Publié le 14 Jan 2013 - 10:00
JUSTICE DE PROXIMITÉ

Plus de 3432 dossiers traités en 2012, dans les quatre maisons de justice de Dakar

 

 

Beaucoup d’histoires, à défaut d’atterrir dans les tribunaux classiques, sont gérées dans les Maisons de justice, sous forme de saisine directe des plaignants ou par soit-transmis du procureur de la République, par demande de la gendarmerie ou de la police. Elles ont été mises en place depuis 2004. Pour l’année 2012, plus de 3432 dossiers ont été traités dans les quatre maisons de justice de Dakar. Voyage au quotidien de la médiation-conciliation, pour une justice alternative.

 

Les petites histoires

 

La maison de justice de Rufisque, sise à Keury Kao, 36 rue Pierre Verger, accueille en cette matinée avec un vent sec et frais. Ce mercredi, ce n’est pas un jour de rush, puisque les audiences ont lieu le mardi et le jeudi. Les employés liquident les affaires courantes ponctuées par les va-et-vient des usagers, qui viennent soit pour une plainte, soit pour des informations relatives à la justice ou encore pour déposer un casier judiciaire. Salif, nommons-le ainsi, le plan de sa maison à la main, se présente au bureau de la coordonnatrice, Dieynaba Ba. Le septuagénaire, qui héberge sa sœur revenue à la maison avec ses enfants, se plaint de la voir partager une petite chambre avec sa progéniture dont le moins âgé a plus de 18 ans. Après avoir demandé, en vain, aux grands garçons de sa sœur d’aller louer dans le voisinage, il débarque avec le document de l’urbanisme et celui de la succession ou héritage, attestant sa propriété.

 

Pour en savoir plus, une visite guidée est organisée sur ledit lieu, à Dangou, un quartier de Rufisque. Sur place la dame, qui semble exercer une pression psychologique en cohabitant dans une pièce de trois mètres carré avec ses quatre enfants, lance : ‘’je ne demande que la chambre de mon père dans la maison. Il peut garder son bâtiment à lui, mais qu’il me donne la partie de mon père’’. Il s’en suit une petite querelle vite calmée par les rappels à l’ordre de la coordonnatrice. En effet, avant de mourir, le pater aurait demandé à Salif de bâtir dans la maison familiale, ce qu’il fit en érigeant une bâtisse de six pièces qu’ils partagent avec ses propres enfants. ‘’C’est notre père qui m’a légué la maison. Je peux la prendre en charge puisque c’est ma sœur, mais je demande à ses enfants, qui sont devenus majeurs, de chercher une chambre ailleurs’’, explique Salif, dépité par le comportement de sa sœur. Après cet imbroglio, la coordonnatrice prend acte et décide de les convoquer dans la deuxième quinzaine du mois de janvier pour une médiation-conciliation.

 

Ensuite, retour à la maison de justice où un vieux attend en vain le médiateur. A 82 ans, il réclame toujours la chambre de sa maman dans une concession voisine. Pourtant il a érigé sa maison en bonne et due forme, à côté, par ses propres moyens. Mais pour le principe, il ne veut pas céder cette part d’héritage matrimoniale. Une tentative de lui extirper quelques propos est restée vaine. ‘’Je veux voir le médiateur, et c’est à lui seulement que je vais parler’’, tranche-t-il.

 

‘’Rufisque est une grande ville, où il y a de vielles concessions. Personne ne veut laisser sa part d’héritage à l’autre’’, explique Dieynaba Ba. Ancienne ville partagée entre l’urbain et le rural, Rufisque regorge de ses petites histoires liées à la terre ou à la concession. ‘’Le Lébou tient à la terre. A chaque fois, ils viennent nous dire, le maire ne peut pas octroyer nos terres à de tierces personnes. Il y a toujours des problèmes liés à la délimitation des champs. Récemment, on a eu un cas à Niakul Rapp où la frontière entre les deux champs est symbolisée par une souche à peine visible. Et il fallait statuer et trancher’’, informe Dieynaba, sur les médiations qui sont sur leur table. Parmi les petites histoires qui atterrissent à la table de médiation, Dieynaba garde en mémoire ce père de famille qui était venu se plaindre de violence physique subie de la part de sa femme. ’’Il a expliqué qu’il était tout le temps battu par sa femme, mais qu’il l’aimée beaucoup et ne voudrait pas s’en séparer. Nous sommes intervenus pour que la dame revienne à de meilleurs sentiments’’, sourit-elle.

