L’électron libre de la cause panafricaine
Qui est donc cet enfant terrible du panafricanisme à l’apparence charmante ? Depuis sa venue au Sénégal en 2011, cet activiste polémiste indésirable en France fait parler de lui. En bien et en moins bien.
Son aversion pour le F Cfa est tellement profonde qu’il le qualifie de ‘‘monnaie de gorille’’ au lieu de lui donner l’habituelle expression qui sied en la circonstance : ‘‘monnaie de singe’’, pour désigner la piètre valeur ou l’inanité d’une monnaie. Joignant sa parole anti-impérialiste à un acte militant, Kémi Séba a osé défier la Bceao ; il a en outre choqué les pauvres, enhardi ses militants, et surtout provoqué un tollé en brûlant un billet de 5000 F Cfa. Stellio Gilles Robert Capochichi aurait été brésilien, avec ce nom kilométrique, que ça n’aurait surpris personne. Mais son alias Kémi Séba, marquage identitaire d’un passé militant, est plus connu. Le natif de Strasbourg, 35 printemps, a blanchi sous le harnais de la cause noire en France où il défend ses frères de couleur dans deux mouvements tous deux dissous pour leur extrémisme. Derrière la dorure idéologique du radicalisme noir qu’il incarnait en France, une fissure politique ébrèche sérieusement sa réputation avec la droitisation de ses prises de position.
Ses accointances avec ceux qui sont présentés comme les têtes de proue du racisme anti-blanc ou de l’antisémitisme (Alain Soral ; Dieudonné Mbala-Mbala), et son rapprochement avec le frontiste Jean-Marie Le Pen furent perçus comme une mauvaise évolution. Converti à l’Islam après un séjour en prison, son discours s’assagit peu à peu. “Je ne crois plus que l’homme blanc est le diable comme j’ai pu le croire à un moment”, confiait-il à saphirnews en mars 2008. ‘‘J'ai abandonné le prisme limité, le prisme de frustrations de l’afrocentricité pour m’élever vers le prisme plus universel, plus juste, plus réel et plus rationnel du panafricanisme. L’ethnocentrisme appelle à se centrer sur soi, en s’opposant aux autres. Cela n’est pas ma démarche aujourd’hui’’, poursuivait-il dans cette interview.
Ayant débarqué au Sénégal en 2011, où la dualité blanc/noir est inexistante, son discours se ‘‘déracialise’’ tout naturellement sans se déradicaliser, et bifurque sur un créneau beaucoup plus fédérateur que la race : critique de la politique économique. Les Ong ? ‘‘Ils sont financés et décidés à Washington, Paris’’, lançait-il dans nos colonnes, il y a un an, où l’aide publique au développement, le PSE, n’avaient trouvé grâce à ses yeux. Quant à la Françafrique, l’activiste l’aurait certainement massacré si elle avait été une réalité matérielle.
Ayant dilué son radicalisme, Kémi trouve désormais dans la cause du nationalisme panafricain un défouloir idéologique intéressant dans un continent en pleine remise en question du retour en zone de la puissance coloniale tutélaire. Accueilli au Sénégal, après des interdictions d’entrée de territoire au Congo et en Suisse, c’est à travers la petite lucarne qu’il est notoirement connu avec le talk-show ‘‘Le Grand Rendez-Vous’’ où il s’amuse à donner des sueurs froides à ses invités. Il gagne en célébrité localement, en respectabilité dans son discours en dénonçant la prédation économique subie par l’Afrique, et se pose comme figure incontournable de l’anticapitalisme atlantiste. Son rebond offensif est assuré.
Les tribunaux, un terrain pas inconnu
Déjà condamné pour violences en réunion, outrage à agent, contestation de crime contre l’humanité, incitation à la haine raciale, Kémi s’apprête à faire face aux juges demain en compagnie de Aboutalib Sow pour destruction de billet de banque. Accusé de souffler sur les braises d’un nationalisme économique naissant, de se nourrir et de nourrir une démagogie anticoloniale et antifrançaise, Kémi est passé à l’acte mardi dernier en ‘‘immolant’’ par le feu un billet vert de 5000 F Cfa pour la cause.
Malgré la modicité de la somme, son geste qu’il veut symbolique crée une vive polémique entre ses supporteurs et ses détracteurs légalistes. ‘‘Au 21e siècle, chaque peuple a le droit de décider de son propre avenir politique. Mais, il ne peut se dessiner sauf si nous avons une maîtrise totale sur notre économie que nous ne maîtrisons pas. Nous avons des forces exogènes, en l’occurrence la Banque de France, qui ont un contrôle sur notre monnaie ; qui a le droit de dire oui ou non, si elle est d’accord avec les décisions économiques que nous prenons’’, déclarait-il mardi dernier, 22 août, en procédant à l’autodafé.
Sur les réseaux sociaux, les ‘‘modérés’’, dont certains agréent son panafricanisme, se plaignent du fait que la cause du F Cfa doive souffrir de compter parmi ses rangs un personnage aussi sulfureux. Ses détracteurs estiment qu’il ne fait que remâcher les poncifs sur l’Occident, qu’il est en quête de rebond, et que ce combat économique ne serait qu’une défausse. Quant à ses supporters, les ultras surtout, ils trouvent en sa convocation une boursouflure répressive, réminiscence d’un passé enfoui au tréfonds de l’esclavage : le fouettage public du nègre rebelle pour accouardir les autres qui seraient tentés de remettre en question l’ordre préétabli. En fin communicant, Kémi qui se doutait que son geste allait provoquer la réaction, a préalablement balancé un communiqué sur sa page Facebook pour raconter le scénario à l’avance.
Son rêve romancé de faire revivre le passé d’une Afrique maîtresse du monde, comme au temps de la domination des Pharaons noirs, est ce qui le motive. En commençant par la monnaie, il est dans sa logique de secouer le cocotier, si la justice sénégalaise lui laisse le temps de continuer.
OUSMANE LAYE DIOP