Le Sénégal retourne au FMI, par manque de stratégie de souveraineté

La déclaration du représentant du FMI au Sénégal, Mr Gemayel, affirmant que l’administration précédente aurait caché 7 milliards de dollars de dettes contractées auprès d’institutions financières traduit une posture d’irresponsabilité et de fuite en avant qui mérite attention.
Depuis 6 mois que ce débat agite le Sénégal, le FMI n’a pas réalisé l’audit de ses propres actions et les responsabilités de sa mission de surveillance qui fait partie de son programme signé avec le Sénégal. Son représentant Mr Gemayel est le même qui était là sous l’ancienne administration et à qui il faudrait poser des questions pour savoir ce qu’il a fait et n’a pas fait pour avoir les informations sur la situation.
N’oublions pas que cet endettement supposé caché concerne une période de 4 ans, de 2019 à 2023. Il est quasi impossible que le représentant du FMI, durant toute cette période, n’ait pas été informé, ne serait-ce que par les relations privilégiées avec la BCEAO qui était au courant de la situation. Le Secrétaire général de la primature, précédemment directeur national de la BCEAO, a été transparent et sans ambiguïté, en disant qu’au titre de sa responsabilité à cette fonction, il avait saisi à plusieurs reprises les responsables de ministère des finances à ce sujet. Il est donc inadmissible de postuler que le représentant du FMI et même ses supérieurs à Washington n’en étaient pas informés pendant 4 ans. Le représentant précédent et lui-même n'ont pu être aussi incompétents et ignorants.
Cette posture démontre le double jeu du FMI et de son représentant qui devrait être démis de son poste, afin de laisser un autre situer les responsabilités du gouvernement du Sénégal et celles du FMI. Mais ce serait croire au père Noël, puisque le FMI en tant qu’institution internationale ne prendra pas le risque d'admettre ses fautes et exposer sa crédibilité au nom de la transparence, juste pour les beaux yeux des sénégalais. Elle niera toute responsabilité et rejettera tout manquement sur l’ancienne équipe de Macky Sall.
Elle tient à préserver sa crédibilité sur le plan international et veut continuer de piloter notre économie. Elle prendra donc fait et cause pour la nouvelle équipe, comme un transhumant politique au Sénégal. De ce point de vue, il n’y a rien d’étonnant qu’une telle organisation fasse les choix qui préserve son image et ses intérêts stratégiques. Elle sait que ce débat s’estompera lorsque le régime actuel aura estimé qu’il a eu raison. C'est juste de la politique, rien d'autre.
Il est possible que l’ancienne équipe ait effectivement soustrait des opérations d’endettement au circuit classique d’autorisation parlementaire, pour des raisons que ses responsables seuls peuvent expliquer. Malheureusement, la cour des comptes n’a pas jugé utile de les solliciter alors qu’ils sont tous là, à l’exception de Feu Moustapha Ba. Tous les anciens ministres des finances vivent au Sénégal ainsi que tous les grands directeurs du budget, de la programmation budgétaire et de la dette. Ils n’ont pu ignorer toutes ces opérations qui ont aussi servi à payer des dettes et la commande publique. C’est donc un manquement de la cour des comptes. Sa mission d’audit lui exigeait de les entendre, non pas dans une quelque forme d’inquisition pour trouver des coupables, mais pour avoir leurs observations sur les faits.
D’ailleurs en payant la commande publique, ces ressources financières empruntées augmentent le PIB. Quelle partie de la dette considérée cachée a été utilisée dans ce sens ? Elles pourraient nécessiter de corriger le PIB, puisque le rapport de la cour des comptes dit que ces prêts ont été utilisés pour payer des produits et services, pour payer des charges financières et pour des opérations de transferts (P41). Les transferts et remboursements n’affectent pas le PIB, mais la commande publique contribue au PIB. Il faudrait alors recalculer le taux d’endettement sur la base d’un nouveau PIB nominal, de 2019 à 2023. Cette opération pourrait faire baisser le taux d'endettement par rapport au PIB.
Mais tout cela au fond n'est que gesticulations, sans aucune portée économique réelle. Au-delà de ce débat ponctuel et passager sur les comptes du dernier régime de 2019 à 2023, il faut plutôt aller dans le fond sur l’utilité de l’action du FMI et les mesures qu’elle entend imposer au nouveau gouvernement, pour aller encore s’endetter plus. C’est de cela qu’il s’agit, encore plus de dettes.
En demandant de réduire les subventions aux sénégalais, elle vise uniquement à faire que l’Etat du Sénégal ait plus de marge budgétaire et de capacité d’endettement, en consacrant ses revenus fiscaux à payer plus dette contractée que d’alléger la vie des sénégalais.
Les réductions des dépenses publiques demandées à l’Etat du Sénégal ne visent qu’à donner plus de garantie aux créanciers. Ces créanciers et leurs charges exorbitantes sont les concurrents objectifs du bien être des sénégalais.
La réduction des subventions à l’électricité, la réduction de la masse salariale, la privatisation des entreprises nationales, l’augmentation des impôts et taxes, l’augmentation des prix de l’essence, l’augmentation des droits de douanes, sont autant de leviers que le FMI essaie d’imposer aux pays, l’une après l’autre. Pendant ce temps, elles favorisent la baisse des barrières intérieures pour que les multinationales puissent se procurer nos mines, notre pétrole, nos terres et bénéficient de lois du travail dit flexible et de personnel bon marché. C’est pourquoi, ses programmes sont toujours contre l’intérêt populaire, même si elle pousse maintenant des actions de protection des groupes vulnérables telles que les bourses de sécurité sociale. Cela fait partie de leur stratégie pour ne pas paraître cruelle. Ces postures sociales cachent mal leurs objectifs.