 

L’éducatrice spécialisée se rappelle aussi ce chef de ménage qui avait chassé tout le monde de sa maison. ‘’C’est pendant la médiation qu’on s’est rendu compte qu’il était dépressif. On a dit à sa femme la conduite à prendre pour les soins et qu’elle soit beaucoup plus attentionnée sur les éventuelles rechutes. Par la suite tout est rentré dans l’ordre et c’est un ménage qui tient toujours’’, s’enorgueillit-elle. En 2011, 1543 dossiers de médiation et conciliation ont été traités à Rufisque. Pour le premier semestre de 2012, le rapport annuel n’étant pas encore prêt, ce sont 381 dossiers qui ont fait l’objet de médiation-conciliation.

 

Créance locative

 

Après Rufisque, cap sur les HLM 2, sis à l’ancien Centre social qui abrite la maison de justice, où nous sommes accueillis par un conflit conjugal. Ici c’est Fatou, une dame de 30 ans, outrée de ne pas voir l’ombre de son mari, qui est venue se plaindre auprès du coordonnateur, Ousmane Barry. Accompagnée de son tuteur, elle expose les faits : ‘’Cela fait plus de deux ans qu’il n’est pas venu à la maison alors qu’il est à Dakar. Nous logions ensemble dans la maison de mon père, mais depuis lors il m’a abandonnée. D’ailleurs il ne m’a jamais donné la dépense alors qu’il travaille. Je veux la séparation.’’ De l’avis du mari, rapporté par personne interposée, la séparation reste la seule issue. Le tuteur s’assure d’abord que la dame ne va pas tenter de revoir son conjoint après la séparation, avant de demander au coordonnateur d’enclencher la procédure de divorce. Barry exige la présence des deux époux en délivrant des convocations. ’’Si vous êtes sûrs de ne plus vivre ensemble, je vous conseille de vous séparer à l’amiable. Nous verrons tout cela quand vous ferez face au médiateur. Dans tous les cas, nous pourrons vous aider dans la procédure’’, conclut-il. Avant d’ajouter : ‘’les gens ne sont pas informés sur les procédures judiciaires, nous les accompagnons et, au besoin, nous les orientons, pour les épargner des tracasseries de la justice classique’’.

 

A sa sortie, c’est Aby, la cinquantaine, propriétaire bailleurs d’une maison, qui débarque avec des factures d’eau et d’électricité impayées, laissées par son ancien locataire. ’’Non seulement il me doit 750 000 F Cfa de loyer, mais il a laissé une facture de 896 460 F cfa de la Senelec et 50000 F Cfa de la Sde. Comme il est sorti, j’ai fait faire un devis de réfection qui me coûte 360 000 F Cfa, car il a saboté toute la maison. Je suis venue ici pour qu’il me paye au moins les arriérés de location, mais aussi les factures qu’il a laissées, car les compteurs étaient en son nom’’, charge-t-elle. Les conflits liés à des créances de charges locatives sont monnaie courante dans les maisons de justice. ‘’Nous recevons beaucoup de saisines dues aux créances locatives à cause, sans doute, de la cherté du loyer à Dakar. Des fois aussi les gens prennent des engagements qu’ils sont sûrs de ne pas pouvoir honorer, ce qui aboutit nécessairement à des conflits’’, note Barry. Quid du conflit qui l’a le plus marqué ? ‘’C’est une histoire d’une créance de 2000 F Cfa, entre des voisins de palier, qui a fait que leurs relations se sont détériorées depuis lors. Le créancier a dit qu’il le traîne à la maison de justice juste par principe, car il n’a pas respecté son engagement’’, regrette Barry. Au total la maison de justice des Hlm a traité 800 dossiers en 2012 contre 560 en 2011.

