux trouver quelqu’un qui fait de la musique, je le trouve sans problème. Idem pour quelqu’un qui fait du dessin ou du graphisme. Après, le défaut qu’on a au Sénégal, et qu’on a aussi partout en Afrique, c’est que, comme on a du mal à se nourrir d’un poste, tout le monde fait plein de postes différents. Donc, quand je veux aller chercher un graphiste, quelqu’un me dit je suis aussi graphiste. Au bout d’un moment, à force de faire plein de choses, on n’est bon nulle part.
C’est cela la difficulté qu’on trouve à Dakar et le message que je veux faire passer, ce genre de série aussi, c’est que non seulement c'est possible de faire ça, mais qu’à un moment, même si c'est dur d'arriver à penser comme ça, c'est de se dire : je suis bon dans quelque chose, je maitrise d’abord cette chose-là et la travailler comme de l’artisanat. On ne peut pas faire 40 choses en même temps. La chance que vous avez au Sénégal, de tous les pays d’Afrique que j’ai fait, et c’est très honnête ce que je dis, le Sénégalais est le plus bosseur. Mais ce que j’ai aussi vu, c’est que la méthode, elle est inexistante, et c’est là où est le problème. Et cette méthode-là, ce n’est pas de la magie, ça s’apprend. Même si je sais que les jeunes raffolent d’écoles de formation, il faut vraiment se former. On monte des académies ici pour pouvoir former les futures personnes avec qui on va travailler et peut-être qui nous feront travailler.
BIGUE BOB