Plusieurs études indépendantes, faites par des experts et organisations non africaines ont démontré l’inefficacité de ces orientations et programmes du FMI sur les pays où elle intervient.
Les études réalisées sur l’impact du Fmi, par des experts et universités américaines, montrent que les programmes de cette institution sont inefficaces et ont même contribué à détruire les acquis des pays comme le Sénégal, qui, à l’instar de la Corée du Sud, avait initié un début d’industrialisation avant que le FMI ne vienne freiner tout cela, en profitant des crises de sécheresse et pétrolière, durant lesquelles, elle aurait dû servir d’amortisseur de chocs au lieu de tout détruire par des réformes qui ont désengagé l’Etat de l’effort d’industrialisation, du secteur agricole et bancaire. Ce sont précisément ces trois leviers que l’actuel régime essaie de relancer, après Wade, et Macky qui ont aussi tenté. Tous, ils continuent de se reposer sur une collaboration avec le FMI, alors qu’il continue de les contraindre à suivre ses orientations. De régime en régime, ils restent dans la continuité.
La plus récente étude réalisée en 2023 par la John Hopkins University sur les programmes du FMI entre 2000 et 2010, dans tous ses pays d’intervention, a conclu qu’ils n’ont eu aucun impact significatif. Cette étude a évalué l’impact des programmes du FMI sur 5 facteurs : l’inflation, l’emploi, la croissance, les exportations, et l’évolution de l’endettement des pays bénéficiaires de ces programmes. Les conclusions sont nettes. L’étude conclut que ces programmes du FMI n’ont d’impact positif que sur l’inflation, mais restent inefficaces sur l’emploi, la croissance, les exportations et l’endettement par rapport au PIB. C’est le cas du Sénégal. Elle conclut aussi que non seulement, il n'y a aucune différence entre les pays qui ont bénéficié des programmes du FMI et celles qui n’en ont pas bénéficié, mais ceux qui ont bénéficié des programmes du FMI restent dans le besoin et dépendent encore plus du FMI, au lieu de devenir plus autonomes. C’est le cas du Sénégal : les nouvelles autorités peinent à se détacher de cette institution.
L’étude rappelle aussi que les études similaires sur les périodes de 1979 à 1999 par d’autres experts, ont été aussi négatives sur l’impact des programmes du FMI dans les pays où elle est intervenue.
Il est aussi intéressant de noter que le FMI, sur 93 pays qui sont actuellement bénéficiaires de ses prêts, consacre 80% de ses prêts à 5 pays considérés comme des alliés de l’Amérique et de l’Europe. L’Argentine et l’Ukraine reçoivent 38% des ressources de l’institution. Suivent l’Equateur, l’Egypte et le Pakistan. Ces 5 pays consomment 81 % des ressources du FMI, sur 93 pays qui sont ses bénéficiaires, dont le Sénégal qui arrive à la 20ème place, avec 22 programmes depuis qu’elle collabore avec le FMI.Ce n’est pas étonnant, puisque le FMI est en réalité un instrument de politique étrangère pour l’Amérique et l’Europe qui nomment aussi ses dirigeants, aussi bien à la direction du FMI que pour la banque mondiale, partie du même groupe.
L’actuel régime qui, manifestement, tient à l’assistance du FMI, devrait être clair sur ses intentions quant à la prochaine hausse de l’électricité, de l’essence, du gaz, du transport, du pain et des denrées. La réduction des subventions, même graduelle, aura un effet sur tous ces produits de consommation.
Enfin, il faut noter que la propension à l’endettement du Sénégal, n’est pas un fait nouveau. Le ratio Dette/PIB au Sénégal est un faux indicateur. Le Sénégal a bénéficié d’un effacement de sa dette en 2004 avec l’initiative PPTE. Cette remise à zéro n’a pas empêché de reprendre la même trajectoire d’endettement. 20 ans plus tard, il est de 100%, même avec le rebasing de 2014. Le Sénégal pourrait refaire un rebasing qui augmentera le PIB de 30% et réduira artificiellement le taux d'endettement public. Il pourrait encore bénéficier avec d’autres pays pauvres d’un pardon ou d’une réduction de leur dette, cela ne changera pas notre politique d’endettement dont le taux d’augmentation annuel mènera encore à 100% dans 20 ans.
En effet, même en ne comptant pas les dettes effacées, notre dette augmente plus vite que notre PIB, à un taux moyen annuel de 10%. Nous resterons donc dans un cycle interminable qui se renouvelle, comme dans une prison. Pendant ce temps, ce qui est important pour les institutions internationales est de nous maintenir dans la dépendance financière qui leur donne le pouvoir de piloter notre économie dans le sens de leur intérêt. L’endettement international et le pilotage de notre économie par le FMI forment un instrument moderne de gestion des pays pauvres.
Le changement révolutionnaire au Sénégal en 2024 était un espoir pour rebattre les cartes. Mais vous ne pouvez le faire si vous n’avez pas de projet de souveraineté véritable. La souveraineté exige un projet et de la stratégie pour l’assumer. Ce n’est pas encore le cas, alors on retourne au FMI.
Par Amadou Gueye, Président de l’UNIS