 

Tontine de 14 millions

 

A Sicap Mbao Diamaguene, situé à quelques encablures du foirail, à la même enseigne que la police de Diamaguene, c’est une affaire de tontine qui est inscrite au premier ‘’rôle’’. Elle oppose deux pensionnaires du marché central au poisson de Pikine, pour un montant de 50000 F Cfa. Mamadou, le plaignant, raconte : ‘’Nous étions dix personnes à raison de 2000 F Cfa par jour. Chaque dix jour quelqu’un prend un montant de 100000 F Cfa. Je suis le dernier à prendre et la responsable m’a remis 50000 F Cfa, alors que tout le monde a donné. Elle me fait courir depuis lors, c’est pourquoi je suis venu ici.’’ Ce jour-là la responsable de la tontine n’a pas déféré à la convocation, prétextant un empêchement. L’affaire est renvoyée à une date ultérieure.

 

Une autre affaire, liée à des charges locatives, est aussi inscrite au ‘’rôle’’. Alpha qui loue la maison de Daouda à 17500 F Cfa par mois, à Thiaroye Guinaw Rail, lui doit 5 mois d’arriérés, soit 875000 F Cfa. ‘’Il m’a humilié devant tout le quartier, en sortant mes bagages en plein jour’’, fulmine Alpha le plaignant. Ce que contredit Daouda qui dit qu’il ne lui demande rien en retour. ‘’Jusque-là je n’ai pas touché à ses bagages. Le paradoxe c’est que c’est moi qui devrais le conduire ici. Je lui ai juste demandé de quitter la maison, en le gratifiant de tous ses arriérés. Il a fait fabriquer un certificat médical attestant que je l’ai violenté. Il a été débouté par la police, c’est pourquoi il m’a mené ici’’, précise Daouda. Les deux protagonistes feront face au médiateur la mi-janvier.

 

Commandant de brigade de gendarmerie à la retraite, le médiateur de Sicap Mbao Diamaguene, Aynina, reçoit en moyenne 30 à 50 dossiers par semaine. En 2012 il a traité 975 dossiers contre 1084 en 2011. L’ancien commandant de la brigade de gendarmerie de Thiaroye garde en mémoire une affaire de tontine portant sur 14 millions et qui a abouti sur sa table en 2009. ‘’C’est une dame qui, après avoir encaissé l’argent des autres, est allée se réfugier en Espagne. Nous avons pu faire rembourser certaines femmes qui avaient bénéficié des mises et qui refusaient de continuer à cotiser’’, se glorifie-t-il.

Aux Parcelles-assainies, unité 17, sis à l’immeuble de la radio Diappo Fm, qui loge la maison de justice, c’est l’histoire d’une bonne, qui a traîné son patron pour une somme de 47500 F Cfa, qui nous est servie. Bien connu dans le milieu médical, le concerné a accepté de rembourser 12500 F Cfa par mois en trois tranches, après avoir versé 10000 F Cfa. ‘’Je nettoyais sa clinique les après-midi, pour 25000 F Cfa par mois. J’ai fait un mois et 25 jours, il a refusé de me payer. Depuis que je l’ai amené ici, il me verse périodiquement mon argent’’, raconte Fatima, la trentaine révolue.

 

A côté d’elle, Moustapha qui attend en vain son patron qui tarde à déférer à la convocation. Vigile de son État, dans une résidence, depuis 2006, il estime n’avoir jamais reçu intégralement son salaire. ‘’Il nous donne toujours des acomptes de 30000 F Cfa, au lieu de 50000 F Cfa qui est le montant de la paie. Il me doit 150000 F Cfa. On nous avait convoqués aujourd’hui et je l’attends depuis ce matin’’, se désole-t-il. ‘’Nous envoyons les convocations par la biais du délégué de quartier. Nous pouvons aussi utiliser les services de la police pour acheminer les convocations’’, renseigne Benjamin Ndèye, coordonnateur de la maison de justice des Parcelles-assainies. Pour l’année 2012, Benjamin et compagnie ont traité 1276 dossiers et reçoivent en moyenne 15 à 20 affaires par jour. ‘’Les conflits les plus récurrents sont les créances, les baux à usage d’habitation ou commercial, les conflits conjugaux entre autres’’, relate Benjamin.

 

NB : Les noms des usagers ont été changés.

 

PIERRE BIRAME DIOH

 

 

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